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170- Sur ce point, le droit positif français a beaucoup évolué avec la loi du 26 juillet 2005. Avant cette loi, il y avait de nombreux cas dans lesquels la procédure était étendue à d’autres personnes : il y avait une extension qui jouait le rôle de sanction ; il y avait une extension aux membres indéfiniment et solidairement responsables du passif de la personne morale et il y avait aussi des extensions fondées sur la fictivité de l’entreprise et la confusion des patrimoines.

Diverses dispositions du Code de commerce prévoyaient qu’en cas d’ouverture d’une procédure collective à l’égard d’un débiteur, cette procédure pouvait être étendue à titre de sanction à d’autres personnes. Ainsi, dans l’ancien article L. 624-3 C. com., la procédure ouverte à l’égard d’une personne morale pouvait avoir pour conséquence que le dirigeant de cette entreprise soit condamné à combler le passif et si ce dirigeant ne s’acquittait pas de cette condamnation, la procédure collective pouvait lui être étendue. De même, l’article L. 624-5 ancien C. com. prévoyait que la procédure pouvait être étendue à l’égard de tout dirigeant de droit ou de fait contre lequel pouvait être relevé un fait répréhensible, par exemple, avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ou d’avoir, sous le couvert de la personne morale, fait des actes de commerce dans un intérêt personnel. Dans les cas prévus dans ces articles L. 624-23 et L. 624-5, l’extension jouait bien le rôle d’une sanction et avait pour effet que les créanciers de la personne morale devenaient aussi créanciers des dirigeants à l’égard desquels l’extension est décidée.

171- De même, il y avait un autre cas d’extension de la procédure qui concernait cette fois les membres indéfiniment et solidairement responsables du passif de la personne morale. Ainsi, l’article L. 624-1 décidait que le jugement qui ouvre la procédure collective d’une personne morale produit ses effets à l’égard de toutes les personnes membres ou associées de la personne morale et indéfiniment et solidairement responsables du passif social. Le texte ajoutait que dans ce cas, le

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tribunal ouvre à l’égard de chacune de ces personnes une procédure collective analogue à celle qui a été ouverte à l’égard de la personne morale (redressement ou liquidation judiciaire). On rencontrait de tels cas d’extension par exemple dans les sociétés en nom collectif ou dans les sociétés en commandite.

La loi du 26 juillet 2005 a supprimé ces extensions. Cette suppression ne signifie pas que toute sanction à l’égard des personnes concernées est supprimée. Mais, et c’est le point qui nous intéresse ici, il n’y a plus d’extension proprement dite de la procédure. En revanche, la loi nouvelle a maintenu deux autres cas d’extension qui existaient auparavant. L’article L. 621-2 C. com. prévoit, dans son alinéa 2, que « la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres

personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale ».

1 - La confusion des patrimoines

172- Pour définir la confusion des patrimoines126, il faut partir de l’idée qu’il y a plusieurs entreprises qui existent réellement et chacune a une activité. Normalement, chacune de ces entreprises a la personnalité juridique et, à partir de là, chacune est supposée avoir son patrimoine propre. Cependant, on constate qu’en fait, ces patrimoines ne sont pas aussi indépendants ou autonomes qu’ils devraient l’être. Bien au contraire, il y a une telle co-pénétration de ces patrimoines que l’on n’arrive plus à déterminer lequel correspond à la personne qui est censée en être titulaire. C’est la raison pour laquelle on parle de la confusion de ces patrimoines127.

126 Sur cette notion, v. F. Reille, La notion de confusion des patrimoines cause d’extension des procédures

collectives, Thèse Montpellier I, 2005, Bibl. dr. entr., Tome 74, 2006 ; D. Demeyre, « Le maintien par

l’ordonnance du 18 décembre 2008 du dispositif de l’extension de procédure dans la sauvegarde pour quoi faire ? », D. 2009.2297 ; v. aussi, Tricot, La confusion des patrimoines et les procédures collectives, Rapport

C. cass. 1998, p. 165.

127 Ph. Delmotte, « Les critères de la confusion des patrimoines dans la jurisprudence de la chambre

commerciale de la Cour de cassation, Pan de jurisprudence 1998-2006 », RJDA 6/06, p. 539 ; M. Cabrillac, « L’extension de la procédure collective du commerçant à son conjoint collaborateur », Mélanges A. Honorat,

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Cette confusion des patrimoines peut exister entre des personnes physiques, entre des personnes morales ou encore entre personnes physiques et personnes morales, même si, en pratique, les cas les plus fréquents dans lesquels on constate en fait l’existence d’une confusion des patrimoines sont de deux ordres : il peut s’agir d’hypothèses d’exercice conjoint de l’activité et il peut s’agir aussi des groupes de société128.

