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LA DECHEANCE PARTIELLE : UNE SANCTION LEGALE PEU DISSUASIVE

Dans le document La protection de la caution (Page 181-186)

§2) L'EFFECTIVITE DE LA PROTECTION DE LA CAUTION PAR

A) LA DECHEANCE PARTIELLE : UNE SANCTION LEGALE PEU DISSUASIVE

Devenue un principe général , on pouvait légitimement croire en l'intangibilité de l'obligation d'information annuelle . Pourtant , certains créanciers s'en affranchissent . Est-ce en raison des sanctions qui leur sont infligées ? Sont-elles suffisamment sévères pour les inquiéter ? Il faut dire que l'absence de lisibilité dans ce corps de règles ne simplifie pas les choses . Aujourd'hui, c'est donc, comme nous venons de le voir , pas moins de quatre lois qui organisent la sanction de l'omission de l'information annuelle due aux cautions . Quand certaines se distinguent par leur relatif effet, d'autres en revanche s'appliquent à davantage de rigueur à l'égard des créanciers défaillants.

Référons nous tout d'abord à ce qui a été en la matière le modèle pour les autres , l'article L.313-22 du Code monétaire et financier . Ayant fortement inspiré les mesures qui le suivront , on s'attend logiquement à ce qu'il propose une sanction à la hauteur de toutes les espérances . Pourtant , au fil de son étude , on se rend compte que cette loi est loin d'être satisfaisante , y compris dans sa sanction . Rappelons que l'article L.313-22 CMF met à la charge « des établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise , sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale , sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts , commissions , frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant à la caution , ainsi que le terme de cet engagement . Si l'engagement est à durée indéterminée , ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée .

Le défaut d'accomplissement de cette formalité emporte , dans les rapports entre la caution et l'établissement de crédit , déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information » .

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Ainsi, la loi prive la banque des intérêts durant toute la période où la caution n'a pas été informée. Une sanction limitée dans le temps , puisque la déchéance desdits intérêts prend fin avec la communication par l'établissement de crédit de la nouvelle information . A préciser que la déchéance prévue ne s'applique qu'aux intérêts et nullement aux frais et accessoires

comme les commissions804. La déchéance est un procédé plutôt original et intéressant qui

prive l'intéressé d'un droit qui peut s'avérer être déstabilisant puisqu'au regard du concours financier octroyé , les intérêts perdus peuvent aboutir à une somme non-négligeable que l'établissement de crédit ne pourra pas réclamer à la caution . La sanction constitue une sorte

de « peine privée forfaitaire »805 qui doit en principe faire réagir les créanciers .

Ce fut le cas , puisque pour contrecarrer les risques soulevés , les créanciers ont trouvé une parade leur permettant de contourner la sanction qui les vise . Pour ce faire , ils s'appuient sur l'article 1254 du Code civil qui énonce que « le débiteur d'une dette qui porte intérêt ou produit des arrérages , ne peut point sans le consentement du créancier , imputer le paiement qu'il fait sur le capital par référence aux arrérages ou intérêts : le payement fait sur le capital et intérêts , mais qui n'est point intégral , s'impute d'abord sur les intérêts » . Dès lors , sur cette base légale , les créanciers vont imputer tout versement reçu du débiteur sur les accessoires de la dette et non sur le principal , rendant ainsi inopérante la sanction de l'article L.313-22 CMF. Vidée de sa substance , la déchéance dont s'exposent les débiteurs de l'information , est alors réduite à peau de chagrin806 .

Aussi , pour remédier au problème , le législateur va , par le biais de la loi n°99-532 du 25

juin 1999 relative à l'épargne et à la sécurité financière807 , ajouter à l'article L.313-22 CMF

une précision de taille destinée à restaurer l'efficacité de la déchéance des intérêts . Le nouvel alinéa 2 vient préciser que « les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés , dans les rapports entre la caution et l'établissement , affectés prioritairement au règlement du principal de la dette » . En élaborant cette règle dérogatoire d'imputation des paiements , le législateur coupe l'herbe sous les pieds des créanciers et renforce la protection des cautions .

804Ex. CA Paris , 24 avril 1998 ; JurisData n°1998-021555 ; Paris , 7 février 2008 ; JCP.2008.I.152 , note Ph. Simler .

805M.L. Martin, « L'information de la caution- Aspects du droit privé en fin du XXè siècle » ; Etudes en l'honneur de M. Juglart, op. cit.

806Y. Picod , « Réflexions sur la sanction de l'obligation d'information bénéficiant aux cautions d'entreprises » , op. cit. .

