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UN CHAMP DE PROTECTION LEGISLATIF AMBIGU

Dans le document La protection de la caution (Page 141-146)

§1) LA PROTECTION OFFERTE PAR LE CODE DE LA CONSOMMATION

A) UN CHAMP DE PROTECTION LEGISLATIF AMBIGU

§1) LA PROTECTION OFFERTE PAR LE CODE DE LA CONSOMMATION

Le Code de la consommation est encore à l'honneur. Il est à nouveau le siège d'une autre protection au profit des cautions personnes physiques, celle qui contraint les créanciers au respect d'un principe de proportionnalité dans le cautionnement. L'existence d'un déséquilibre manifeste au détriment de la caution est traquée et durement réprimée. Pour ce faire, le législateur a jugé utile de multiplier les dispositions légales, pensant peut-être que cela serait un gage de qualité dans la protection des personnes concernées. Or, nous savons pertinemment à travers les notions précédemment étudiées comme le formalisme, que l'abondance des textes entraîne incohérence et surtout nuit gravement à l'efficacité de la

sûreté679 . Aussi, le principe de proportionnalité dans le contrat de cautionnement ne sera pas

exempte de critiques tant les incertitudes légales sont nombreuses et ambigües. La bienveillance consumériste à l'égard des cautions soulèvera alors bien des interrogations ; à commencer par celle de la détermination de son champ de protection (A) et ensuite celle de l'opportunité de la sanction employée en cas de cautionnement excessif (B).

A) UN CHAMP DE PROTECTION LEGISLATIF AMBIGU

L'exigence de proportionnalité s'est progressivement imposée au créancier par des mesures législatives importantes. Ces textes qui sont au nombre de trois ont été adoptés dans des contextes particuliers et auront des champs d'application différents, ce qui va compliquer un plus la lisibilité du dispositif de protection.

Toujours en quête d'établir un certain équilibre dans les relations contractuelles , le législateur donnera le ton avec la loi de 1989 en introduisant l'article L.313-10 du Code la consommation qui prévoit qu' « un établissement de crédit ne peut se prévaloir d'un cautionnement d'une opération de crédit relevant des chapitres I et II du présent article , conclu par une personne physique dont l'engagement était , lors de sa conclusion , manifestement disproportionné à ses

679N. Mathey , « Le caractère excessif de l'engagement de la caution » , Acte du colloque « Quelle protection pour la caution? » , CEDAG , 24 mai 2012 , RD bancaire et fin. , sept.-oct. 2012, p.77.

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biens et revenus , à moins que le patrimoine de cette caution , au moment où celle-ci est appelée , ne lui permette de faire face à son obligation ». Le moins qu'on puisse dire c'est que le texte est d'entrée sélectif quant aux personnes à protéger et restrictif quant à son domaine d'application.

En effet, au regard du texte les cautions personnes physiques font l'objet d'une attention

particulière du législateur qui les place au centre du dispositif protecteur680. Les personnes

morales en sont donc d'ores et déjà écartées. Par cette mesure, la loi tend à protéger le patrimoine des cautions personnes physiques contre un engagement excessif. Toutefois, l'article L.313-10 C.cons. précise que ces dernières doivent nécessairement garantir un crédit mobilier ou immobilier de consommation. Dès lors, tout cautionnement qui garantirait un

autre type de crédit échapperait fondamentalement à son application681 . Les cautions

dirigeantes, dont le caractère professionnel du cautionnement est établi, en sont également exclues . Pour toutes ces cautions qui ne pouvaient bénéficier de l'article L.313-10 C. cons. , rien n'était perdu puisqu'elles pouvaient toujours se tourner vers le droit commun du cautionnement pour tenter de se décharger de leurs obligations. Il faudra attendre une réponse de la jurisprudence pour voir réellement leur destin changer et invoquer avec succès le

caractère disproportionné de leur engagement682 . Ainsi, c'est la nature de l'opération

principale garantie qui dictera la protection de la caution683.

