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1 L’application des règles sur les procédures collectives aux seuls commerçants

131- Le droit saoudien est profondément attaché aux principes de la Chari’a. Il n’est pas exclu que l’application des règles sur les procédures collectives aux seuls commerçants s’inspire de la Chari’a. Après avoir tenté d’expliquer le système saoudien sur ce point (1), nous exposerons les conditions qui sont relatives à l’exercice de l’activité commerciale (2).

80 A.R.S. Karman, op. cit., p. 312 ; S. Yahia, Précis de droit commercial saoudien, 3e éd., éd. Société des

librairies d’okaz, 1403 H. (1982), n° 110 ; Hamdallah H., Droit commercial saoudien – règlement du commerce

saoudien, Djeddah, 1425 H. n° 73 ; Ghamedy A.H. et Hosseini, B.Y., Droit commercial, 2e éd., n° 111 ; Cherif

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a) L’explication de l’application des règles sur les procédures collectives aux seuls commerçants

132- Le droit saoudien consacre, comme c’est le cas du droit français, une série de règles relatives à la faillite et une autre série relatives, quant à elles, à l’insolvabilité des non-commerçants. Dans cette seconde série de règles nous retrouvons la notion d’Ihsär dominée par les versets coraniques qui incitent les créanciers à se montrer généreux à l’égard de leur débiteur en état d’Ihsär, de lui donner le temps suffisant pour retrouver meilleure fortune et même à abandonner leurs droits à son encontre81. En droit positif, l’Ihsär se traduit par une action en justice exercée soit par un créancier contre le débiteur soit directement à la demande de ce dernier et cette action peut avoir pour résultat que le tribunal déclare le débiteur en état d’Ihsär. La doctrine et la jurisprudence distinguent deux catégories d’Ihsär :

- l’Ihsär juridique qui correspond à cette situation dans laquelle les biens du débiteur ne suffisent pas à répondre à ses dettes exigibles ;

- un Ihsär réel qui correspond à la situation du débiteur dont les biens ne suffisent pas à combler ses dettes exigibles et futures.

Dans les deux cas, l’action d’Ihsär peut être exercée et peut aboutir, comme nous l’avons vu, à un jugement par lequel le tribunal déclare le débiteur en état d’Ihsär ou, si la preuve est rapportée que les biens du débiteur couvrent en réalité ses dettes, à la condamnation de ce débiteur au paiement82.

81 V. ces versets cités supra, n° 7.

82 Hicham Ben Abdel Malek Al Cheikh, « La preuve de la solvabilité dans l’action en justice pour Ihsär »,

Rev. Judiciaire, n° 5, Moharram 1434 H., p. 37 ; Ahmad Ben Abdallah Jaafari, « Les règles de l’Ihsär dans la

doctrine de droit musulman comparées au règlement du Royaume d’Arabie Saoudite », Rev. Al Adl, n° 27,

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133- La philosophie des règles sur la faillite est toute différente. Tout commerçant se retrouve, dans la pratique, à la fois créancier et débiteur et, la plupart du temps, compte sur le recouvrement de ses créances pour payer ses propres dettes. Si un débiteur ne remplit pas ses engagements à son égard, il risque de le mettre directement en danger, ce qui sera de nature à menacer l’équilibre du marché économique. S’il est constaté que ce commerçant se retrouve dans un état équivalent à la cessation des paiements, les règles sur les procédures collectives s’appliqueront directement à lui et ces règles se révèlent particulièrement sévères, allant jusqu’à consacrer des peines pénales à l’égard de ces débiteurs. Ces règles ne sont pas adaptées à une personne qui n’exerce pas une activité commerciale et c’est la raison pour laquelle elles ne trouvent pas application en dehors du secteur commercial.

Nous verrons plus loin83 que la qualité de commerçant se déduit d’un exercice effectif de l’activité commerciale. C’est la raison pour laquelle il revient au créancier poursuivant d’apporter la preuve que son débiteur exerce l’activité commerciale et il ne suffit pas pour apporter cette preuve de produire les documents qui émanent du débiteur ou son inscription sur un registre quelconque. Ces éléments n’apparaissent que comme simple élément de preuve soumis au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond qui doivent caractériser l’exercice effectif de l’activité commerciale par le débiteur concerné84.

b) Les conditions relatives à l’exercice de l’activité commerciale

134- Comme nous venons de le voir, le débiteur à l’égard duquel une procédure collective va être ouverte doit exercer effectivement une activité commerciale (a) ; il doit l’exercer pour son propre compte (b) et être capable (c).

83 V. infra, n° 135.

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L’exercice effectif d’une activité commerciale

135- Le caractère effectif de l’exercice d’une activité commerciale signifie que l’exercice doit être habituel. La vérification doit donc se faire au cas par cas et le jugement d’ouverture doit caractériser la qualité de commerçant du débiteur. Le défaut d’inscription au registre du commerce n’évitera pas l’ouverture de la procédure à l’égard d’un débiteur s’il est démontré que celui-ci exerce réellement l’activité commerciale85.

