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Vers l’approche de l’acteur-réseau

2. Les perspectives interactionnistes

2.1. L’émergence des perspectives interactionnistes

Plusieurs travaux peuvent être distingués en fonction de leur domaine de recherche (en système d’information ou en sociologie) et en fonction de leurs apports : l’approche socio- technique, le modèle SCOT (Social Construction Of Technology) et la sociologie de l’innovation de Alter (1985, 1996, 2000). Nous proposons de présenter ces travaux à l’origine de contributions prépondérantes à la pensée interactionniste. Toutefois, une partie de leurs

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limites contraignent leur mobilisation dans notre recherche.

2.1.1.

L’approche socio-technique : la résurgence d’un déterminisme mutuel

Les chercheurs de l’Ecole socio-technique, née dans les années 1960 avec le Tavistock Institute de Londres, ont apporté une contribution critique en montrant l’existence d’une forte interdépendance entre les composantes psycho-sociologiques et techniques d’un système organisationnel. Il s’agit de l’approche socio-technique développée initialement par Trist et Bamforth (1951), poursuivie par Emery et Trist (1969) et Mumford (1983), et reprise par de nombreux chercheurs, notamment Shani et al. (1992). Trist et Bamforth (1951)13 ont noté que les résultats humains et organisationnels ne pouvaient être compris que lorsque les systèmes sociaux, psychologiques, environnementaux et technologiques étaient appréhendés dans un ensemble et non séparément. Le tout forme un « système socio-technique » ou Socio- Technical Systems (STS). Dès lors, la technologie affecte de manière variée l’organisation sociale, car technologie et organisation sont deux systèmes qui interagissent.

D’inspiration systémique, Rowe (2002) souligne que les apports de cette approche sont à la source de nombreux travaux en système d’information. De plus, les études de Mumford (1983) ont remis en cause les méthodes de développement technologique traditionnelles, appelant à la participation des utilisateurs finals de la technologie au processus de développement. Partant du principe qu’il n’existe pas de solution technique universelle, Mumford (1983) a développé une méthodologie de développement (ETHICS) extrêmement détaillée, accordant une nouvelle place à l’utilisateur dans le développement technologique. C’est avec elle « qu’apparaît pour la première fois la reconnaissance pleine et entière du rôle de l’utilisateur dans le développement technologique » (Rowe, 2002).

2.1.2.

La sociologie de l’innovation de Alter : prise en compte du collectif et de

l’imprévisibilité

De la même façon, les sociologues de l’innovation et en particulier Alter (1985, 200014) ont proposé un schéma d’analyse interactionniste du lien entre technologie et organisation.

Les apports d’Alter (2000) sont d’une part, d’avoir souligné la dimension collective de

13 Leurs études ont été menées dans les mines de charbon anglaises.

14Ses premiers travaux (1983, 1985) s’intéressent aux dynamiques sociologiques liées à la pénétration de la

bureautique dans les organisations. Il a, par la suite, affiné et enrichi son cadre théorique jusqu’à ses publications les plus récentes (Alter, 1995, 2000, 2002). La synthèse des travaux d’Alter que nous proposons ici, s’attache au lien entre technologie et organisation, et plus précisément en ce qui concerne la conception d’une innovation (qu’elle soit technologique ou non). C’est pourquoi, cette synthèse s’appuie en grande partie sur l’un de ses ouvrages, L’innovation ordinaire, paru en 2000.

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l’innovation, dimension prédominante sur ses caractéristiques intrinsèques et d’autre part, d’avoir envisagé le pilotage de l’innovation comme composé de trajectoires interrompues, non linéaires et en grande partie imprédictibles. En ce sens, Alter ouvre la voie à un mode de management par émergence, un management « chemin faisant ».

Si l’auteur nous éclaire relativement peu sur le fonctionnement interne des projets technologiques spécifiant essentiellement la présence de deux logiques antagonistes : celle des « gestionnaires » attachés à une logique d’ordre, originellement réticents à l’innovation et celle des « inventeurs » attachés à une « logique d’innovation » déviant la logique d’ordre établie dans l’organisation ; il souligne cependant l’importance du collectif pour le déploiement national de la technologie innovante. Par conséquent, l’auteur appuie les limites de toute stratégie reposant sur la diffusion des initiatives pionnières et reconnaît pleinement le caractère collectif du développement de l’innovation au-delà de ses caractéristiques intrinsèques : « le développement d’une innovation ne repose aucunement sur la qualité intrinsèque des inventions mais sur la capacité collective des acteurs à leur donner sens et usage » (ibidem, p. 88). En effet, Alter (1996) montre à travers la description du processus d’innovation (découpé selon trois phases : l’incitation, l’appropriation et l’institutionnalisation), l’importance des innovateurs mais également leur incapacité à entraîner une diffusion de leur innovation. L’invention qui n’est qu’une idée au départ se transformera en innovation si des acteurs parviennent à lui donner un sens. Cette création de sens passe par des découvertes intermédiaires, des usages imprévus et une capacité collective à en tenir compte. Par conséquent, les innovateurs doivent en permanence négocier, construire et déconstruire des « réseaux d’alliés » visant à soutenir l’innovation. Cette perspective est d’ailleurs largement partagée par les chercheurs de la théorie de l’acteur-réseau.

2.1.3.

Les limites de l’école socio-technique et de la sociologie de l’innovation

Avec le modèle socio-technique et la sociologie de l’innovation de Alter, nous sommes proche de la perspective développée par les auteurs de l’approche de l’acteur-réseau. Cependant, ces approches ont des limites.

Tout d’abord, si l’analyse socio-technique éloigne les chercheurs de conceptualisations causalistes linéaires, on est plus dans un déterminisme mutuel que dans une perspective interactionniste. Considérant la technologie comme un système technique, elle est analysée par les chercheurs socio-techniques comme une boîte noire dont les effets objectifs contraignent nécessairement le système social (Grint et Woolgar, 1997). Par ailleurs, le recours aux utilisateurs dans les phases de développement de la technologie est préconisé pour réduire les résistances au changement et remporter leur adhésion. Elle est donc davantage

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intéressée à construire une certaine « paix sociale », plutôt que de reconnaître les réelles possibilités d’action, d’interprétation et de reconstruction des utilisateurs sur la technologie dans les phases amont du processus. Enfin, et cette limite est largement surpassée dans l’approche de l’acteur-réseau d’ailleurs, pour Trist (1980) les systèmes technique et social sont complémentaires mais indépendants puisque le premier suit les lois de la nature et le second celles des sciences sociales ou humaines. L’auteur glisse vers une vision déterministe. Enfin, Alter (2000) se concentre principalement sur le passage de l’invention à l’innovation, le devenir de la technologie après son institutionnalisation n’est plus étudié. Or, un système technique peut faire l’objet d’innovation même après sa phase d’institutionnalisation, du fait même de son utilisation par les usagers (Akrich, 1993 ; Orlikowski, 1992). De plus, les logiques étudiées le sont essentiellement au regard de grandes catégories d’acteurs : les gestionnaires et les inventeurs et finalement les interactions fines entre ces acteurs, les usagers, les décideurs et les concepteurs ne le sont que faiblement.

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