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De nombreux termes sont associés au qualificatif open. Jeffrey Pomerantz et Robin Peek, dans un article1 publié dans le journal First mond@y2, se lancent dans le référencement des

différentes significations de l’open. Leur objectif est de clarifier un paysage complexe et d’éviter, selon eux, de nombreuses incompréhensions. Open source, open home, open society, open shelves, open air, mais aussi open food et open washing, voici quelques-uns des noms associés à cet adjectif présentés dans l’article au titre évocateur et à la tonalité « sarcastique » : « Fifty shades of open »3. Les auteurs,

bien qu’ils ne référencent au final que 30 usages différents, retracent une courte histoire des significations données à l’adjectif open depuis le 15ème siècle jusqu’à l’explosion de son usage au 21ème siècle, accompagné d’une polysémie grandissante.

L’usage de ce terme en anglais remonte à plusieurs siècles. Il est d’abord associé à la notion d’accès, au sens d’un passage ouvert mais aussi d’une ressource partagée. Dès le 15ème siècle en effet, les notions d’open house ou d’open air font référence à des ressources qui ne sont pas détenues de façon privée mais qui appartiennent à tous : ce terme est associé à l’idée de communs. Les pratiques de communs constituent un mode de partage et d’utilisation de ressources par un groupe

de personnes4. Ce mode de gestion de ressources est courant avant les mouvements d’« enclosure »,

c’est-à-dire la privatisation (notamment des terres) par des propriétaires dès le 16ème siècle. Ce terme d’open partage ainsi une longue histoire avec celui de communs (ou (biens) communs). Au cours du 20ème siècle, ces concepts sont remis au goût du jour et deviennent une thématique de débats et de réflexions théoriques importants sur les communs informationnels, comme je le présente par la suite5.

Les auteurs de l’article « Fifty shades of open », eux-mêmes impliqués dans les mouvements de l’open (en sciences et en éducation), reviennent ensuite sur le développement d’un usage particulier de cet adjectif au 19ème siècle,. Dans le milieu des bibliothèques par exemple, les expressions d’open shelves ou open stacks (rayonnage ouvert) sont créées et reflètent l’importance donnée à l’idée d’une connaissance accessible à tous sans avoir de barrière à l’accès. À cette époque, une des limites représente le fait de devoir demander l’ouvrage à un/une bibliothécaire. La question de l’accès aux connaissances scientifiques est également longuement abordée dans cet article qui

retrace les éléments clefs du mouvement de l’open access (déclaration de Budapest et de Berlin, objectif originel de l’open access, etc.).

Pour ce qui concerne le 20ème siècle, l’article mentionne l’usage du terme open society avec la publication du livre de Karl Popper, The open society and its enemies6. Ici la signification d’open prend

une couleur plus directement politique puisqu’il s’agit de réfléchir au mode de gouvernement et au processus de prise de décisions qui, selon Popper, se doivent d’être transparents pour éviter tout pouvoir totalitaire. Ce terme est employé plus récemment avec la création de l’Open society Institute de Georges Soros en 1993, institution à l’origine de l’initiative de la Déclaration de Budapest pour l’open access en 2001.

Par la suite, l’article revient sur les revendications actuelles d’un open data(l’ouverture des données publiques) et de la mise en place d’un open governement. Dans ce cas, l’open ne signifie pas seulement le partage mais aussi la réutilisation des données publiques, nouveau gage de transparence de la relation entre gouvernement et citoyens. J’y reviens plus longuement dans une section ultérieure à ce chapitre.

Dans le panorama des nuances d’open, l’article rappelle que la popularité de ce terme au 21ème siècle est à rattacher à une autre notion celle de free au sein du domaine informatique. Les auteurs reviennent pour cela sur l’origine du mouvement des logiciels libres (free software), en tant que revendications de quatre libertés d’usage des logiciels informatiques, puis par la suite le développement de l’open source, sur une visée non plus philosophique et politique mais pragmatique. Je présente plus longuement dans la prochaine sous-section sur le développement des logiciels libres et open source, regroupés sous le terme de FLOSS pour (Free Libre Open Source Software) et les visions du monde qui les distinguent. La description de ces quelques nuances, a pour but d’introduire la tonalité de la suite de ce chapitre, où je vais exposer quelques facettes du ‘numérique’ à travers la description de mouvements contemporains structurés autour de la formule open. J’y détaille quelques uns des enjeux économiques, politiques et sociaux qu’ils soulèvent, tout en m’attachant également à souligner comment les milieux de la recherche sont concernés et prennent

part à ces enjeux. L’article « Fifty shades of open » est dans ce sens une des premières illustrations proposées de par l’engagement des deux auteurs dans l’open access/education (cf. encadré suivant).

Un regard « méta » sur l’article « Fifty shades of open »

L’article « Fifty shades of open » est lui-même représentatif de la lutte politique sous-tendant l’usage d’open et des significations qu’on lui donne. Les propos des auteurs visent à montrer les multiples usages de ce terme à la mode aujourd’hui pour dénoncer un open washing (comme dans l’expression green washing). Ils considèrent que ce terme subit un détournement pour des visées marketing et est ainsi vidé de ses significations originelles. L’open serait devenu un new green7. Cet article publié dans

First Mond@y (une des premières revues à comité de lecture open access apparue sur le Web) est délibérément engagé puisque cette publication vise à clarifier la notion d’ouverture et à en préserver son impact social, comme le rappellent les auteurs : « This snowballing growth of openness is socially beneficial, and, we believe, will make the world a better place. »8. (Traduction libre : « Cette croissance

phénoménale de l’ouverture est bénéfique sur le plan social et, à notre avis, rendra le monde meilleur ».)

On voit ainsi apparaître en toile de fond le rôle joué par les chercheurs dans la définition de la formule open. Par les idées véhiculées dans leurs publications, ils orientent les significations données à ce terme. C’est un point essentiel que je développe tout au long de cette thèse.

1-1-2 Développement de l’informatique et des

Free Libre Open Source

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