La sélection opérée par l'article L.313-10 C.cons. vise surtout les particuliers profanes exposés au risque de l'endettement. C'est d'ailleurs ce qui explique que le législateur ait introduit cette mesure par le biais de la loi n°89-1010 dite loi Neiertz du 31 décembre 1989

sur le surendettement des particuliers684. L'objectif est de vivement dissuader les

établissements de crédit de recourir systématiquement au cautionnement. Un défi plutôt audacieux lorsqu'on observe que , dans la pratique, cette sûreté est incontournable ,

680Ex. Cass.civ. 1ère, 14 octobre 2015, n°14-14.531 ; Cass.com. 22 septembre 2015, n°14-15164.

681Cass. 1re civ. , 15 mai 2001 ; JurisData n°2001-009630 ; RD bancaire et fin. Juill.-août 2001 , p.227 , n°144 , obs. F.J. Crédot et Y. Gérard ; CA Paris , 25 févr. 2000, D.2000 , p.262 , note C. Rondey ; JurisData n°2000- 121312 ; CA Chambéry , 17 mars 1998 , JurisData n°1998-041561 .

682Cass. com. , 17 juin 1997 ; Bull. civ. IV , n°188 ; D.1998, p.308 , obs. J. Casey ; Defrénois 1997 , art.36703 , n°158 , p. 1424 , note L. Aynès ; JCPE 1997 .II.1007 , obs. D. Legeais ; RTDciv.1998 , n°5 , p.100 , note J. Mestre et p.157 , obs. P. Crocq ; Petites affiches , 27 mai 1998 , p.33 , obs. S. Piedelièvre ; Dr. des sociétés , oct. 1997 , p.8 , note Th. Bonneau ; RD bancaire et bourse 1997 , p.221 , obs. M. Contamine-Raynaud .

683M.H de Laender , « L'exigence de proportionnalité » , Dossier , RD bancaire et fin. , n°3 , juill. août 2003 , p.259 .

684G.Paisant, « La loi du 31 décembre 1989 relative au surendettement », JCPG 1990, I, 3437 ; Ph. Delebecque, Les incidences de la loi du 31 décembre 1989 sur le cautionnement, D. 1990, p. 265.

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notamment dans le cercle familial où elle est très prisée en raison de sa simplicité et de sa rapidité . Les établissements de crédit , car c'est spécifiquement à eux que s'adresse ce cadre légal limité , sont dans le viseur du législateur . Cela s'explique aisément puisqu'ils sont les seuls à pouvoir consentir des crédits soumis au Code de la consommation.

Ainsi, l'article L.313-10 C.cons. , de portée spécifique, s'inscrit dans un domaine réservé. Il ouvrira la voie à un autre texte à qui il servira de modèle. Il s'agit de l'article L.341-4 du même Code. Ce dernier, contrairement à son aîné, sera de portée plus générale.

En effet, il énonce qu' « un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution , au moment où celle-ci est appelée , ne lui permette de faire face à son obligation ».

La formule de cet article L.341-4 C.cons. est plus incertaine quant aux cautions à protéger . S'exprimant en termes généraux de « personnes physiques » , sans aucune précision particulière , le texte ouvre la porte de la protection de l'exigence de proportionnalité à toutes les cautions personnes physiques , quelle que soit leur qualité , averties ou profanes . De fait , les cautions dirigeantes trouvent parfaitement leur place au sein de cette loi . Une interprétation extensive pour le moins surprenante . Comment une disposition aussi protectrice des cautions , prévue de surcroit par un texte consumériste , puisse opérer un tel revirement et bénéficier aux cautions dirigeantes , par essence informées de la nature de leur

engagement685. Il aurait été peut-être préférable de conserver le bénéfice de cette protection

du principe de proportionnalité aux seules cautions qui en expriment réellement le besoin ,

nous pensons en l'occurrence à celles qui agissent en dehors de leur domaine professionnel686.

