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211- Il n’a jamais été question de confier à l’arbitrage les questions relatives aux entreprises en difficulté. De nombreux obstacles s’y opposent, à la fois formels et de fond.

On sait que l’arbitrage repose sur un accord des parties d’y recourir. L’article 1442 du Code de procédure civile décide bien que la clause compromissoire et le compromis sont les deux formes que prend la « convention » d’arbitrage. Sans l’accord des parties de soumettre leur différend à l’arbitrage, celui-ci ne peut pas être envisagé et l’on connaît à cet égard les discussions auxquelles donnent lieu les cas dans lesquels il apparaît possible d’étendre la convention d’arbitrage à une partie qui n’avait pas, au départ, formulé expressément sa volonté en ce sens. L’exemple classique est celui d’une convention d’arbitrage conclue par une société membre d’un groupe avec un tiers et la jurisprudence considère que l’effet de cette convention s’étend aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et aux litiges qui peuvent en résulter170.

169 S. Boustani, op. cit., p. 119 ; E. Nassif, op. cit., p. 196. En droit égyptien, v. M. Taha, op. cit., p. 340 à 346.

170 Civ. 1re, 27 mars 2007, Bull. civ. I, n° 129, D. 2007.AJ.1986, obs. Delpech, D. 2008, pan. 184, obs. Clay,

RTDCiv., 2008, 541, obs. Théry ; sur l’extension de la clause compromissoire à des contrats mettant en œuvre la même opération économique, v. Paris, 23 nov. 1999, Rev. arb. 2000.501 ; v. aussi, 21 févr. 2002, RTDCom. 2002.277, obs. Loquin.

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De même, dans une chaîne homogène de contrats translatifs de marchandises, la convention d’arbitrage se transmet avec l’action contractuelle, sous réserve de l’ignorance raisonnable de l’existence de cette convention171. En cas de cession d’une créance, la jurisprudence considère que cette cession comprend les accessoires de la créance, y compris la clause compromissoire insérée dans le contrat passé entre le cédant et le cédé qui est ainsi transmise au cessionnaire de la créance172. De même, le porteur du connaissement ne peut se voir opposer la clause de la charte partie qui ne s’y trouve pas reproduite et qui n’a pas fait l’objet d’une acceptation certaine de sa part173.

212- Il résulte de l’ensemble de cette jurisprudence qu’une convention d’arbitrage peut difficilement être convenue entre une multitude de parties, en particulier le créancier ainsi que le ministère public, pour qu’un seul tribunal arbitral puisse être saisi de la procédure.

Au-delà de ces considérations, et quand bien même une convention d’arbitrage puisse être envisagée, des considérations tenant au droit des procédures collectives s’opposent à laisser ce droit à l’appréciation d’un juge autre qu’un juge étatique. Notre matière est dominée par l’ordre public interne et international174. Elle poursuit de nombreux objectifs, tous mettant en cause l’ordre public : nous avons déjà vu la nécessité de sauver l’entreprise et, avec elle, l’emploi175. Deux autres séries de considérations doivent être mentionnées : d’une part, la volonté d’assainir le marché économique local et, d’autre part, la volonté d’assurer, le plus possible, la protection de ceux qui ont pu légitimement se fier au système français.

171 Civ. 1re, 6 février 2001, Bull. civ., I, n° 22, D. 2001.Somm. 1135, obs. Ph. Delebecque, Rev. Arb. 2001.765,

note D. Cohen. La Cour de cassation précise aussi qu’en matière internationale la clause d’arbitrage juridiquement indépendante du contrat principal est transmise avec lui, quelle que soit la validité de la transmission des droits substantiels, Civ. 2, 28 mai 2002, Bull. civ. II, n° 146.

172 Civ. 2, 20 décembre 2001, Bull. civ. II, n° 198, RTDCom. 2002.279, obs. Loquin.

173 Com., 4 juin 1985, Bull. civ. IV, n° 180.

174 V. le rappel de ce principe à propos de la suspension des poursuites individuelles : Civ. 1re, 6 mai 2009, Bull.

civ., I, n° 86, RTDCom. 2009.546, obs. Loquin.

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213- S’agissant de la volonté d’assainir le marché économique local, si l’on déclare une personne en faillite, c’est que, par hypothèse, elle n’a pas honoré ses engagements et se trouve dans l’impossibilité de les honorer. Elle pourrait être tentée de ne pas en honorer d’autres. La déclaration de faillite va l’empêcher de continuer à se livrer à des opérations en sachant qu’elle risque de ne pas les honorer. Il devient ainsi essentiel d’écarter les mauvais débiteurs du marché économique.

