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L' INSTAURATION D'UNE SANCTION RAISONNABLE ET PROPORTIONNEE Sensible à certaines critiques doctrinales, la jurisprudence s'est voulue prudente. La lutte

Dans le document La protection de la caution (Page 156-163)

§2) LA PROTECTION PRETORIENNE CONTRE LE CAUTIONNEMENT EXCESSIF

B) L' INSTAURATION D'UNE SANCTION RAISONNABLE ET PROPORTIONNEE Sensible à certaines critiques doctrinales, la jurisprudence s'est voulue prudente. La lutte

contre la disproportion doit passer par un choix opportun qui prend en compte tous les

intérêts en présence729. Pour ce faire, les juges vont s'employer à rendre des solutions moins

radicales que la déchéance totale imposée par les articles L.313-10 et L.341-4 du Code de la consommation. Toute la difficulté résidera dans la faculté à concilier le droit de protéger la caution et la volonté de préserver l'efficacité du cautionnement.

Certes, il est souvent délicat de parvenir à une solution satisfaisante. Mais en dépit de certaines zones d'ombres qui existent toujours autour de la notion de responsabilité civile, la jurisprudence paraît avoir fixé un cap dans l'articulation entre ce mécanisme et le cautionnement. Le message est clair, si les juges viennent au secours de la caution en sanctionnant le créancier fautif d'avoir souscrit un cautionnement disproportionné, ce soutien a ses limites.

Aussi, la responsabilité du créancier ne doit pas conduire à la nullité du contrat de

cautionnement730 mais plutôt aboutir à une réduction de la dette de la caution et à la

reconnaissance d'une créance de dommages et intérêts en sa faveur. C'est ce qui ressort

notamment de l'arrêt Macron731 dans lequel les juges avaient prononcé la réduction du

montant de l'aval à hauteur de 5.000.000 de francs et l'attribution de dommages et intérêts dus par le banquier pour manquement à son obligation de contracter de bonne foi . La somme octroyée à la caution viendra ainsi se compenser avec celle qu'elle aurait du normalement payer au créancier au titre de son engagement. D'autres décisions viendront confirmer ce

mode d'indemnisation de la caution732. L'objectif affiché par les juges n'est nullement de

libérer la caution mais bien de la soulager en supprimant l'excès à l'origine du contentieux pour ramener la dette à un montant raisonnable. Par cette technique, on cherche avant tout à

« frapper le comportement désinvolte du prêteur professionnel »733. C'est pourquoi,

729M. Mekki , « La protection de la caution : propos conclusif » , Acte du colloque « Quelle protection pour la caution ? » , CEDAG , 24 mai 2012, RD. bancaire et fin. , sept.-oct. 2012 , p.89 .

730Bien que cette possibilité n'est pas totalement exclue : Cass.civ. 1re , 6 avril 2004 ; D.2004 . 2707, obs. L. Aynès.

731op.cit.

732ex. Cass.civ. 1ère , 9 juillet 2003 , préc. ; Cass.civ. 1ère , 20 déc. 2007, op. cit.

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l'indemnisation de la caution ne doit pas être intégrale mais « correspondre réellement au préjudice subi qui ne peut être équivalent à la dette toute entière, mais seulement à la mesure excédant les biens que la caution pouvait proposer en garantie [….]. Le préjudice doit correspondre à cette fraction excessive de la somme prévue dans le contrat de

cautionnement»734.

