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Les propos associés aux citoyens surpris de découvrir les pratiques actuelles de la publication scientifique laissent apparaître d’autres figures-types que sont l’État et les instituts de recherche publics garants de la science publique et des droits des citoyens. Il est important de bien

préciser qu’il ne s’agit pas du discours exprimé par le gouvernement ou des instituts de recherche sur le site web de la consultation, mais bien d’une demande de la part des citoyens. En ce sens, les propositions d’amendement soulignent le rôle que devrait prendre l’État pour soutenir une recherche publique nationale.

Le premier amendement publié sur le site de la consultation le jour de son ouverture « La recherche financée par l’Etat l’État appartient à tous ! » demande la création d’une « plateforme nationale […] afin de recueillir les contributions de l’ensemble des auteurs et [que la plateforme

soit] accessible de tous »19. Un autre amendement intitulé « Accès libre intégral et obligatoire »

rappelle le rôle économique que doit assurer l’État : « Les institutions de financement de la recherche publique doivent couvrir les coûts occasionnés par le passage à l’accès libre [avec la prise en charge] des coûts de publication en accès libre par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche »20.

La demande derrière ces propos est de réaffirmer un compromis civique-industriel de longue date, représentatif du service public et d’un État-providence. Dans le Nouvel Esprit du capitalisme, l’association de ces deux logiques dans les années 1930 est associée au deuxième esprit du capitalisme, critiqué par la suite au cours des années 1960 pour ses dérives gestionnaires (cf. 3- 1-3). La conception du régime des savoirs défendue dans la perspective civique-industrielle fait écho à un ancien esprit de ‘la Science’ qu’il s’agit de rétablir. On y retrouve l’image de la Big Science, développée dans un contexte industriel et une économie nationale. L’État dans ce contexte est le créateur et le financeur des grands instituts de recherche français afin d’assurer une efficacité de la production scientifique publique, pour le bien du plus grand nombre.

Retour « méta » sur le travail d’analyse et les travaux présentés en histoire des sciences sur les régimes des savoirs

La présentation de cette première perspective civique-industrielle me permet de revenir sur la façon dont j’ai, au fur et à mesure, analysé le contenu des justifications et critiques pour les rattacher à des logiques et/ou configurations spécifiques entre logiques, notamment lors du codage axial (cf. 4- 3-2). Je me suis inspirée des définitions données des cités et mondes communs (principe supérieur commun, figure du petit, du grand, répertoire d’objets). Je me suis également appuyée sur l’analyse des compromis entre mondes communs fournie dans l’ouvrage De la justification : les économies de la grandeur. Un point majeur dans l’analyse a été celui de considérer le rôle de dispositifs variés pour venir stabiliser des compromis (cf. 3-1-2).

En portant une attention particulière, dans les discours, à la mention d’infrastructures, de textes de lois, ou d’autres normes, j’ai associé petit à petit les conceptions défendues d’un régime des savoirs, non pas seulement à la défense d’une logique de justification, mais plutôt à la défense de configurations spécifiques entre logiques stabilisées, entre autres, sous la forme de compromis (par exemple, le compromis civique-industriel représentatif d’un État providence que je viens de décrire).

Je me suis également référée tout au long de l’analyse aux descriptions données de l’esprit du capitalisme et de ses changements (cf. 3-1-3). Cette première perspective m’a semblé particulièrement représentative d’un esprit du régime des savoirs, car elle fait écho à une conception dominante de ‘la Science’ : la Big Science décrite dans le deuxième chapitre.

Un esprit est l’ensemble des discours qui justifient l’engagement du plus grand nombre (ici dans la production des savoirs), et cela par son intégration dans des directives économiques, juridiques qui ancrent l’esprit dans le « réel ». Les connaissances présentées dans le deuxième chapitre sur les régimes des savoirs m’ont été utiles pour associer aux différentes conceptions défendues du régime des savoirs dans le cas de la consultation République numérique de grandes périodes historiques de ‘la Science’, telles que la Big Science, les technosciences, etc. Cela m’a fait prendre conscience que l’approche historique des régimes des savoirs présentée dans le deuxième chapitre mêle à la fois une étude des différents régimes des savoirs (en tant qu’analyse de faits d’activités économiques, juridiques) et une étude des esprits de ce régime (les conceptions dominantes à une époque donnée présentes dans les discours).

Cela pose la question de l’interprétation historique de la valeur donnée aux sources et de l’intrication permanente entre discours sur la « réalité » et données représentatives de la « réalité des pratiques » - j’y reviens dans le dixième chapitre. À une époque donnée, une conception dominante du régime des savoirs est véhiculée (un esprit), ce qui n’empêche pas la présence d’autres conceptions qui peuvent critiquer la justification dominante. J’ai noté ce point en rappelant dans le deuxième chapitre les propos de Dominique Pestre sur l’existence de différents modes du régime des savoirs qui cohabitent en même temps (cf. 2-3-3).

La consultation, en tant qu’épreuve de réalité « équipée » par un dispositif participatif et contributif, m’a permis d’observer presque en « direct » les différentes conceptions (les modes du régime des savoirs) se disputant le statut de « ce qu’il en est de ce qui est » (l’esprit du régime des savoirs). Comme je le montre par la suite, la consultation est un moment particulièrement propice pour observer la référence à des esprits passés (dans ce chapitre), la remise en cause de l’esprit dominant actuel (technoscientifique) décrit dans le sixième chapitre, et la constitution d’un nouvel esprit à double facette où l’open est au cœur des justifications (cf. chapitre huit).

Au cours de mon doctorat, cette analyse a fait de plus en plus écho à l’« archéologie des discours »

de Michel Foucault21, puisque j’associe certains des propos à des traces de différentes conceptions

du régime des savoirs dont certaines se réfèrent à des esprits passés. Je n’ai néanmoins pas mis en avant les travaux théoriques de Foucault dans le troisième chapitre, car ce ne sont pas les concepts- clefs qui ont guidés mon travail d’analyse. Mener cette recherche m’a plutôt permis de mieux comprendre et intégrer cette riche littérature foucaldienne en expérimentant moi-même une fouille archéologique des discours.

5-2-2 Libre accès : une mission d’intérêt général des instituts de recherche

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