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La gestion de projet TI dans le domaine public

1. P RÉCISIONS QUANT À L ’ OBJET D ’ ÉTUDE : LE PROJET TECHNOLOGIQUE

2.3. Les relations entre les acteurs dans les projets

2.3.5. La gestion des conflits dans les projets

A travers l’approche de la gestion des conflits des projets, nous allons voir que différents travaux envisagent la gestion des projets technologiques à travers des perspectives dites comportementalistes. Les auteurs s’attachent alors à comprendre l’émergence des conflits et les raisons du succès ou de l’échec des projets en empruntant une perspective politique ou culturelle. Puis, nous nous concentrerons sur les travaux spécifiques à la gestion des conflits.

 Les perspectives comportementalistes

Les travaux de ces perspectives s’inscrivent dans un cadre rattaché à l’analyse stratégique des organisations (Crozier et Friedbger, 1977). Ces travaux orientés vers une approche descriptive du système d’acteurs cherchent à déterminer les rôles et les interactions des acteurs dans la réussite ou l’échec des projets. Deux catégories de travaux sont identifiables. La première catégorie étudie les comportements organisationnels (Lucas, 1973 ; Markus et Robey, 1984), ou tente de déduire les rôles et les comportements qui peuvent être considérés comme des facteurs d’échec (Bostrom et Heinen, 1977 ; Ginzberg, 198148). La seconde catégorie de travaux (Zmud, 1979 ; Ives et Olsen, 1984 ; Barki et Hartwick, 1994) définit conceptuellement et théoriquement les comportements des acteurs liés au processus de mise en œuvre. Ici, les chercheurs considèrent que « la réussite de la mise en place des systèmes d’information (basés sur un support technologique) est tributaire de l’attention portée aux problèmes de comportement organisationnel qu’impliquent leur processus de conception, d’implantation et d’utilisation » (Lucas, 1973, p.27).

Dans une perspective politique, Besson (1999) indique qu’au cours du déploiement de la technologie, des conflits apparaissent autour de la question de la gouvernance, des conflits d’influence et de buts. Ces conflits sont le fait de la déstabilisation organisationnelle provoquée par le déploiement de la technologie. Pour Besson et Rowe (2001), la mise en scène du projet par les concepteurs, les anticipations des impacts et les marges de manœuvres

48 Ginzberg (1981) a identifié six facteurs clés : la planification du projet, l’engagement dans le projet à l’échelle

de l’ensemble de l’organisation, l’étendue et la précision de l’analyse effectuée concernant les besoins des utilisateurs, la responsabilité des utilisateurs vis-à-vis de l’application SI, l’engagement dans le changement, et l’appropriation du SI par les utilisateurs.

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perçues par les acteurs conditionnent la réussite du projet.

A côté de cette perspective politique, les chercheurs s’attachent aux tensions culturelles dans la conduite des projets (Robey et Azvedo, 1994 ; Barley, 1986 ; Carton, 1999). Les auteurs mettent alors en évidence le fait que l’organisation du projet et l’équipe de déploiement peuvent être culturellement influencées. Ils insistent ici sur la confrontation de différentes cultures à l’origine potentielles de conflits, impliquant des modes opératoires et des compétences métiers différentes (Besson, 1999). Cette confrontation des cultures a notamment été soulignée par Mayrhofer et Barmeyer (2002) dans un contexte tout à fait particulier celui des fusions-acquisitions internationales. Or, à une moindre échelle, de fortes différences culturelles marquent les projets ENT. En effet, les nouvelles formes de partenariat imposées par le Ministère dans la conduite de ces projets, impliquent une collaboration étroite entre des entités aux aspects culturels différenciés : les acteurs de la sphère publique (les collectivités et les rectorats) et les acteurs de la sphère privée (les prestataires privés fournissant et développant la technologie).

Il apparaît que la perspective offerte par l’ANT permet de rassembler en un tout cohérent ces différentes perspectives dans la mesure où elle ne cherche pas à rendre compte des différences culturelles et des perspectives politiques, mais les intègre implicitement en se focalisant sur les interactions des acteurs entre eux et avec la technologie. Le facteur social, culturel ou politique ne peut être avancé que s’il laisse des traces dans le réseau. C’est pourquoi, sans rejeter ces perspectives, nous privilégions l’approche de l’acteur-réseau pour comprendre le déroulement des projets.

 La gestion des conflits

Pour Thomas (1992), le conflit se définit comme « un processus qui commence dès lors qu’une partie perçoit que l’autre affecte négativement, ou est sur le point d’affecter négativement, quelque chose d’important pour elle49 » (ibidem, p. 653). De plus, Fréchet (2004) souligne que les conflits sont reconnus depuis longtemps comme un sujet d’importance majeure pour les décideurs.

La fréquence des conflits dans les projets est, pour Marciniak (1996), la conséquence des caractéristiques propres aux projets :

• la différentiation organisationnelle fruit de l’hétérogénéité des acteurs du projet (selon leur position, les acteurs ont accès à des informations différentes et sont conduits de ce fait, à

49 « The process that begins when one party perceives that the other has negatively affected, or is about to negatively affect, something that he or she cares about » (Thomas, 1992, p.653).

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interpréter distinctement les problèmes posés et à envisager des solutions qui peuvent être divergentes) ;

• la forte interdépendance des acteurs pouvant donner lieu à des perceptions de manœuvre d’obstruction (réelles ou imaginaires) ;

• le partage limité des ressources ;

• les changements dont les projets sont porteurs ;

• et enfin la forte imprévisibilité inhérente à la conduite du projet.