Cette sanction est particulièrement intéressante. Elle présente l'avantage d'être moins rigide que la sanction adoptée par les dispositions consuméristes et surtout , elle répond à une nécessité celle de sauvegarder l'efficacité de la sûreté qui conserve tous ses effets car , si les obligations de la cautions sont revues à la baisse pour les aligner à ses capacités financières , ladite caution demeure toujours tenue de respecter son engagement « à hauteur du montant qui n'est pas considéré comme excessif au regard de sa solvabilité initiale » . En ne neutralisant pas le cautionnement excessif, la solution prétorienne offre finalement un bon compromis qui permet de concilier les intérêts en présence. L'équité attendue est donc respectée. Aussi, à l'instar de l'article 2305 du Code civil de la proposition de la commission

« Grimaldi »735 et des dispositions de l'article 650-1 du Code de commerce, ce mécanisme de

la réduction doit, nous semble t-il , être privilégié . L'attractivité du cautionnement n’en sera que meilleure face à des garanties beaucoup plus souples. Le reste à vivre de la caution prévu

à l'article 2301 C. Civ. doit être « le seuil intangible » permettant de fixer cette réduction736.

Ainsi, la jurisprudence qui n'entend pas imposer le strict respect de proportionnalité, va par le jeu des règles de la responsabilité civile rétablir un équilibre et une équité attendus dans les rapports contractuels. Toutefois, le recours au droit de la responsabilité pour sanctionner un cautionnement disproportionné n'échappe pas à la critique. Car, si « la responsabilité est un outil pratique, fonctionnel, d'une grande souplesse, il est en définitive peu adapté pour

remédier à un vice objectif tel que l'excès du cautionnement »737. Mais à ceux qui dénoncent

l'enrichissement de la caution, la Cour de cassation répondra que « l'impression d'enrichissement est un effet d'optique dès lors que l'existence du préjudice est admise, il n'y a pas techniquement d'enrichissement de la caution mais seulement réparation dudit

? » , Colloque Chambéry , Dr. et patr. , mars 1998 , p.61 .

734Sous Cass.civ. 1ère , 9 juillet 2003 , comm. Ch. Albiges , M.P. Dumont-Lefrand , Droit des sûretés , Dalloz , op. cit.

735Que nous avons exposé précédemment

736Voir Cass.com. 31 janv. 2012 , n°10-28.236; JurisData n°2012-001264 ; D.2012 , p.428 , obs. V. Avena-Robardet ; RD.bancaire et fin. 2012 , p.51 , obs. D. Legeais .

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préjudice »738. Une mise au point nécessaire en cette période de doutes.

Conclusion sur le principe de proportionnalité

« Instrument au service de l'équilibre dans le contrat, la proportionnalité constitue à la fois un instrument de mesure du défaut d'équilibre contractuel et de rétablissement de cet équilibre

perdu ou failli »739. L'édiction d'un principe de proportionnalité dans le cautionnement,

véritable instrument de contrôle de l'étendue de l'engagement de la caution et dont la doctrine n'a pas manqué de relever le caractère « franchement original »740 tient une place de choix dans le dispositif de protection de la caution.

L'appel à la modération à destination des créanciers, et l'élan de générosité à l'égard des cautions est certes louable et même souhaitable. Car en soumettant le cautionnement au principe de proportionnalité, le législateur et la jurisprudence veulent interdire à la caution de prendre des engagements sans commune mesure avec ses facultés financières et éviter qu'elle ne s'endette. De leur côté, les créanciers, par les sanctions qui leur sont infligées, reçoivent un message fort. Il leur appartient désormais d'être solidaire des intérêts de la caution au point, s'il le faut, la dissuader de ne pas contracter. Mais cette « obligation de dissuasion »741 qui pèse sur ces professionnels heurte de plein fouet le principe de la liberté contractuelle et n'est franchement pas de nature à promouvoir le cautionnement .

En outre , devant les divergences législatives et jurisprudentielles , on ne peut que se rallier au souhait d'un salutaire éclaircissement sur cette question récurrente de la proportionnalité . Sur le plan législatif, ce qui ressort en premier lieu c'est un sentiment d'hostilité à l'encontre des dispositions consuméristes qui apparaissent peu satisfaisantes et pas forcément protectrices des cautions. Pour que la protection ait du sens, il faudrait que celle-ci soit uniquement réservée aux cautions profanes en position de faiblesse et qui en ont réellement besoin. Car, ne nous voilons pas la face, les cautions dirigeantes, averties, sont souvent parfaitement

738Sous Cass.com. , 25 mars 2003 , n°00-22.533.

