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L’ERREUR RELATIVE AUX QUALITES SUBSTANTIELLES

Dans le document La protection de la caution (Page 52-56)

§1) LA VOLONTE DE LA CAUTION ALTEREE PAR L’ERREUR

B) L’ERREUR RELATIVE AUX QUALITES SUBSTANTIELLES

Différente de l’erreur sur la nature du contrat de cautionnement souscrit, l’erreur se rapporte ici à la situation financière du débiteur principal. Il faut rappeler que cette erreur sur la solvabilité du débiteur est étrangère au contrat de cautionnement conclu entre le créancier et la caution. En ce sens, elle ne devrait pas pouvoir être soulevée par la caution à l’encontre du créancier ; d’autant que ce dernier peut lui-même en être victime. Aussi, les cautions trouveront-elles un terrain propice à leurs allégations ? Tout dépendra si la jurisprudence fait une interprétation extensive de cette erreur.

Toujours utile que l’erreur doit tout d’abord porter sur la solvabilité présente du débiteur, c'est-à-dire à la date de la signature du contrat et non ultérieurement. Dès lors, il est totalement indifférent que la fortune du débiteur principal change après la conclusion du cautionnement. Cette solution tient du bon sens . L’objet de la convention n’est-il pas de garantir le créancier contre l’insolvabilité du débiteur principal ? Dans ce contexte, il serait alors pour le moins paradoxal que cette insolvabilité soit une cause de nullité du

245CA Nancy, 4 novembre 1996, Juris-data n°1996-056169 ; voir aussi CA Orléans, 3 septembre 1996, JurisData n°1996-055637 : « le cautionnement, souscrit par un étranger ne maîtrisant pas le français et inapte à comprendre les termes de l’engagement, est nul ».

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cautionnement247. Aussi, « l’erreur sur la solvabilité future ne peut être utilement invoquée,

parce qu’elle est inexcusable et frise l’absurde »248. Admettre une telle hypothèse priverait incontestablement le contrat de cautionnement de son utilité.

Si on peut raisonnablement penser que la circonstance de la solvabilité de la personne cautionnée puisse être un élément essentiel, déterminant du consentement de la caution ; elle ne peut toutefois en aucune façon être soulevée comme la finalité qui l’a poussé à s’engager249. « On peut s’engager à garantir parce qu’on croit le débiteur solvable. On ne

s’engage pas à garantir pour que le débiteur principal soit solvable »250. Ainsi, par exemple,

l’erreur de la caution sur « le développement éventuel d’un fonds de commerce qu’elle permet par son engagement, n’est nullement prise en considération dans la mesure où elle ne

porte pas sur la substance de son engagement »251.

Pour toutes ces raisons et au nom de la sécurité juridique, seule l’erreur portant sur la solvabilité présente du débiteur qui apparaît plus pertinente doit être prise en compte.

Toutefois, le succès de cette argumentation dépend d’une condition. En effet, victime d’une erreur sur la solvabilité présente de la personne qu’elle cautionne, la caution doit démontrer

qu’elle avait fait de cette solvabilité « une condition expresse de son engagement »252.

Malheureuse force est de constater que la condition posée sera en pratique difficilement, pour ne pas dire rarement remplie et la démonstration peu faisable. Elle suppose en effet qu’une clause fasse de la solvabilité du débiteur principal une condition de l’engagement de la caution. Or, une telle exigence est assurément en pratique peu envisageable. D’une part parce que rares sont les créanciers qui accepteraient ce type de modalité. Et d’autre part, il est fort probable que l’insertion d’une telle clause soit contreproductive et même risquée, puisqu’elle alerterait finalement le créancier sur l’état financier de son débiteur et susciterait de fait sa méfiance à accorder le crédit espéré, compromettant ainsi les projets dudit débiteur. Et comme

247D. Legeais, Droit des sûretés et garanties, op.cit.

248Préc.

249Ph. Simler, Fasc. 20, Cautionnement, n°23, J. Cl. 1990, art. 2011 à 2020.

250Jacob, op. cit.

251Cass. civ. 1ère, 13 novembre 1990, Bull. civ. I. n°242 ; D. 1991, Somm. p. 385, obs. Aynès ; RTDciv. 1991, p.149, obs. M. Bandrac.

252Cass. civ. 25 octobre 1977, Bull. civ. I. n°388 ; Cass. com. 2 mars 1982, Bull. civ. IV. n°79 ; Cass. civ. 1ère 19 mars 1985 ; JCP. G. 1986. II. 20659, note P. Bouteiller ; Cass. civ. 1ère , 11 février 1986 ; D. 1987. Somm. p. 446 , obs. Aynès ; Cass. civ. 1ère, 11 décembre 1990, Bull. civ. I, n°286 ; Cass. civ. 1ère, 16 mai 1995 ; JCP. G. 1996. II. 22736, note F-X. Lucas.

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bien souvent la caution est un proche du débiteur , ce n’est évidemment pas ce qu’elle souhaite.

C’est pourquoi, la Cour de cassation est venue tempérer cette rigueur en retenant que la solvabilité du débiteur principal pourrait n’être qu’ « une condition seulement tacite de l’engagement »253 , offrant ainsi une meilleure protection aux cautions de bonne foi. En la matière, les juges disposent d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer si dans chaque cas particulier, la caution avait fait de la solvabilité du débiteur principal une exigence tacite de sa garantie. En pratique, il sera a priori facile de démontrer que « la caution avait de manière implicite, sous-entendu, considérer cet élément comme préalable à son engagement

au cautionnement »254. Il serait étonnant de trouver une caution qui accepte de s’engager, de

se mettre en danger pour un débiteur qu’elle sait insolvable.