La volonté législative sera strictement respectée par la jurisprudence qui affirmera dans différents arrêts que « l'article L.341-4 du Code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi du 1er août 2003687 , est applicable à toute caution personne physique , fût-elle dirigeant social de la société cautionnée »688. Précisons également que , contrairement à la

685D. Legeais , « La caution dirigeante », in Mélanges dédiés à B. Bouloc , D. 2006 , p.605 . 686N. Mathey , op. cit.

687Dite loi « Dutreil » pour l'initiative économique .

688Cass.com. 10 juill.2012 ; Dr. et patr. févr.2013 , p.83 , note Ph. Dupichot ; Cass. 1re civ. 12 juill. 2012 , n°11-20-192 ; RD. bancaire et fin. 2012 , n°150 , obs. D. Legeais ; Gaz. Pal. 19 et 20 sept.2012 , p.21 , note Ch.

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disposition de l'article L.313-10 C. cons. , la caution pour être protégée n'est pas tenue à l'obligation de garantir le remboursement d'une seule catégorie d'actes juridiques ; le texte ne fait plus référence aux seuls contrats de crédits à la consommation .

Général , l'article L.341-4 C.cons. le sera aussi lorsqu'il évoque les personnes soumises au respect du principe de proportionnalité . En effet , celui-ci évoque « les créanciers professionnels » . Que faut-il entendre par "créanciers professionnels" ? . Rappelons que cette question avait déjà été soulevée à propos du formalisme et à laquelle la Cour de cassation avait répondu en dotant de la qualité de créancier professionnel « tout créancier dont la créance était née dans l'exercice de sa profession ou se trouvait en rapport direct avec l'une de

ces activités professionnelles , même si celle-ci n'était pas principale »689 . Une formule qui

s'applique nécessairement à l'article L.341-4 C. cons.. L'élargissement du champ d'application du texte permet ainsi certes d'intégrer les établissements de crédit , mais pas seulement . Les hypothèses en la matière peuvent être multiples comme par exemple une agence immobilière ou encore un bailleur professionnel qui conclut un cautionnement . Ce qui nous chagrine dans cette extension , c'est qu'elle ne l'est pas suffisamment . Pourquoi ne pas aller plus loin et englober tous les créanciers ? Sachant que l'article L.341-4 C.cons. n'entend pas sanctionner un comportement fautif mais cherche avant tout à interdire un excès objectif , la qualité du

créancier est de fait inopportune690 . Qu'ils soient professionnels ou non , tous les créanciers

devraient être concernés par cette exigence de proportionnalité .

Ainsi , l'article L.341-4 c.cons. de portée générale , constitue une sorte de nouveau droit commun de la sanction de la proportion . S'il a été intégré dans le Code de la consommation ,

ce texte ne relève pas à proprement parlé du droit de la consommation 691.

Enfin, à cet arsenal législatif il nous faut ajouter l'article L.650-1 du Code de commerce issu de la loi n°2005-845 de sauvegarde des entreprises . S'inscrivant dans le domaine spécifique

Albiges ; Cass.com. 22 juin 2010 ; RD. bancaire et fin. 2010 , n°172 , obs. D. Legeais ; D. 2010 , p.1985 , obs. D. Houtcieff ; Banque et droit sept.oct. 2010 . 59 , obs. F. Jacob ; RTDciv.2010 . 593 , note P. Crocq ; Gaz. Pal. 9 sept. 2010 , p.20 , obs. M-D. Dumont-Lefrand ; RTDcom. 2010 . 552 , obs. C. Champaud et D. Danet ; Cass.com. 13 avr. 2010 ; RD bancaire et fin. 2010 , n°49 , note D. Legeais ; RLDC juin 2010 , 30 , obs. J. J. Ansault .

689Cass.1reciv. , 9 juill. 2009 ; D.2009.2198 , note S. Piedelièvre ; Banque et droit sept.oct. 2009 , p.44 , obs. F. Jacob ; JCPE 2009 , 1840 , obs. D. Legeais ; Dr. et proc. 2009 , p.363 , note Y. Picod ; RTDciv. 2009 .758 , obs. P. Crocq ; CA Chambéry , 31 oct. 2006 ; JCPE 2007 , 1776 , obs. Ph. Simler .