173- L’essentiel est de caractériser l’existence, en fait, de cette confusion et, sur ce point, la jurisprudence a dû entrer dans une sorte de casuistique, mais, quand on consulte les décisions, on s’aperçoit qu’il y a quand même un certain nombre de constantes. Ainsi, la confusion est caractérisée lorsqu’il existe des relations financières anormales entre les entreprises, relations qui ne peuvent s’expliquer que par le fait que ces entreprises ne sont pas indépendantes économiquement ou financièrement. Les tribunaux parlent aussi d’une imbrication des masses actives ou passives des structures concernées129. A partir de là, on relève des faits qui permettent de caractériser cette absence d’autonomie ou d’indépendance ou encore cette imbrication des masses actives ou passives. Par exemple, on relève que l’une des entreprises a payé elle-même des charges qui incombent à une autre entreprise ; on relève que l’une des entreprises qui est créancière de l’autre ne se soucie pas du paiement des factures et donc laisse l’autre entreprise régler sa dette à son égard ; dans le même ordre d’idées, une entreprise qui est locataire d’une autre entreprise ne règle pas les loyers ; il peut arriver que les comptes soient tellement imbriqués qu’il devient impossible de savoir ce qui appartient à l’une ou à l’autre entreprise. On se réfère donc à des faits qui permettent de caractériser cette confusion des patrimoines.

Le législateur a réglementé un cas de confusion des patrimoines dans l’ordonnance du 9 décembre 2010 et la loi du 12 mars 2012. Il s’agit du débiteur entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Si cet entrepreneur crée plusieurs

128 L’affaire Métaleurop fournit à la fois l’exemple et la contre-épreuve de l’existence d’une confusion de

patrimoine au sein d’un groupe de sociétés puisque la Cour de cassation énonce : « Dans un groupe de sociétés,

les conventions de gestion de trésorerie et de changes, les échanges de personnels et les avances de fonds par la société mère ne sont pas en elles-mêmes révélatrices de relations financières anormales constitutives d’une confusion du patrimoine de la société mère avec celui de la filiale » (Com., 19 avr. 2005, Bull. Joly 2005, § 155,

p. 690, note C. Saint-Alary-Houin).

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entreprises individuelles à responsabilité limitée, la tentation est grande de ne pas établir une nette distinction entre les patrimoines de ces entreprises. L’article L. 621-2 prévoit alors dans son troisième alinéa qu’un ou plusieurs autres patrimoines du débiteur entrepreneur individuel à responsabilité limitée peuvent être réunis au patrimoine visé par la procédure en cas de confusion avec celui-ci.

2 - La fictivité

174- Contrairement à la confusion des patrimoines, la fictivité ne se rencontre que dans l’hypothèse d’une personne morale. Elle signifie que la personne n’a aucune existence réelle et qu’en fin de compte elle n’est qu’une apparence, un prête-nom, aucune affectio societatis n’existe entre les associés, les assemblées ne se réunissent pas, l’entreprise n’a aucune comptabilité propre et probablement n’a aucune activité. On parle alors d’une personne morale qui n’est qu’un instrument entre les mains d’un maître de l’affaire130. Une fois la fictivité de la personne morale constatée, la procédure pourra être étendue au maître de l’affaire lequel pourra être une personne physique ou une personne morale131.

B - La procédure d’extension

175- Les textes sont très laconiques sur la procédure de l’extension. L’article L. 621-2 qui prévoit l’extension dans son alinéa 2, précise seulement que, pour cette extension, « le tribunal ayant ouvert la procédure initiale reste compétent ».

130 Sur la distinction entre la fictivité et la confusion des patrimoines, Com. 8 nov. 1988, Rev. sociétés, 1990.71,

note Honorat ; 9 avril 1991, D. 1992. Somm. 3, obs. Derrida.

