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118- Une lente et constante évolution du droit français l’a amené à élargir le domaine d’application quant aux personnes des règles sur les procédures collectives. Cependant, il refuse jusqu’à maintenant d’appliquer ces règles à toutes les personnes physique et soumet les personnes qui ne sont pas soumises à ces règles à une réglementation propre, celle du surendettement des particuliers (art. L. 330-1 et s. du Code de la consommation). Cette réglementation tend à assurer « un désendettement durable des ménages », mettant en place une procédure applicable au débiteur de bonne foi dont la situation est irrémédiablement compromise et le but de cette réglementation est de parvenir à un « rétablissement personnel ». A cet effet, il prévoit la mise en place d’un plan de rétablissement qui peut aboutir à l’effacement des dettes. Le système qui est ainsi mis en place est assez proche de celui du droit des entreprises en difficulté. Mais, il reste foncièrement distinct de ce droit, ce qui a pour résultat que l’on se retrouve en présence de deux systèmes destinés aux personnes qui se trouvent dans une situation d’insolvabilité : le système du surendettement des particuliers et l’autre, celui des entreprises en difficulté68.

Le législateur énumère longuement les personnes physiques qui peuvent être soumises à une procédure collective. Quand on relit la liste de ces personnes, on s’aperçoit que sont soumises à ces règles toutes les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle.

68 La situation est différente dans les Départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Le

particularisme de ces Départements provient de l’histoire. Après la guerre de 1870, ils ont été soumis au droit allemand et, pour ce qui nous intéresse ici, ce droit consacrait ce que l’on appelle la faillite civile, autrement dit il appliquait la loi sur la faillite à tout le monde et non seulement aux commerçants. Après la première guerre

mondiale, la France a rétabli sa souveraineté sur ces Départements. Mais, la loi du 1er juin 1924 qui a introduit le

droit français dans ces départements tout en maintenant en vigueur des lois allemandes. Ce fut le cas de la loi sur la faillite civile. Depuis, le droit français des entreprises en difficulté a lui-même beaucoup évolué. Cependant, les articles L. 670-1 et suivants du C. com. qui se trouvent sous un titre portant « Dispositions dérogatoires

particulières aux Départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin » appliquent les dispositions de ce

titre aux personnes physiques non visées par les dispositions de la loi du 26 juillet 2005, ce qui signifie que les personnes domiciliées dans ces Départements sont soumises aux règles sur les procédures collectives.

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a) La personne qui exerce une activité commerciale

119- Le commerçant est celui qui se livre à titre habituel à des actes de commerce. L’exercice de cette activité est subordonné à la réalisation de certaines conditions et, pour comprendre l’application dans ce domaine de la réglementation sur les procédures collectives, il est nécessaire de vérifier quelles incidences peuvent avoir ces conditions sur l’ouverture de la procédure collective.

En effet, le législateur de 2005, s’inspirant du droit antérieur, avait soumis aux règles sur les procédures collectives ce qu’il avait appelé « le commerçant ». Il était donc légitime de vérifier si le débiteur commerçant remplissait les conditions légales pour répondre à cette qualification. Il y a d’abord la condition de l’immatriculation et la question s’était posée de savoir si une procédure collective pouvait être ouverte à l’égard d’une personne qui se livre à une activité commerciale sans respecter l’obligation d’immatriculation. A cette question, la jurisprudence a toujours répondu qu’une procédure collective peut être ouverte contre la personne qui se livre à une activité commerciale, même si cette personne n’a pas été immatriculée69. Cependant, la procédure peut être ouverte dans ce cas à la demande des tiers seulement, autrement dit, cette personne elle-même ne peut pas se prévaloir de l’exercice de l’activité commerciale pour réclamer le bénéfice d’une procédure collective70. Cependant, même s’il ne pouvait pas se prévaloir pour cette raison de sa qualité de commerçant, le débiteur pouvait toujours se prévaloir de sa qualité de « personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante » pour réclamer lui-même l’ouverture à son égard d’une procédure collective.

