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L’ASSOUPLISSEMENT DES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU DOL EN FAVEUR DE LA CAUTION

Dans le document La protection de la caution (Page 56-61)

§2) LA CAUTION VICTIME D’UN DOL

A) L’ASSOUPLISSEMENT DES ELEMENTS CONSTITUTIFS DU DOL EN FAVEUR DE LA CAUTION

Les difficultés liées à l’expression de la volonté de la caution soulèvent parfois la question épineuse du dol. En effet, l’article 1116 du Code civil dispose que « le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres l’autre partie n’aurait pas contracté ». Le dol suppose donc une volonté trompée. La caution peut se dire victime de telles manœuvres qui

perturbent par là même son processus volontaire266.

Quel est alors l’intérêt d’obtenir l’annulation du contrat de cautionnement pour erreur provoquée, puisqu’il peut être déjà sanctionné au titre d’une erreur spontanée ? Nous l’avons

264P. Chauvel , Cautionnement et réticence du banquier, Mélanges J. Stoufflet, LGDJ, 2001, p.33.

265F. Jacob, Le Constitut ou l’engagement autonome de payer la dette d’autrui à titre de garantie, LGDJ, 1998.

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vu dans le paragraphe précédent que les choses ne sont pas aussi simples et que les cautions peuvent voir se dresser devant elles certains obstacles. En réalité, le dol se distingue

essentiellement de l’erreur par son caractère fautif267, ce qui entraîne plusieurs conséquences.

Tout d’abord, le domaine du dol est plus large que celui de l’erreur. Le dol pourra être admis dans des cas où l’erreur ne le serait pas, par exemple dans le cadre d’erreur sur les motifs ou d’une erreur inexcusable. En outre, le dol est plus facile à prouver car une conduite est

nécessairement plus extériorisée qu’une simple erreur, purement psychologique268.

Et enfin, les sanctions du dol seront plus graves que dans l’hypothèse d’une erreur spontanée. Outre l’annulation du contrat, une indemnité pourra être accordée au titre de la responsabilité délictuelle pour faute sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. Ces éléments peuvent donc justifier l’intérêt que les cautions portent au dol. D’autant que depuis quelques années, la jurisprudence est allée plus loin et a consacré une conception extensive du dol en l’ assimilant à trois types de comportements : les manœuvres stricto sensu, le mensonge, et la réticence

dolosive qui vont avoir une réelle influence sur la volonté du contractant victime269. Elle va en

outre assouplir certaines conditions de mise en œuvre de ce vice. .

La réticence est aujourd’hui incontestablement la forme la plus courante du dol dans le cautionnement retenue par les tribunaux lorsque le créancier a intentionnellement manqué à

son obligation précontractuelle d’information270. En l’espèce, le créancier omet de révéler à la

caution une information pertinente, essentielle, qu’il sait pourtant décisive pour sa prise de décision. Il manque alors à la caution des données capitales qui lui auraient permis d’être éclairée sur la situation et d’exprimer ainsi sa volonté avec opportunité271. Portées à sa

connaissance, ces informations l’auraient peut-être conduit à ne pas contracter272. On a parlé à

ce propos de dol négatif273.

Certes, « ne rien dire n’est pas mentir », mais le mensonge par omission peut être parfois plus grave avec des conséquences dramatiques. En outre, la règle traditionnelle selon laquelle la

267D. Legeais, La faute du créancier, moyen de défense de la caution poursuivie, LPA 1997, n°28, p.4.

268D. Garez, « Les vices du consentement de la caution », préc.

269D. Garez, « Les vices du consentement de la caution », préc.

270C. Vuillemin Gonzales, « La réticence dolosive des établissements bancaires à l’égard des cautions, un manquement à l’obligation de contracter de bonne foi », D.2001, p.3383 ; D. Legeais, « La faute du créancier, moyen de défense de la caution poursuivie », LPA 1997, n°28, p.4.

271P. Chauvel, “Cautionnement et réticence du banquier », Mélanges J. Stoufflet, LGDJ, 2001, p.33. 272Cass. civ. 15 janv. 1971. Bull. civ. III. n°38.

273J. Carbonnier , « La réticence est le silence délibérément gardé sur une circonstance que l’autre contractant aurait tout intérêt à connaître », Droit civil, Les obligations, Tome 4, PUF, 1996, n°51, p. 108.

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caution a l’obligation de se renseigner n’est plus appliquée avec la même rigueur. La loyauté doit désormais faire partie des affaires. C’est ce que la jurisprudence tente de mettre en avant en sanctionnant le créancier fautif lorsque ce dernier a par exemple volontairement gardé le silence sur la situation irrémédiablement compromise ou lourdement obérée du débiteur principal274.

