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4-2-3 Mouvements de l’enquête : phases et parallélismes

3/ Analyse du corpus et modélisation

Le troisième mouvement consiste en l’analyse des différents éléments recueillis. Ce travail d’analyse a commencé dès le début de la collecte des éléments du corpus et en même temps que l’analyse de la cartographie (mouvement 1). Le corpus principal s’est ainsi nourri tout d’abord des échanges autour du site web de la consultation République numérique (soit l’article 9 et les différentes modifications proposées ainsi que les commentaires et sources), mais aussi des listes de

discussion. Le corpus s’est rapidement étoffé par des billets de blog, des tribunes et articles de médias généralistes. L’analyse a donc bien été ici qualitative et je me suis basée sur les méthodes d’analyse développées au sein des démarches par théorisation ancrée. Celles-ci reposent sur une étude progressive des matériaux collectés avec différentes étapes qui visent à affiner au fur et à mesure les catégories et l’interprétation. Je me suis référée à l’ouvrage de Christophe Lejeune Manuel d’analyse qualitative : analyser sans compter ni classer81 ainsi qu’à l’article de Pierre Paillé « L’analyse par

théorisation ancrée »82.

Je présente dans la dernière section de ce chapitre les trois grandes étapes d’analyse définies par Lejeune (codage ouvert, axial et sélectif) en les nourrissant également des propos développés par Paillé qui précisent quant à lui cinq étapes avec à chaque fois des grandes questions pour guider l’analyse. Les propos de Paillé offrent plus de détails sur les dernières étapes de l’analyse (soit l’intégration, la modélisation et la théorisation). La figure 11 ci-dessous résume les trois grandes étapes de codage présentées par Lejeune (ouvert, axial et sélectif) avec une imbrication des étapes proposées par Paillé.

Figure 11 - Schéma résumant les différentes étapes de codage dans l’analyse par théorisation ancrée. Les trois étapes de codage décrites par Lejeune (ouvert, axial et sélectif) ont été combinées avec les étapes

proposées par Paillé. Le codage axial comporte ainsi l’étape de mise en relation et de catégorisation. Le codage sélectif se constitue des étapes d’intégration, de modélisation et de théorisation.

Le codage ouvert, axial et sélectif permet de distinguer différents niveaux de conceptualisation successifs, même si dans la recherche à proprement parler il n’est pas si aisé de délimiter le passage d’une étape à l’autre. Jusqu’à la toute fin de la recherche, les itérations sont

normales afin de vérifier, affiner à nouveau des notions, les termes employés. De plus, l’analyse par théorisation ancrée ne représente qu’un des mouvements de l’enquête (cf. figure 9).

La phase suivante permet de schématiser le processus de codage :

• La première étape consiste en un codage ouvert, c’est-à-dire une codification large basée sur

un travail d’étiquetage expérientiel83. On définit les étiquettes dans le but d’en dégager des

propriétés.

• La seconde consiste en un codage axial que l’on peut associer aux étapes de catégorisation et

de mise en relation proposées par Paillé84. Par rapport aux premières étiquettes, on dégage des

propriétés qui, articulées entre elles, forment des catégories. Ce travail se fait donc par une mise en relation que l’on peut considérer comme des tests d’articulation (d’où le terme axial). Paillé précise notamment que l’étape de mise en relation peut faire appel à une approche théorique pour définir plus précisément des concepts et mieux comprendre leur articulation (démarche que j’ai suivie, parmi d’autres).

• La dernière étape consiste quant à elle à un codage sélectif, qui tend à affiner les catégories et

à les intégrer afin de développer des scénarios permettant d’expliquer le phénomène à l’étude. Le codage sélectif englobe les trois dernières étapes du processus décrit par Paillé, à savoir l’intégration, la modélisation et la théorisation à proprement parler. Cette dernière étape constitue une « tentative de construction minutieuse et exhaustive de la « multidimensionnalité » et « multicausalité » du phénomène étudié »85.

Etiquettes propriétés et catégories : trois notions importantes à comprendre en théorisation ancrée

Trois grandes notions sont importantes à considérer pour comprendre le principe de l’analyse par théorisation ancrée : les étiquettes, les propriétés et les catégories. Les trois notions peuvent s’entremêler mais il faut les considérer comme différents niveaux de conceptualisation successifs qui amènent au fur et à mesure à se détacher des informations du terrain pour s’approcher d’une théorisation du phénomène étudié.

Ainsi, au départ, le phénomène n’apparaît pas clairement (d’où une exploration de terrain assez libre). Ce sont dans les dernières étapes seulement où l’on voit se dessiner plus clairement le phénomène. Toute l’analyse et la présentation des résultats consiste à décrire ce phénomène et d’en comprendre sa dynamique, autrement dit de saisir « le comment ». Les étiquettes sont proches du terrain et amènent petit à petit à définir ce que l’on appelle des propriétés : des éléments qui permettent de caractériser une catégorie soit un concept.