69 V. com. 22 juin 1993, Bull. civ., IV, n° 264, D. 1993.Somm. 366, obs. Honorat ; sur la question, J. Vallansan,

« L’évolution des personnes assujetties à la procédure collective », Rev. Lamy dr. aff., supplément au n° 80,

mars 2005, p. 12.

70 La Cour de cassation a ainsi décidé qu’un commerçant non immatriculé ne peut pas demander lui-même le

bénéfice de la procédure de redressement judiciaire, com. 25 mars 1997, D. 1997.Somm. 311, obs. Honorat D. Affaires 1997.541, Dr. soc. 1997, n° 81, obs. Chaput ; Defrénois 1998.248, obs. Le Cannu.

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120- La capacité du commerçant est une autre condition relative à l’exercice du commerce. L’incapable ne peut pas se livrer à une activité commerciale, mais, s’il s’y livre, peut-il être placé dans une procédure collective ?71 Tout ce que l’on peut dire c’est que les textes issus de la loi du 26 juillet 2005 ne font pas référence à la condition de la capacité pour l’ouverture de la procédure et, il est probable, ici aussi, qu’un incapable qui se livre à une activité commerciale pourra toujours être assimilé à une personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante et, dans cette analyse, la procédure collective trouvera à s’appliquer.

L’ordonnance du 18 décembre 2008 a modifié le texte pour remplacer le mot « commerçant » par l’expression « personne exerçant une activité commerciale », ce qui est de nature à supprimer les difficultés d’interprétation que suscitait l’ancienne rédaction du texte.

121- Il est nécessaire que la personne qui exerce une activité commerciale le fasse pour son propre compte. Une personne qui se livre à une activité commerciale pour le compte d’autrui n’est donc pas soumise au droit des procédures collectives. Ainsi, le dirigeant d’une personne morale n’exerce pas l’activité commerciale pour son propre compte72.

On se heurte à un problème particulier qui concerne l’exercice du commerce conjointement par plusieurs personnes. Est-il possible, dans ce cas, d’ouvrir une procédure collective à l’égard de toutes ces personnes ? La réponse à cette interrogation est fonction du degré d’indépendance dans l’exercice de l’activité. S’il y a une égalité entre toutes les personnes dans l’exercice de l’activité commerciale, aucune raison ne devrait s’opposer à l’application des règles des procédures collectives à l’égard de cette personne. En revanche, si l’une est placée dans un lien de subordination par rapport à l’autre, seule la personne qui exerce en

71 Pour un majeur sous tutelle, v. Versailles, 19 mai 1988, R.D. bancaire et bourse, 1988.35, obs. Dekeuwer-

Defossez.

72 La Cour de cassation a décidé que l’associé d’une société en nom collectif a la qualité de commerçant mais,

comme il n’exerce ni une activité commerciale ou artisanale, ni une activité professionnelle indépendante puisqu’il est salarié intérimaire, il n’est pas éligible à une procédure de redressement judiciaire : Paris, 6 juillet 2010, Rev. Sociétés, 2010.534, obs. Roussel Galle ; Bull. Joly, 2010.905, note F.-X. Lucas ; Rev. proc. coll. 2010, n° 210, obs. Saintourens.

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toute indépendance l’activité commerciale pourra être soumise à la procédure. Ce problème se rencontre souvent lorsque des conjoints exercent une activité commerciale et, pour eux, on est obligé de vérifier si l’exploitation est égalitaire ou si l’une se trouve dans un lien de subordination à l’égard de l’autre73.

b) La personne exerçant une activité artisanale

122- Ici aussi, le texte issu de la loi du 26 juillet 2005 visait l’artisan et l’on se posait la question de savoir ce qu’il en est de la personne qui exerce l’activité d’artisan sans qu’elle se soit fait immatriculer au répertoire des métiers et, à nouveau, la réponse devait probablement s’inspirer de celle qui a été donnée pour le commerçant74. L’ordonnance du 18 décembre 2008 a supprimé la difficulté puisqu’elle se réfère désormais à « la personne exerçant une activité artisanale ».