L’omission d’information imputée au créancier n’est pas en elle-même constitutive de réticence dolosive. Il faut en outre démontrer que le créancier entendait, par ce défaut

d’information, tromper la caution275 . La Cour de cassation relie aujourd’hui cette réticence à

un manquement à l’obligation de contracter de bonne foi276. Aussi, s’il s’avère que la situation

du débiteur principal était déjà gravement compromise au moment de la formation du cautionnement, et que le créancier n’en a rien dit, la caution pourra être libérée. Cela revient à faire peser sur le créancier « un devoir d’information spontanée », une obligation de

renseignement277. Bien plus, c’est une obligation de mise en garde qui incombe au créancier

en cas de situation « lourdement obérée du débiteur ». Le défaut de mise en garde dans de

telles circonstances constitue un dol par réticence278.

Lorsque les juges sanctionnent la réticence, ils sanctionnent ainsi un comportement déloyal. Les cautions vont largement profiter de cette exigence de loyauté. C’est le cas lorsque par

exemple la banque s’est abstenue d’informer la caution d’un incident de paiement279, ou

lorsqu’il n’est pas indiqué de « façon claire et précise à la caution que le crédit garanti servira

immédiatement à combler le solde débiteur »280. La jurisprudence fait preuve de sévérité à

274Cass. civ. 1re , 14 février 2008, RD. banc. fin. 2008, n°38, obs. D. Legeais ; Cass.civ. 1re, 13 mai 2003, Bull. civ. I. n°114 ; JCP G 2003. II. 10144, note R. Desgorces ; D. 2003, p. 2309, obs. Avena-Robardet ; RD. bancaire, 2003, p. 286, obs. D. Legeais ; D. 2004, p.262, note Mazuyer ; Bull. Joly. 2003, p.909, note Scholer ; LPA 24 novembre 2003, p.3, note Houtcieff ; RTD. civ. 2003, p.700, note Mestre et Fages ; Defrénois, 2003, p.1568, obs. Libchaber ; Cass.civ. 1re, 18 février 1997, Bull. civ. II, n°61 ; JCP. E. 1997. II. 944 , note D. Legeais ; JCP. E. 1997, n°944 ; Contrats-Conc-Consom. 1997, comm. n°74, obs. L. Leveneur ; Cass.civ. 1re, 14 novembre 1995, Bull. Joly, février 1996 , p.121, note P. Delebecque ; Cass. com. 9 novembre 1994, JCP 1995. G. IV. n°299, p.40 ; Juris-data n°046261 ; Cass. civ. 1re, 10 mai 1989, Bull. civ. I. n°187 ; JCP. E. 1989. 21363, note D. Legeais ; JCP. N. 1991. II. 45, note D. Legeais ; Cass.com. 8 décembre 1987, JCP. E.1988. I. 17120 ; Cass. com. 8 novembre 1983, Bull. civ. IV. n°298, p. 260 ; Rev. banq . 1984, p.732, obs. Martin ; Cass. com . 7 février 1983, Bull.civ. IV. n°50, p.40.

275Cass. civ. 1re, 13 février 1996, D. 1996, Somm. p.265, obs. L. Aynès.

276C.Vuillemin Gonzales, « La réticence dolosive des établissements bancaires à l’égard des cautions, un manquement à l’obligation de contracter de bonne foi », op. cit.

277Cass. civ. 21 janvier 1981, Bull. civ. I, n°25

278P. Chauvel, “Cautionnement et réticence du banquier », op.cit.

279Cass. com. 22 octobre 1985; JCP 1985.I. p.608.

280Paris 24 janvier 1990, Journal des Notaire et des Avocats, 5 octobre 1992, art. 60626, n°7 ; Voir également JCP. E. 1992, p.509, Chron. Droit des sûretés, obs. Simler et Delebecque ; JCP. 1992. G. IV. 2113, p.232 ; JCP. N . II. p. 70 ; JCP. G. Chron. Droit des sûretés, obs. Simler et Delebecque, p. 488 ; RJDA. 10./1992, n°944.

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l’égard des créanciers qui ont dissimulé des informations qu’ils détenaient. Elle paraît admettre plus largement les cas dans lesquels le dol par réticence peut être invoqué. La faute du créancier est retenue même dans des espèces où le comportement de celui-ci s’apparentait

davantage à une imprudence ou une négligence281.

La situation du créancier est inconfortable car s’il informe la future caution, il prend le risque de voir celle-ci refuser son engagement ; mais s’il s’abstient, il est pointé du doigt. En outre, dans le cas du banquier, n’est-il pas tenu au secret professionnel qui le contraint à une certaine discrétion ?

Naturellement, le créancier ne doit informer la caution que de ce qu’il sait. Aucun reproche ne lui sera fait logiquement s’il a été lui-même victime d’une tromperie de la part du débiteur ou s’il pouvait légitimement ignorer sa situation désastreuse. Mais en raison de sa qualité de professionnel, la jurisprudence présume, chez le créancier, la connaissance de

l’information282. Les juges vont même plus loin en considérant que le créancier a « le devoir

de s’informer pour informer la caution »283.