De même, il est nécessaire d’assurer la protection des créanciers qui ont pu légitimement se fier au système juridique français. Les créanciers qui déposent leurs fonds dans un établissement financier doivent pouvoir, légitimement, se fier à la protection qu’assure le système bancaire français. Ils peuvent espérer, en cas de déroute de l’établissement financier, bénéficier de la protection qu’assure la loi française dans une telle situation.

Pour l’ensemble de ces raisons, il est unanimement admis qu’il n’est guère possible de laisser à l’arbitrage le traitement des entreprises en difficulté176.

214- Pour autant, des conventions d’arbitrage ont pu être conclues par le débiteur avant qu’il soit placé dans une procédure collective. De même, les organes de la procédure peuvent trouver intérêt à conclure des conventions d’arbitrage en cours de procédure. Ces conventions seront-elles privées de toute efficacité ? La jurisprudence est loin de le penser. En voici un aperçu.

La Cour de cassation déclare que le principe d’ordre public de l’arrêt des poursuites individuelles interdit, après l’ouverture de la procédure collective, la saisine du tribunal arbitral par un créancier dont la créance a son origine antérieurement au jugement d’ouverture, sans qu’il se soit soumis au préalable à la procédure de vérification des créances177. Cet arrêt pourrait signifier qu’une fois la procédure de vérification des créances effectuée, la convention d’arbitrage pourrait trouver application et le litige sera bien soumis à l’arbitrage. En effet, la

176 V., en particulier, P. Ancel, « Arbitrage et procédures collectives après la loi du 25 janv. 1985 », Rev. arb.

1987.127 ; « Arbitrage et procédure collective », Rev. arb. 1983.255 ; Ph. Fouchard, « Arbitrage et faillite », Rev. arb. 1998.471.

177 Com. 2 juin 2004, D. 2004.Somm. 3184, obs. Clay, RTDCom. 2004.439, obs. Loquin, Act. proc. coll. 2004,

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Cour de cassation a censuré l’arrêt qui avait jugé que l’article L. 621-40 C. com. ne peut avoir pour effet de rendre nulle une clause d’arbitrage valablement conclue avant que les sociétés en cause ne soient dessaisies de leurs droits, ajoutant que la règle d’ordre public de la suspension des poursuites individuelles et l’obligation pour le créancier de se soumettre à la procédure de vérification des créances ne s’opposent pas à la constitution du tribunal arbitral, ce dernier étant seul juge pour statuer sur la validité ou les limites de son investiture178. De même, il a été décidé que lorsque l’instance arbitrale formée contre le débiteur a été commencée avant l’ouverture de la procédure, l’instance arbitrale est, en application de l’article L. 621-41 C. com., suspendue jusqu’à ce que le créancier ait déclaré sa créance. Après déclaration, l’instance reprend en présence de l’administrateur et du représentant des créanciers qui doivent être appelés en la cause, le tribunal ne pouvant statuer que sur le principe et le montant de la créance sans pouvoir condamner le débiteur à exécuter179. En revanche, lorsque la procédure d’arbitrage n’a pas commencé avant l’ouverture du redressement, le créancier, en application de l’article L. 621-40 C. com., ne peut plus saisir le tribunal arbitral mais seulement déclarer sa créance et attendre sa vérification. De même, lorsque l’instance arbitrale n’est pas en cours du jugement d’ouverture, le juge-commissaire, saisi d’une contestation et devant lequel est invoquée une clause compromissoire, doit, après avoir, le cas échéant, vérifié la régularité de la déclaration de créance, se déclarer incompétent à moins que la convention d’arbitrage ne soit manifestement nulle ou inapplicable180. Le droit français est donc loin de paralyser les conventions d’arbitrage en cas de procédure collective ouverte à l’égard du débiteur. Mais, cet arbitrage ne peut en aucun cas ni remettre en cause la compétence exclusive des tribunaux étatiques pour statuer sur la procédure collective ni influer sur la marche de la procédure elle-même. Bien au contraire, il est subordonné aux exigences d’ordre public qui s’imposent en la matière181.

178 Com., 2 juin 2004, cité à la note précédente.

179 Paris, 3 mars 1998, Rev. arb. 2003.207, obs. Fouchard.

180 Com. 2 juin 2004, RTDCom. 2004.439, obs. Loquin et p. 808, obs. Martin-Serf, Rev. arb. 2004.591, note

Ancel.

181 Sur la question, v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Paris, 2013,

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