Pour autant, l’exercice de l’activité commerciale ne doit pas être exclusif. Une personne sera considérée comme commerçante, soumise aux règles sur les procédures collectives, si elle exerce l’activité commerciale, même si elle exerce parallèlement d’une manière régulière une autre profession. Au Liban, la jurisprudence est allée encore plus loin et a considéré que les commerçants et les avocats peuvent être soumis aux règles sur les procédures collectives s’ils se livrent à une activité commerciale à titre habituel, alors même que cet exercice n’est pas régulier au regard des règles applicables à leur profession officielle86.

136- Le droit saoudien ne distingue pas selon que l’activité commerciale exercée par le débiteur est importante ou non. La doctrine s’interroge sur la possibilité de transposer en droit saoudien les règles retenues dans d’autres législations des pays arabes selon lesquelles ceux qui se livrent à une activité commerciale de petite importance qui n’occasionne que des frais limités peuvent ne pas se voir appliquer à eux les règles sur les procédures collectives. Ainsi, le droit libanais considère que si le bilan du commerçant est modeste, des règles de liquidation simplifiées lui seraient applicables87. Il semble que cette solution puisse être transposée en droit saoudien88.

85 Cass. Liban, 28 févr. 1963, Coll. Hatem, vol. 51, p. 18, n° 5.

86 Cour d’appel de Beyrouth, 5 mars 1964, Coll. Hatem, vol. 56, p. 30, n° 7, énonçant : « La qualité de

fonctionnaire du débiteur ne s’oppose pas à la déclaration de sa faillite s’il s’est livré à une activité commerciale ».

87 Articles 630 et 631 du Code libanais de commerce.

88 Cette solution a été retenue par le Tribunal des Doléances, n° 827/2/K pour 1415. V., en ce sens, Yahia, op.

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L’exercice de l’activité commerciale par le commerçant pour son compte

137- Pour être soumis aux règles sur les procédures collectives, le débiteur doit exercer l’activité commerciale pour son propre compte. Ainsi, ne peut pas être déclaré en faillite celui qui exerce le commerce au nom et pour le compte d’une autre personne, comme c’est le cas des salariés qui travaillent pour le compte d’un employeur.

Un débat s’est développé au sujet de l’exercice de l’activité commerciale par un prête-nom. Ainsi, un avocat ou un fonctionnaire qui ne peut pas se livrer à une activité commerciale fait exercer cette activité par une autre personne mais pour son propre compte. On considère dans ce cas que l’avocat ou le fonctionnaire peut être considéré comme commerçant soumis aux règles des procédures collectives. On a davantage discuté la question de savoir si ces règles s’appliquent à celui qui exerce l’activité commerciale pour le compte du premier. Ici aussi, il semble possible de s’inspirer de la jurisprudence libanaise en la matière qui considère que celui qui exerce en apparence l’activité commerciale se voit appliquer lui aussi les règles sur les procédures collectives89.

La capacité du commerçant

138- Celui qui se livre à une activité commerciale doit avoir la capacité d’exercice, ayant atteint l’âge de dix-huit ans sans être frappé d’une mesure de protection90. Le droit saoudien permet au tuteur de l’enfant, notamment son père, de demander qu’il soit émancipé et de lui permettre d’exercer l’activité commerciale. Dans ce cas, ce mineur sera considéré comme ayant la capacité suffisante permettant de le soumettre aux règles sur les procédures collectives91.

89 Cour d’appel Beyrouth, 17 déc. 1957, Coll. Hatem, vol. 32, p. 20, n° 2.

90 V., Trib. des Doléances, n° 784/3/M pour 1417.

91 En Egypte, la Cour de cassation a considéré que le majeur qui exerce une activité commerciale pour le compte

d’un mineur ne peut pas être lui-même soumis aux règles sur les procédures collectives puisqu’il exerce l’activité commerciale pour le compte d’autrui ; ces règles ne s’appliquent pas non plus au mineur puisque son incapacité lui interdit d’être considéré comme commerçant : Cass. Egypte, 4 mars 1948, Rev. des avocats, vol. 92, p. 344.

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2 - La situation d’activité du débiteur

139- Le droit saoudien ne prévoit pas la possibilité d’ouvrir une procédure collective au cas où le commerçant cesse son activité. Certains textes aménagent l’application des règles en cas de décès du débiteur. Mais, cet aménagement est loin d’être équivalent à la position du droit français en la matière. Il faut dire que l’application des règles sur les procédures collectives en cas de cessation d’activité ou de décès du débiteur n’était pas d’actualité lors de la promulgation du règlement n° 32 du 15 Moharram 1350 H., correspondant au 2 juin 1931 et dont les articles 103 à 149 réglementent la faillite.