Toutefois, ce devoir d’information spontanée cède dès lors que la caution a elle-même les moyens de s’informer sur la situation du débiteur. Aussi, l’ignorance soulevée par la caution paraît difficile à établir pour une personne impliquée activement dans l’activité sociale. Le dol est rarement accepté lorsque la caution est le dirigeant ou l’associé qui sont à même d’obtenir les informations nécessaires. Si la caution pouvait aisément se renseigner, le manquement du créancier n’est pas retenu284. Cette prise en compte de la qualité de la caution peut se comprendre. En effet, contrairement à la caution profane qui nécessite d’être informée de manière complète sur la situation financière du débiteur, la caution-dirigeant avertie est sans doute la personne qui connaît le mieux la situation de la société qu’il dirige et ne peut de fait ignorer les difficultés que l’entreprise traverse285. Quoiqu’il en soit, le dol ou la réticence dolosive ne peuvent être invoqués par la caution que si elle avait à sa disposition, en raison

281Cass. com. 8 juillet 2003, n°01-00-880.

282D. Legeais, « La faute du créancier, moyen de défense de la caution poursuivie », op.cit.

283D. Legeais, préc.

284Cass. com. 26 mai 1992, Bull.civ. IV, n°204 ; Cass.civ. 1re, 10juin 1987, D. 1987, Somm. L. Aynès ; Cass. com. 23 juin 1998 ; JCP. E. 1998. 1831, note D. Legeais ; Cass.com. 3 mars 1992 ; JCP. N. II. p. 399.

285Cass. com. 5 mars 1991, Rev. dr. banc., 5 juin 1991, p.100, obs. Crédot et Gérard ; Cass. civ. 1re, 19 mars 1985, Bull. civ. IV, n°98 ; Gaz. Pal. 1985, Somm. 275, note, A. Piedelièvre ; JCP 1986. II. 20659, note Bouteiller.

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des liens qui l’unissent au débiteur principal, les éléments lui permettant d’apprécier la situation286.

Le dol ne se présume point. La charge de la preuve pèse sur la caution. En théorie, cette preuve est assez difficile à rapporter puisqu’elle doit comporter deux éléments. La caution doit démontrer qu’elle n’avait pas connaissance de l’information prétendument cachée ; et prouver dans le même temps que le créancier détenait en revanche ladite information. Mais la jurisprudence là encore, va adopter une position souple en semblant présumer le dol de la

seule inobservation de l’obligation d’information287.

S’opère alors un véritable renversement de la charge de la preuve de l’élément intentionnel du dol. La victime n’a en effet plus à établir l’existence de la réticence dolosive, puisqu’à défaut de preuve contraire, le créancier est présumé ne pas avoir délivré l’information à la caution et avoir donc commis un dol. La nature du comportement du créancier laisse pour une large part présumer « la volonté malhonnête » de ce dernier. Il incombe dès lors au créancier de démontrer que son silence n’a pas déterminé la volonté de la caution. Certains créanciers, pour contourner ce risque, vont tenter d’insérer dans le contrat de cautionnement une clause stipulant que la caution connaissait la situation financière du débiteur principal . Heureusement pour les cautions, une telle clause n’aura aucune valeur juridique. Cette position qui confère à la caution une meilleure protection dénote la volonté jurisprudentielle d’assurer le maintien de l’équilibre contractuel dans le cautionnement.

Néanmoins, « il ne serait pas raisonnable d’imposer au créancier de se montrer altruiste à l’excès en prévenant, contre son propre intérêt, la caution des dangers qu’elle court »288. Jusqu’où l’exigence de loyauté entre le créancier et la caution doit-elle s’imposer ? Une réponse tranchée semble éminemment délicate car la réalité correspond aux situations les plus variées qu’impose le cautionnement. Le fait que l’article 1116 du Code civil soit entendu très largement par la jurisprudence, avec l’admission de la réticence, offre de réelles perspectives

aux cautions pour obtenir l’annulation du contrat de cautionnement289.

286Gavalda et Stoufflet, Chron. de droit ban. ; JCP.CI. 1981.I. 13506, n°112 ; Credot et Gerard, Rev. de drit banc. , 6 juillet 1992, p.151.

287Cass. civ. 1re, 10 mai 1989, Bull. civ. I. n°187 ; D. 1990, somm. 385 ; Cass. civ. 13 mai 2003, JCP 2003. II. 10144 ; JCP.G. 1989. II. 21363 ; Defrénois 1989, art.34633, p.1409, obs. L. Aynès.

288D. Legeais, « La faute du créancier, moyen de défense de la caution poursuivie », op.cit.

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La seule condition du dol véritablement restrictive en la matière est celle qui exige que le dol émane du cocontractant. Cette condition aboutit à refuser la nullité du cautionnement lorsque l’auteur du dol est le débiteur principal. Cette solution soulève des questions, lorsque l’on sait que bien souvent, le débiteur n’apparaît pas étranger au consentement de la caution, et à même, de part ses liens étroits avec ladite caution fortement influencé sa volonté !

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