Mais cette erreur suppose qu’elle soit inexcusable. Ce qui ne sera pas le cas si la caution prétend être victime alors qu’elle connaissait parfaitement la situation financière du débiteur

principal pour en être l’associé ou le dirigeant de la société255. L’obtention de l’annulation du

contrat du cautionnement dans une telle hypothèse est donc peu probable.

La nullité pour erreur peut être envisageable dans d’autres hypothèses. Là encore, à titre exceptionnel, peut être invoquée l’erreur portant sur la personne même du débiteur principal. Une telle possibilité est à première vue surprenante. En effet, l’article 1110 al. 2 C. civ. dont est tirée l’application d’un tel recours, suppose que l’erreur porte sur les qualités essentielles du contractant. Or, nous savons que le débiteur principal n’est pas le contractant de la caution. Pourtant, il a été jugé que cette erreur pouvait être retenue dès lors qu’elle a été « commune aux parties lors de la conclusion du contrat de cautionnement portant sur une qualité substantielle du débiteur principal, à savoir son interdiction d’exercer une activité

253Cass. com. 1ère octobre 2002, Bull. civ. IV. n°131 ; D. 2003. 1617, note Y. Picod; JCP.G. 2003. II. 10072, note Buy; JCP.E. 2003.853, n°3, obs. Ph. Simler; Defrénois 2003, p.417, obs. Ph. Théry ; RTD.civ. 2003, p.323, obs. p. Crocq ; RD banc. et fin. 2003, n°13, obs. Legeais : en l’espèce la Cour de cassation est allée dans le sens de la caution en prononçant l’annulation du contrat de cautionnement. En effet, la caution, lors de la conclusion du contrat de cautionnement avait cru en la solvabilité du débiteur principal. Or 4 mois seulement après l’engagement souscrit par la caution, le débiteur principal a été placé en redressement judiciaire. La croyance de la caution sur la solvabilité du débiteur avait ainsi constitué une condition tacite de cet engagement. En outre, la Haute juridiction précise à cet égard que « la banque était en relation d’affaires avec cette société depuis 1984 et donc ne pouvait ignorer les difficultés de la société ».

254D. Legeais, Droit des suretés et les garanties de crédit, op.cit.

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commerciale »256. Une telle erreur n’est donc possible que dès lors que les qualités

essentielles du débiteur sont entrées dans le champ contractuel du cautionnement. On peut déduire de cette affirmation que les qualités essentielles peuvent aisément être celles d’un tiers au contrat257.

La nullité pour erreur sera admise plus largement dans des hypothèses où la caution s’est engagée en croyant à tort en l’existence de garanties complémentaires fournies au créancier,

lorsque ces mêmes garanties se révèlent inexistantes au moment où la caution est appelée258.

Par exemple une hypothèque, qui n’existait pas ou qui n’avait pas été inscrite en rang utile259.

Les juges ont admis que la caution puisse invoquer cette erreur dès lors qu’elle est apparue

« déterminante lors de l’engagement »260. Cette solution se justifie au regard de l’importance

de ces sûretés pour la caution. En effet, si elle est amenée à payer aux lieux et place du débiteur, la caution sera subrogée dans les droits du créancier, et disposera donc des autres sûretés dont bénéficiait ce dernier. Mais nous aurons l’occasion de vérifier l’ampleur de cette

protection ultérieurement261.

Ainsi, au regard de ce qui précède, la décharge de la caution sur l’erreur est extrêmement difficile à obtenir. En effet, comme l’erreur ne peut s’entendre que du motif principal et déterminant, cette exigence rend de fait rare ses applications pratiques. La jurisprudence reste donc vigilante pour ne pas accepter trop librement cette remise en cause des contrats de cautionnement sur le fondement de l’erreur, pour ne pas risquer d’annuler et de fragiliser tous

les contrats conclus262. Aussi, elle n’admettra cet argument que de manière restrictive, dans

des hypothèses spécifiques comme ce fut le cas dans un arrêt récent de la Cour de cassation

du 19 mai 2015263 qui prononcera l’annulation du contrat de cautionnement pour erreur sur la

solvabilité du débiteur en opérant une interprétation extracontractuelle de l’erreur. Malgré certaines exceptions, la protection de la volonté de la caution sur l’erreur reste limitée. La

256Cass. com. 19 novembre 2003, Bull. civ. IV. n°172, p.189 ; RTDciv. 2004, n°3, p.86, obs. J. Mestre et B. Fages ; RD banc. et fin. 2004, comm. n°63, obs. D. Legeais.

257Ph.Théry, préc.

258 Ex. Cass.civ., 2ème, 24 septembre 2015, n°14-19756.

259Cass.civ. 1ère, 1 juillet 1997 ; JCP. E. 1998, n° 5, p.170, obs. Ph. Simler ; D. 1999, p. 181, note V. Brémond ; RTDciv. 1997. 970, obs. M. Bandrac ; Defrénois 1997. 1425, note L. Aynès ; Cass. com. 10 avril 2008, RD bancaire et fin. 2008, n°68, obs. D. Legeais.

260Cass. Com. 18 mars 2014, n°13-11733 : « L’erreur commise par la caution sur l’étendue des garanties fournies à la banque ne constitue une cause de nullité de l’acte que dans la mesure où elle a constitué une condition déterminante du consentement ».

2612ème partie, Chapitre 1, Section 2.

262CA de Nîmes, 19 mars 2015, n°13/00401 ; Cass.com.22 septembre 2015, n°14-15645 ; pour D’autres exemples de refus :http://WWW.legifrance.gouv.fr

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caution peut dès lors exploiter une autre piste en démontrant notamment que sa volonté a été affectée par un dol (§2).

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