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De fait , par l'interprétation de cette affectation , si le principal est largement amorti , voire totalement réglé , la banque se trouvera dans une situation délicate puisque déchue du droit aux intérêts conventionnels à l'égard de la caution pour la période où elle n'a pas été informée . Un bon point pour la caution qui pourra espérer être largement déchargée de son obligation . Cette mesure appelle donc les établissements de crédit à la plus grande diligence pour honorer leur devoir de loyauté envers leur cocontractant .

Nous pourrions nous en tenir là et dire que la réparation forfaitaire offerte par l'article L.313-22 CMF est suffisante pour couvrir le manque d'information dont à souffert la caution . En effet , « l'interdiction de réclamer les intérêts qui constituent les ressources du banquier constituerait une sanction suffisamment sévère pour ne pas ajouter la perte totale ou partielle de la créance contre la caution » . En outre , l'application d'un tel dédommagement épargne la caution de la difficulté d'apporter la preuve d'un préjudice . Un avantage indéniable808 , notamment pour la caution dirigeante qui , malgré sa position et son degré de connaissance sur l'état de la dette de la société et les informations sous-jacentes liées au terme et à la faculté de résiliation , va pouvoir mettre en cause le comportement du créancier qui s'est abstenu de lui transmettre les renseignements requis par l'article L.313-22 CMF et ainsi prétendre aux

bénéfices découlant de sa sanction809 .

Mais qu'en est-il si la caution , par l'omission du créancier , a été privée de l'opportunité de résilier son engagement au moment propice ? Dans ce cas , la déchéance des intérêts est-elle à

la hauteur du préjudice subi ?. Selon certains auteurs , il est permis d'en douter810. Du côté de

la jurisprudence , sa position n'est pas totalement tranchée . Nous verrons dans la partie consacrée au cumul des sanctions qu'elles sont donc les possibilités qui sont données à la caution pour combler les insuffisances de la sanction légale .

Passons maintenant à la sanction prévue par l'article 2293 al. 2 du Code civil si le créancier ne se plie pas à son obligation d'information annuelle . C'est toujours la déchéance , mais l'étendue est plus importante . En effet , celle-ci ne porte plus uniquement sur les seuls intérêts

808J. Djoudi , préc.

809Ex. Cass.com. , 25 mai 1993 ; D.1994 , p.177 , obs. J. Ngafaounain ; Dr. sociétés 1993 , p.155 , note Th. Bonneau ; JCP G 1993 , II , 22147 , obs. H. Croze .

810P. Crocq , observation sous Cass.com. , 25 avril 2001 ; RTDciv. 2001 , p.922 ; Ph. Simler , D.2003 , p.342 : « Voilà donc une violation de la loi , qui aura pu priver la caution d'une chance de résilier son engagement en temps utile , qui ne donnera lieu à aucune réparation , hormis la déchéance des intérêts , sanction qui peut ne pas être à la mesure du préjudice ».

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, elle s'étend à « tous les accessoires de la dette , frais et pénalités » , et cela sans limite dans le

temps . Une sanction nettement plus sévère que l'article L.313-22 CMF811. Le particulier se

voit alors plus lourdement réprimé que le professionnel . Un contraste qui nécessite un ajustement car , c'est bien évidemment chez les créanciers non-professionnels que les défauts à l'obligation d'information sont le plus à déplorer . C'est aussi pourquoi ils doivent peut-être jouir d'une plus grande bienveillance de la part du législateur et du juge , « leurs

manquements étant plus excusables »812 .

L'article 2293 C.civ. propose une solution radicale pour laquelle certains auteurs suggèrent un raisonnement par analogie avec la disposition de l'article L.313-22 CMF et de limiter la déchéance aux intérêts échus depuis la date à laquelle l'information aurait du intervenir813. Mais une telle pratique serait pour le moins déroutante et même contra legem . D'autres auteurs , comme Monsieur Simler , prônent quant à eux que la déchéance ne porte que sur les intérêts qui n'ont pas encore été acquittés814.

S'agissant enfin de la sanction de l'article L.341-6 du Code de la consommation , c'est également sans surprise une déchéance qui est énoncée , mais cette fois , le créancier ne pourra se prévaloir « des pénalités ou intérêts de retard échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information ». Il convient de rappeler que cette disposition est entrée en vigueur le 5 février 2004 . Cette précision a son

importance car la Cour de cassation a affirmé dans un arrêt du 13 février 2007815 que seules

les situations consommées après le 5 février 2004 peuvent prétendre à la déchéance des intérêts prévue par la loi . Concernant les contrats en cours d'exécution , ces derniers peuvent être soumis au nouveau texte , néanmoins ils nécessiteront une mise en oeuvre particulière , fondamentalement postérieure à son entrée en vigueur .