739S. Legac-Pech , La proportionnalité en droit privé des contrats , préf. H. Muir-Watt , LGDJ , Bibl. dr. priv. , T.335 , 2000 .

740Ph. Délebecque , « les incidences de la loi du 31 Décembre 1989 sur le cautionnement » , D.1990 , n°13, p.257 .

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conscientes des risques et du caractère excessif du cautionnement quelles souscrivent . Mais animées par leurs besoins professionnels, elles occultent complètement ces aspects en espérant se dégager lorsque le créancier les poursuivra en paiement. De fait, l'extension de la protection aux cautions dirigeantes agissant dans le cadre de leur activité professionnelle leur procure un filet de sauvetage inespéré avec l'article L.341-4 du Code de la consommation. De plus, les lois se suivent et se ressemblent, sans réelle cohérence. La compilation de textes est un exercice dans lequel le législateur excelle. Il réitère les mêmes erreurs que celles faites dans les mécanismes d'information et du formalisme adressés aux cautions. « C'est toujours la même lumière qui brille, celle qui éclaire le contractant plus qu'elle n'éclaire ou ne sert le contrat de cautionnement ». En effet, l'article L.341-4 C.cons. de portée générale englobe nécessairement l'article L.313-10 C.cons. . Se pose alors la question de l'utilité de conserver ce double régime.

Sur le plan jurisprudentiel, la frontière entre d'un côté la possibilité pour la caution de se prévaloir d'un cautionnement disproportionné emportant la déchéance du contrat de cautionnement, et de l'autre le recours à la responsabilité civile entraînant l'espoir d'obtenir réparation à hauteur du préjudice subi par la caution, s'est accentuée . Le droit est un phénomène vivant qui doit s'appliquer à des situations concrètes . La jurisprudence est au cœur de ce processus juridique . Les juges ont conscience que « le contrat n'est pas l'acte de maîtrise d'une volonté créatrice de droit , mais le procédé d'adaptation des volontés privées à l'utilisation des efforts communs pour la satisfaction des besoins individuels . Aussi, est-ce d'après le but social de ce procédé de solidarité juridique et non d'après la fantaisie individuelle de chacun d'eux qui y prennent part, que le contrat doit être interprété et

appliqué »742. Aussi, par la force des choses, la jurisprudence a été amenée à voir dans le droit

non pas « une science exacte » mais une « science sociale » et n'a dès lors pas hésité à adapter les textes aux situations nouvelles dont elle avait à connaître, comme par exemple dans l'arrêt Macron.

A travers le contrôle de proportionnalité, les juges ont souhaité produire un savant dosage en protégeant la caution tout en préservant la finalité du cautionnement. De fait, si la sanction des cautionnements excessifs est possible, elle ne doit être prononcée que dans des cas particuliers

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mettant en scène des cautions profanes spécialement vulnérables face à un créancier avisé.

Dès lors, le principe de proportionnalité s'apparente à un véritable contrôle d'opportunité743 . Il

ne s'agit plus seulement pour le juge de déterminer si la caution s'est valablement engagée, mais bien de savoir si cette caution, compte tenu de sa situation pouvait raisonnablement s'engager. Autrement dit, était-elle « économiquement capable ».