690N. Mathey , op. cit. ; Ph. Simler , Cautionnement , garanties autonomes , garanties indemnitaires , Litec 2009 , 4ème éd. , n°246 .

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des procédures collectives, le texte vient sanctionner les créanciers qui ont obtenu des

garanties disproportionnées692. En effet , aux termes de ce dernier , « lorsqu'une procédure de

sauvegarde , de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte , les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis , sauf les cas de fraude , d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnés à ceux-ci . Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ces concours peuvent être annulées ou réduites par le juge ».

L'article L.650-1 du Code de commerce énumère ainsi trois fautes susceptibles de conduire à la responsabilité du prêteur : la fraude, l'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur et la constitution de garanties disproportionnées par rapport au concours consenti. C'est évidemment sur cette dernière hypothèse que se focalisera notre attention. Le texte met donc en garde les créanciers contre les soutiens abusifs de crédits. Il est rédigé en des termes généraux qui permettent une interprétation large. Tout d'abord, la loi ne traite pas directement du cautionnement, mais utilise le mot générique de « garanties ». De fait, tous les mécanismes ayant une fonction de garantie sont visés ; le cautionnement en tant que sûreté personnelle est donc concerné.

Ensuite, l'article L.650-1 C.com. évoque « les concours consentis » sans autre précision .Là encore, la généralité de la notion laisse place à de nombreuses possibilités. Dès lors, tous les crédits sont susceptibles d'entrer dans le champ d'application, peu importe leur qualification. Cela peut aller du prêt classique à l'autorisation de découvert ou encore à l'escompte d'un effet de commerce. Il a même été retenu par la jurisprudence qu'un délai de paiement accordé

dans des relations fournisseur/distributeur constituait une opération de crédit693 ; c'est dire les

possibilités d'interprétations qui se cachent derrière « les concours consentis ».

692R. Routier , « L'article L650-1 du Code de commerce : un article « détonnant » pour le débiteur et « détonant » pour le contribuable ? » , Banque et droit , janv.-févr. 2006 , p.61 ; D.2006, p.2916 , obs. Th. Bonneau ; D. Robine , « L'article L650-1 du Code de commerce : un cadeau empoisonné ? » , D.2006 , p.69 ; D. Legeais , « les concours consentis à une entreprise en difficulté » , JCPE 2005 , 1510 ; J. Stoufflet et N. Mathey , « La loi sur la sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 » , RD bancaire et fin. 2006 , dossier 1 ; M-P. Dumont-Lefrand , « Le dirigeant garant » , in Journal des sociétés mai 2011, n°87 , p.20 ; D. Robine , « La Cour de cassation consolide l'article L650-1 du Code de commerce » , RLDA juillet 2012 , p.21 .

693Cass.com. 16 oct. 2012, n°11-22993; JCPE 2012. 1735, obs. D. Legeais ; RTDI 2013/1, p.28, note M-P. Dumont-Lefrand ; JCPG 2012. 1428 , n°18 , comm. Ph. Pétel .

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S'agissant maintenant des créanciers, le texte n'opère guère de distinction. La qualité de créancier importe peu, par conséquent tous les créanciers professionnels sont appelés à respecter la disposition ; de la même manière que toutes les cautions peuvent en bénéficier. Cela se comprend aisément car l'objectif de la mesure est essentiellement de protéger le crédit sans vraiment s'attacher à la qualité des personnes. La loi entend surtout empêcher les créanciers de consentir des concours fautifs en pensant se couvrir par une multitude de garanties.

Cherchant à introduire une certaine morale dans les rapports contractuels, le législateur soumet les créanciers à une obligation sérieuse de proportionnalité de l'engagement de la caution sous peine de se voir lourdement sanctionner. L'importance de la répression devrait encourager ces créanciers à la plus grande vigilance (B).

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