Lorsqu'on observe la sanction de l'article L.341-6 C. cons. , on est frappé par sa légèreté . En effet, par rapport à l'article 2293 C. civ. qui édicte une déchéance considérable touchant à tous les accessoires de la dette , frais et pénalités , la disposition consumériste paraît moins convaincante . D'autant que cette dernière ne prévoit qu'une simple perte des pénalités ou

811G. Biardeaud et Ph. Flores, « Information annuelle de la caution et article 2293 du Code civil »; op.cit. 812D. Legeais, « La réforme du cautionnement par la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions », op. cit.

813P. Crocq , op. cit. 814Ph. Simler , préc.

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intérêts de retard ayant couru durant la période où la caution ne s'est pas vue délivrer l'information . Or, si l'on s'en tient aux intérêts de retard , ces derniers sont attachés aux impayés . Le dilemme est que , si on recourt à une interprétation stricte de cette notion , et que durant la période concernée aucun impayé n'a été constaté , toute sanction pour manquement à l'obligation d'information serait pure illusion816 .

En outre , si on la compare au texte qui lui a servi d'exemple , elle pèche encore en rigueur . Effectivement , si le législateur a pris soin d'adapter l'article L.313-22 CMF pour le rendre plus efficace en élaborant en son alinéa 2 la règle relative à l'imputation des paiements effectués par le débiteur sur le principal de la dette cautionnée , il n'a malheureusement pas eu la même clairvoyance avec la loi de 2003 . Or , nous savons que la déchéance des intérêts n'est réellement pertinente que s'il y encore des intérêts à payer . En l'état , l'article L341-6 C. cons. laisse une grande porte ouverte aux créanciers qui pourront s'en tenir aux règles d'imputation de l'article 1254 C.civ. qui donne peu d'espoir aux cautions quant aux dits intérêts817. Une aubaine pour les créanciers qui , grâce à l'imprécision du texte pourront revendiquer l'application du droit commun leur permettant d'imputer prioritairement les paiements du débiteur principal sur le remboursement des intérêts . On mesure immédiatement l'effet néfaste d'une telle régression . Moins protectrice des intérêts de la

caution , la sanction consumériste perd fondamentalement en efficacité818 . Reste donc au

législateur d'ajuster la disposition pour la rendre plus dissuasive comme il l'avait fait jadis avec celle du Code monétaire et financier .

Elément primordial , la déchéance mise en avant par les divers textes que nous venons d'étudier ne s'applique pas de plein droit . Par conséquent , pour pouvoir y prétendre , la caution doit en faire expressément la demande . Le juge , ne pouvant statuer ultra petita , se limitera à ce qui a été soulevé par les parties819 .

La question de la sanction du défaut d'information est délicate mais au combien cruciale. Elle permet de mesurer concrètement le degré d'effectivité d'une disposition législative . Les différentes sanctions forfaitaires soulevées précédemment à travers les articles L.313-22 CMF, l'article 2293 C.civ. , ou encore l'article L.341-6 du C.cons. nous ont démontré toutes les

816Voir G. Biardeaud et Ph. Flores , op. cit. 817Y. Picod , op. cit.

818D. Legeais , Droit des sûretés , op. cit.

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subtilités de la déchéance proposée820. Déchu de la couverture des intérêts pour la période où

il a failli à son devoir d'information envers la caution , le créancier peut vite se retrouver dans une position inconfortable . Parallèlement , la mesure peut redonner au contraire le sourire à la caution non informée qui peut voir le poids de sa dette fondre comme neige au soleil . Mais les sanctions ne révèlent leur pertinence que si elles parviennent à complètement conforter la victime dans la réparation du préjudice subi . Or , la déchéance se veut être « une

réponse proportionnée au manquement constaté »821 , « elle ne prive ni en deçà , ni au-delà de

ce que le manquement fautif appelle »822. C'est peut-être là le problème , puisque la sanction

du créancier par la déchéance partielle peut parfois paraître inadaptée par rapport aux conséquences qu' a occasionné l'inexécution de l'obligation légale sur la caution , en particulier dans le cas où elle a été privée d'exercer son droit de révocation dans les meilleures conditions. Dès lors , comment remédier à l'insuffisance des sanctions légales ? Les pistes explorées demeurent celles du cumul des sanctions , notamment avec la responsabilité de droit commun. Qu'en est-il réellement ? (B).

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