c) L’agriculteur

123- Les textes prévoient que la procédure s’applique « à tout agriculteur », ce qui a été interprété comme signifiant que l’essentiel est que l’intéressé exerce une activité agricole à titre habituel sans que cette activité soit nécessairement exercée à titre principal75. Comme pour les personnes physiques qui exercent une activité commerciale, nous avons ici aussi une difficulté en cas de coexercice de l’activité agricole, comme c’est le cas lorsque deux époux se livrent à cette activité. Ici la tendance générale des tribunaux est de vérifier si les époux exercent en toute indépendance l’activité agricole ou si l’un d’eux se contente d’aider l’autre dans

73 La Cour de cassation décide que la mention de l’épouse du commerçant mis en liquidation judiciaire au

Registre du commerce et des sociétés en qualité de coexploitante du fonds de commerce ne constitue qu’une présomption simple de commercialité qui peut être combattue par la preuve contraire : com. 15 mars 2005, D. 2005, Pan. 2013, obs. F.-X. Lucas ; JCP E 2005, n° 49, p. 2098, note Léobon, Act. Proc. coll. 2005, n° 81, obs. Vallansan.

74 V. Nancy, 13 mai 1987, Rev. proc. coll. 1988.35, obs. Didier, décidant que peut être mise en liquidation

judiciaire la débitrice qui poursuit une activité artisanale sous son nom.

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l’exploitation. Le simple fait pour l’un des conjoints d’un agriculteur d’aider l’autre dans les tâches agricoles ne lui confère pas la qualité d’agriculteur et, par voie de conséquence, une procédure collective ne peut pas être ouverte à son égard. Il en va autrement si ce conjoint accomplit en permanence des actes de gestion agricole76.

d) La personne physique qui exerce une activité professionnelle indépendante

124- Il s’agit ici de l’une des principales innovations introduites par la loi du 26 juillet 2005 et qui a permis une extension considérable du domaine du droit des procédures collectives77.

Au départ, l’idée du législateur était d’appliquer cette procédure à toute personne qui exerce une profession libérale, comme un avocat ou un médecin. Cependant, les professions libérales sont très variées. Par exemple, certaines d’entre elles sont soumises à un statut législatif ou réglementaire et même le titre est protégé. Il en est ainsi d’un avocat qui est obligé d’adhérer à l’ordre des avocats ou un médecin qui est obligé d’adhérer à l’ordre des médecins. Il y a des professions, comme le notaire ou l’huissier de justice qui sont titulaires d’une véritable charge. Le législateur a craint qu’il y ait des difficultés d’interprétation dans ce domaine et c’est la raison pour laquelle il a eu recours à une formule particulièrement large en précisant que la procédure est applicable « à toute

personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire dont le titre est protégé ». Ainsi, il suffit qu’il y ait un exercice d’une activité professionnelle

pour que la loi sur les procédures collectives trouve application. Cette formule est suffisamment large pour englober les personnes dont la situation pourrait susciter

76 V. Caen, 16 mai 1991, JCP, 1992, VI.1303 et sur pourvoi en cassation, com. 5 avr. 1994, Bull. civ. IV,

n° 145 ; Poitiers, 6 juill. 1995, Rev. dr. rur. oct. 1995, p. 100.

77 B. Saintourens, « Les conditions d’ouverture des procédures après l’ordonnance du 18 mai 2008 portant

réforme du droit des entreprises en difficulté », Rev. proc. coll. 2009, p. 40 ; M.-H. Monsèrié-Bon, « Le périmètre quant aux personnes des procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires »,

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des doutes. Nous l’avons vu à propos des commerçants et des artisans qui exercent leur activité d’une manière irrégulière. On pourra soutenir qu’ils entrent dans la catégorie des personnes qui exercent une activité professionnelle indépendante pour les soumettre aux règles sur les procédures collectives.

Il n’en reste pas moins que les applications jurisprudentielles du texte montrent que la jurisprudence fait une interprétation assez stricte dans ce domaine78.