L’analyse consiste à faire ressortir progressivement les propriétés puis les catégories et d’en comprendre leur articulation. Les propriétés s’articulent entre elles pour donner une catégorie. Les catégories s’articulent entre elles pour donner un modèle. S’opère ainsi un incessant travail d’affinage et de remodelage des propriétés et des catégories en fonction de l’ajout de nouveaux éléments empiriques pour répondre aux questions posées en cours d’analyse : le principe même d’échantillonnage théorique. Étiquettes -> propriétés -> catégories -> modèle

Pour retracer ce cheminement, la rédaction de comptes rendus mais aussi la schématisation permettent de garder trace des différentes étapes de codage et de l’affinement successif des catégories. Concernant les méthodes numériques, j’ai employé le logiciel Nvivo pour organiser l’ensemble de mes sources mais également des outils de mind mapping/ carte mentale pour réaliser les premières modélisations. À la fin du processus, lors du codage sélectif, des scénarios ont été rédigés pour permettre ensuite de dégager « l’intrigue » du phénomène à l’étude (compte rendu de scénario analytique), d’expliquer le déroulement de l’analyse et de rendre compte de ces différentes

étapes (compte rendu de scénario sur le déroulement de la recherche)86.

Déterminer le point final de l’analyse ?

À quel moment le processus peut-il est considéré comme achevé ? Dans ces approches, on parle de phase de saturation, c’est-à-dire le moment où la modélisation opérée permet de répondre aux questions que l’on se posait au départ. De la modélisation, on passe à la théorisation en vérifiant au fur et à mesure la pertinence de son analyse.

La théorisation, comme le rappelle Paillé, est autant un processus qu’un résultat que l’on consolide de différentes manières tout au long de l’étude. L’échantillonnage théorique en fait partie : on soumet de nouvelles informations recueillies à l’analyse en cours, puis à la modélisation. La vérification des implications théoriques du modèle est une autre façon de procéder.

Dans le cas de ma recherche, la vérification a consisté à questionner la pertinence de la théorisation ancrée issue de l’étude d’un agencement sociétal particulier (le régime des savoirs). Pour cela, j’ai mis en perspective ma modélisation à l’étude d’un autre agencement sociétal (la démocratie). Le projet de loi République numérique et le temps de consultation en tant que tel représente en effet un moment particulièrement propice pour analyser différentes conceptions de la démocratie. J’expose ce point dans le neuvième chapitre, qui constitue l’un des deux chapitres finaux de synthèse.

La vérification du modèle s’est aussi faite par le regard porté sur de multiples autres moments d’échanges, de débats et de désaccords sur l’open, observés dans mon « quotidien » de doctorante (aussi bien par l’usage de différents outils numériques pour mener à bien ma recherche bibliographique, que le suivi de listes de discussion de recherche, ou la lecture d’articles de recherche.) L’open étant un sujet « à la mode » en 2017-2018, les occasions n’ont pas manquées pour confronter mon analyse avec l’actualité.

J’ai pu observer, par exemple, l’affaire Sapir et les critiques faites contre les dérives autoritaires de

plateformes institutionnelles87, mais encore été témoin de la mise en place de mesures

institutionnelles associées à la science ouverte en France (appel de Jussieu88, création d’un poste de

conseiller scientifique de la science ouverte au sein du Ministère de la Recherche, plan national de la science ouverte, etc.).

La fin de la thèse a été synonyme également d’une reprise de ma participation à des événements sur l’open en tant que co-fondatrice de HackYourPhD, un rôle de représentation et de coordination que j’avais préféré mettre de côté lors de mon immersion doctorale. Les conférences auxquelles j’ai pu participer (Mozilla Science Lab, Open World forum, ESOF 2018, etc.) ont aussi été des moments pour vérifier la théorisation que je proposais.

Le point final de l’analyse dans le cadre de mon doctorat (mais peut-on vraiment mettre un point final dans une démarche de recherche ?) s’est traduit par un choix, celui d’arrêter de considérer les milieux de la recherche et associatifs que je côtoie et côtoyais comme un terrain de recherche. Il a été plutôt question d’abandonner la perspective de tout vouloir suivre. Ce choix a été synonyme d’un soulagement lorsque j’ai arrêté de lire quotidiennement les mails reçus de listes de discussion

annonçant la parution de nouvel appel à communication sur les multiples axes de recherche sur le ‘numérique’ en SHS, ou bien des messages relayant les dernières actualités de l’open assortis d’éternels débats d’idées. L’expérience formatrice et transformatrice du doctorat, en s’achevant se traduit aussi par la construction de nouveaux projets associatifs avec HackYourPhD et de formation avec DRISS. Je détaille ces derniers éléments dans le chapitre dix en tant que « mots de la fin ».

Les étapes de codages ayant été présentées de façon théorique, je vais maintenant les documenter et les illustrer à travers des exemples concrets issus de mon analyse et du processus d’interprétation successif. J’expose maintenant des illustrations des deux premières étapes (codage ouvert et axial). Le codage sélectif est quant à lui abordé en introduction de la troisième partie car il représente la modélisation en tant que telle, expliquée ensuite tout au long des chapitres d’analyse (chapitre cinq à huit).

4-3 Récit d’analyse : illustration par quelques exemples des étapes

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