Il est alors permis de s'interroger. Le mécanisme de proportionnalité n'est-il pas de nature à inverser la charge du déséquilibre, mais au profit de la caution cette fois ? D'où l'inquiétude de certains auteurs de voir la caution s'enrichir. N'est-ce pas autoriser la conduite arbitraire de la part de ce garant qui est enclin, plus que tout autre débiteur à rechercher l'échappatoire ? C'est pourquoi, on pourrait légitimement croire que l'exigence de proportionnalité est défavorable au contrat de cautionnement. Mais en réalité ce sont les incertitudes qui entourent les conditions d'exercice de ce contrôle et les sanctions qu'il véhicule qui affectent la sûreté. Plus de clarté et de simplicité rendraient certainement la matière plus attractive. D'autant que ce principe de proportionnalité est depuis quelques années talonné par l'obligation de mise en

garde pesant sur le créancier avec laquelle il fera souvent double emploi744.

743N. Mathey , op.cit.

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Conclusion première partie

Notre objectif à travers cette thèse n'est pas de transmettre un programme bardé de certitudes. Il est plutôt d'ouvrir un débat sur les bases les plus objectives et les plus concrètes possibles sur l'avenir du cautionnement, un avenir au demeurant incertain. Les réformes qui enrichissent singulièrement le champ des perspectives tracées par le législateur doivent en principe adapter nos instruments juridiques à la réalité pour rendre justement notre droit du cautionnement plus simple, plus lisible avec des règles connues et comprises des uns et des autres. Or, l''arsenal juridique mobilisé au soutien des cautions pour les protéger des vicissitudes du cautionnement est lourd. Il vient ainsi comprimer l'espace contractuel occupé par le créancier et la caution pour mieux le domestiquer. Le contrat de cautionnement subira ainsi quotidiennement une sorte d'envahissement législatif et jurisprudentiel au nom de la justice contractuelle.

Le développement et la reconnaissance de ces nouvelles obligations pesant sur le créancier, comme l’information, mention manuscrite, conseil mise en garde, principe de proportionnalité, dont l’efficacité est loin d’être acquise, portent naturellement un coup à la

théorie des vices du consentement qui est en net recul dans les demandes des cautions745. Des

contraintes qui vont être accompagnées d’autres mesures intervenant au niveau de la vie du cautionnement et qui vont à leur tour parasiter la bonne exécution du contrat au grand

désespoir des créanciers (2ème partie).

745A. Silvère Yansounou, « La responsabilté civile du créancier professionnel en matière de sûretés », Mémoire Master II, Droit privé 2005.

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2ème PARTIE : LA PROTECTION DE LA CAUTION AU COURS DE L'EXECUTION DU CONTRAT DE CAUTIONNEMENT

Au cours de la vie du cautionnement, les limites drastiques aux marges de manœuvres des créanciers sont nombreuses et disparates. Ces nouvelles règles impératives qui entendent rétablir l'équilibre contractuel tant recherché et auxquelles les parties au cautionnement ne pourront déroger, vont s'appuyer notamment sur un élément essentiel du cautionnement : son caractère accessoire. Tantôt dénoncé, tantôt loué, cet aspect de l'engagement de la caution qui imprègne l'ensemble de son régime, est un principe récurrent dans la phase d'exécution du contrat. Il semble inventé exprès pour distraire la sagacité des créanciers qui doivent composer avec son existence. Mais, ces dispositions protectrices des intérêts des cautions soulèveront en tout état de cause la question de leur utilité et surtout de leur efficacité.

Effectivement, il est à espérer que cette intrusion excessive du législateur et des juges dans le contrat ne se révèlera pas néfaste, nuisible, y compris pour les cautions. Car le mode de régulation a ses limites. Toute l'attractivité de notre cautionnement est alors en jeu car dans le paysage des sûretés existantes, certaines se présentent comme de sérieuses alternatives au cautionnement. Voyons dès lors si les mécanismes de protection couvrant l'exécution du cautionnement sont de nature à mettre en péril son utilisation. Cette mesure se fera à travers l’étude de l’accompagnement dont bénéficient les cautions dans cette phase contractuelle par notamment des informations spécifiques (Titre 1) et les différents recours qui lui sont reconnus (Titre 2).

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TITRE 1 : LE RENFORCEMENT DE LA PROTECTION POUR UN MEILLEUR

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