Le seul texte consacré à la matière est l’article 135 de ce règlement qui prévoit que si un commerçant insolvable décède avant la déclaration de la faillite, le Tribunal de la Chari’a aura compétence pour saisir, partager et payer les dettes du débiteur sur ses biens. Le texte ajoute que si le débiteur décède après la déclaration de la faillite, le tribunal de commerce sera cette fois compétent pour saisir et vendre ses biens afin de payer les créanciers, ses héritiers n’ayant aucun droit sur ces biens. Là s’arrête la réglementation de cette question en droit saoudien, contrairement à l’état du droit dans d’autres pays arabes.

140- Au Liban, l’article 494 du Code de commerce décide que « si le

commerçant cesse son activité commerciale ou décède, sa faillite pourra être judiciairement déclarée dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle il avait cessé son activité commerciale ou de la date de son décès si l’état d’insolvabilité existait avant la cessation de l’activité ou le décès. Cependant, les héritiers du commerçant décédé ne peuvent pas demander sa mise en état de faillite ». L’article 551 du Code égyptien de commerce ainsi que l’article 611 du

Code syrien prévoient des dispositions analogues.

Il résulte de ces dispositions que deux conditions doivent être réunies pour déclarer la faillite du commerçant décédé :

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- en premier, il est nécessaire d’établir que l’état d’insolvabilité existait avant le décès, ce qui a pour conséquence que ne pourra pas être déclaré en faillite celui qui avait payé ses dettes jusqu’au moment de son décès et peu importe à cet égard que les héritiers puissent ou non payer les dettes du défunt lors de la liquidation de la succession ;

- en second, il est nécessaire que la mise en faillite soit demandée dans un délai d’un an qui suit le décès afin de ne pas laisser le sort des héritiers suspendu pendant très longtemps au bon vouloir des créanciers92.

141- Les mêmes textes prévoient la possibilité d’ouvrir la faillite du commerçant qui cesse son activité commerciale, de crainte que la cessation de cette activité constitue, pour lui, le moyen d’éviter la faillite. Cependant, pour que celle-ci puisse être déclarée, le commerçant devait avoir cessé le paiement de ses dettes alors qu’il exerçait l’activité commerciale. Quant aux conditions de déclaration de la faillite, elles sont les mêmes que pour le commerçant décédé. En particulier, il est nécessaire que la demande de déclaration de la faillite soit présentée dans un délai d’un an à compter du jour de la cessation d’activité, peu importe la date à laquelle le commerçant a demandé sa radiation du registre du commerce ou de la vente de son entreprise. La situation est différente en Egypte, puisque l’article 551 du Code égyptien de commerce énonce, dans son premier alinéa, que le délai d’un an qui suit la cessation des paiements court à compter du jour de la radiation du nom du commerçant du registre de commerce.

92 En cas de décès du commerçant au cours de la procédure de déclaration de faillite, ses héritiers ne seront pas

appelés à la procédure, mais ils peuvent y intervenir volontairement pour défendre les droits, notamment moraux, de leur auteur (Cour d’appel mixte d’Egypte, 3 avr. 1895, cité in Taha, op. cit., n° 432, p. 332, note 3). De même, il est interdit dans ce cas de déclarer la faillite des héritiers puisqu’il n’y a aucun lien entre le patrimoine du défunt et celui des héritiers si ces derniers se livrent eux-mêmes à l’exercice d’une activité commerciale après le décès de leur auteur, ils ne seront soumis aux règles sur les procédures collectives que s’ils cessent eux-mêmes de payer leurs propres dettes (Trib. d’Alexandrie, 5 déc. 1949, Rev. législative et judiciaire, vol. 3, p. 84).

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142- Il n’y a rien de tel en droit saoudien et la doctrine93 justifie la non- application des règles sur les procédures collectives au commerçant qui cesse son activité ou qui décède par l’idée que ces événements mettent fin à l’activité commerciale, alors que les textes exigent la vérification de cette qualité au moment de la demande d’ouverture de la procédure collective. Cette explication ne paraît pas convaincante. Dans les autres pays arabes, la qualité de commerçant est une condition nécessaire à l’application des règles sur les procédures collectives et, pourtant, les législations de ces pays ont pu concilier cette condition avec la possibilité d’ouvrir la procédure collective après la cessation de l’activité ou le décès. En effet, l’essentiel est que les dettes soient nées pendant l’exercice de l’activité commerciale et que leur non-paiement soit survenu durant cet exercice, peu important que la demande d’ouverture de la procédure collective ait été formée avant la cessation de l’activité ou le décès du débiteur. Il semble donc possible d’introduire en droit saoudien cette possibilité. Le fait que nous ne disposions pas d’un texte qui fixe le délai au cours duquel la demande d’ouverture doit être présentée n’est pas en lui-même un obstacle insurmontable à cette ouverture puisqu’il suffit d’imposer que la demande soit présentée dans un délai raisonnable.

La même discussion peut surgir au sujet des personnes morales.

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