131 Pour une illustration, v. Versailles, 6 mars 1997, Bull. Joly 1997.683 relevant que dès lors qu’il est établi

qu’une société a été créée dans le but d’assurer dans un délai très court le règlement du passif d’une autre société, dont elle a continué l’activité dans les mêmes locaux, avec le même dirigeant, la même clientèle, les mêmes contrats de franchise et de partenariat, permettant ainsi à l’autre société de présenter un aspect de prospérité, de bénéficier de redevances sans assumer les dettes, de conserver son patrimoine immobilier à l’abri d’une éventuelle déconfiture, il y a lieu de prononcer l’extension de la procédure de redressement judiciaire pour fictivité et confusion des patrimoines.

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Cette règle se comprend : voici une procédure collective qui est ouverte à l’égard d’une société par un tribunal de commerce et l’on s’aperçoit qu’il y a une confusion de patrimoine entre cette société et une personne physique quelconque à laquelle la procédure doit être étendue. Le tribunal de commerce qui avait ouvert la procédure à l’égard de la société est lui-même compétent pour étendre la procédure. Cette solution avait été dégagée à l’origine par la jurisprudence132. Elle l’appliquait surtout dans le domaine des groupes de sociétés. L’actuel article R. 600-1 C. com. donne compétence pour ouvrir la procédure collective au tribunal dans le ressort duquel se trouve le siège de la société. Si un tribunal ouvre une procédure et que celle-ci doit être étendue à d’autres sociétés du même groupe ayant leur siège dans divers endroits, le tribunal initialement saisi sera compétent pour décider de l’extension et pour connaître de la procédure collective ouverte à l’égard de toutes les sociétés du groupe. C’est cette règle que reprend l’article L. 621-2 précité en décidant que le tribunal ayant ouvert la procédure initiale reste compétent.

Quant aux personnes qui peuvent demander cette extension, la Cour de cassation a estimé que la demande ne peut être formée que par les mandataires de justice. L’article L. 621-2 décide lui-aussi que l’extension se fera « à la demande

de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du ministère public ou d’office ».

Cette saisine d’office est désormais supprimée dans la nouvelle rédaction de l’article L. 621-2 issue de l’ordonnance du 12 mars 2014.

176- Si les solutions en droit interne paraissent aussi simples que maîtrisables, il n’en va pas de même dans les relations entre les Etats membres de l’Union européenne avec le règlement n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité. La difficulté est apparue dans l’arrêt Rastelli Davide133 : une procédure principale d’insolvabilité a été ouverte en France à l’encontre d’une société qui avait le centre principal de ses intérêts en France. En cours de

132 Com., 17 juill. 1990 et 23 juill. 1990, Rev. proc. coll. 1991.202, obs. J.-M. Calendini. V. aussi, D. Vidal, « La

compétence », LPA 1er juill. 1987, n° 78.

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procédure, on a constaté que le patrimoine de cette société se confondait avec celui d’une autre société ayant son siège statutaire en Italie. Le tribunal français initialement saisi de la procédure collective était-il compétent pour étendre la procédure à la société de droit italien ? La Cour de justice le refuse en énonçant :

« Le règlement n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, doit être interprété en ce sens qu’une juridiction d’un Etat membre qui a ouvert une procédure principale d’insolvabilité à l’encontre d’une société, en retenant que le centre des intérêts principaux de celle-ci est situé sur le territoire de cet Etat, ne peut étendre, en application d’une règle de son droit national, cette procédure à une deuxième société, dont le siège statutaire est situé dans un autre Etat membre qu’à la condition qu’il soit démontré que le centre des intérêts principaux de cette dernière se trouve dans le premier Etat membre ».

Cet arrêt fait une fidèle application des dispositions du règlement n° 1346/2000 qui ne donne compétence pour ouvrir une procédure principale qu’au seul tribunal du centre des intérêts principaux et qui doivent recevoir application chaque fois qu’il s’agit « de régler la compétence pour l’ouverture de

procédures d’insolvabilité et la prise de décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et s’y insèrent étroitement »134. Mais il n’est pas certain que cet arrêt permette de maîtriser les conséquences de la paralysie de l’extension de la procédure qui en résulte135.