La littérature nous apprend que la gestion des conflits apparaît désormais comme prépondérante à la réussite des projets. Le conflit n’est donc plus identifié comme un dysfonctionnement qu’il faut à tout prix éviter et garder sous contrôle, comme dans la perspective du « Flight Conflict » (Cheung et Chuah, 1997 ; Jameson, 1999), mais comme pouvant être positif au projet, s’il est géré. La gestion du conflit n’est plus envisagée dans une optique d’exclusion du conflit mais bien plus d’émergence et d’explicitation le plus tôt possible, pour être régulée en amont du projet (Midler, 1995 ; Picq, 1999). Midler (1993a) à travers l’édiction de sa première méta-règle, insiste sur la nécessaire construction d’une vision commune de l’équipe projet, construction possible grâce à l’émergence explicite et précoce des conflits (Midler, 1995 ; Picq, 1999). Leclair (1993) et Thomas (2002) soulignent la dimension consubstantielle du conflit au projet dont il faut savoir tirer parti. Vaaland (2004) montre que les relations tendues entre des membres d’un projet peuvent avoir des effets bénéfiques sur le projet en amenant chacune des parties à comprendre les perceptions différentes de l’autre partie sur les causes du conflit.

Concernant le mode de résolution des conflits, Marciniak (1996) montre dans une étude menée auprès de vingt-quatre projets informatiques et près de mille répondants, que l’ignorance des conflits a un impact négatif sur les résultats des projets alors que la confrontation des points de vue a un effet positif. Quant à Midler (1993b), il assigne au chef de projet et son équipe projet, le rôle d’identifier et de gérer les conflits « les équipes projet sont [...] des machines à faire émerger les conflits » (Milder, 1993, p. 137). Par conséquent, le chef de projet doit être en mesure de détecter les problèmes et de contribuer à la recherche d’un compromis judicieux avant que l’irréversibilité du projet ne dicte une solution d’urgence. Toutefois, cette prédominance accordée à la gestion des conflits peut-elle se confondre avec le poids prépondérant accordé aux controverses par les chercheurs de l’ANT ?

 Eclaircissements sur les notions de conflit et de controverse : une relation inclusive ?

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de l’acteur-réseau, nous pouvons noter que deux notions apparaissent proches et ne sont pourtant que rarement utilisées réciproquement par les chercheurs : les notions de conflit pour les gestionnaires de projet et de controverse pour les chercheurs du CSI. Chacun des deux courants n’emprunte que rarement ces deux notions, ils restent respectivement cloisonnés autour du concept de conflit pour la gestion de projet et de controverse pour l’ANT50. S’agit-il d’une simple différence terminologique ou d’une différence conceptuelle et/ou dimensionnelle ? Ces deux notions recouvrent-elles une même réalité ? Sont-elles compatibles ?

Le conflit semble, avant tout, être un phénomène uniquement social. En effet, il est une représentation individuelle pour Diné (2007) qui émerge à partir du moment où un individu désigne l’une de ses relations avec un autre individu comme problématique. Il est un phénomène social fondé sur les perceptions des acteurs au conflit pour Gaski (1984). Ni l’occurrence ni le résultat du conflit ne peuvent être complètement et rigidement déterminés par des circonstances objectives (Deutsch, 1973). Dès lors, l’analyse et la gestion du conflit nécessitent d’identifier les perceptions de chacun des acteurs sur les aspects fondamentaux du conflit.

A contrario, la perspective de la controverse des chercheurs du CSI est plus large que celle du conflit. En effet, en reprenant les fondements des auteurs de l’ANT (Callon, 1981 ; Latour, 2006), nous distinguons la controverse du conflit sur plusieurs critères :

• une controverse évoque bien plus qu’un simple désaccord entre deux acteurs : caractérisée par le débat qu’elle implique et l’argumentaire que les acteurs développent. Par conséquent, la controverse se déploie, un propos sans suite ne peut être qualifié de controverse ;

• une controverse n’implique pas seulement des acteurs mais aussi les objets circulant entre eux.

Dès lors, le conflit semble contenir un caractère uniquement social tandis que la controverse possède un caractère socio-technique.

Sans trahir les propos des auteurs, la notion de controverse est privilégiée (et affinée) par les chercheurs de l’ANT en ce sens qu’elle permet d’envisager les confrontations entre les acteurs autour des objets techniques et laisse des traces dans le réseau. Elle permet donc de suivre l’évolution des associations et de l’objet technique. Evoquer la controverse implique pour le chercheur de retracer les intermédiaires au cœur de celle-ci, les argumentaires développés par

50 Latour (1989) dans son ouvrage la Science en action, utilise sporadiquement le terme de conflit, sans toutefois

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les parties prenantes et les effets sur le réseau et ses associations. La notion de conflit, quant à elle, apparaît plus restrictive puisqu’elle se concentre uniquement sur les interactions entre les individus sans y faire participer les objets. De plus, les argumentaires développés par les acteurs n’apparaissent pas au centre des préoccupations des chercheurs. Ce qui l’est davantage c’est la façon dont ce conflit va pouvoir être résolu, même si les auteurs prennent en considération ses effets sur le projet (Barki et Hartwick, 1994). Enfin, la notion de controverse semble avoir une connotation plus positive puisqu’elle implique de « controverser », c’est-à- dire de discuter et de débattre. Finalement la perspective de la controverse, que nous avons privilégiée, implique pour le chercheur de faire davantage preuve d’empathie afin d’identifier l’argumentaire développé par les acteurs et la place des objets.

Attaché à la dynamique des projets, nous privilégierons la notion de controverse tout au long de notre recherche, tout en gardant à l’esprit que ces deux notions sont proches. Ce sont les traits observés par le chercheur qui diffèrent. Notre regard sur le projet empruntera celui de la controverse, tandis que nous puiserons également dans les travaux des chercheurs sur la résolution des conflits.

Le tableau suivant (Cf. Tableau 10) rend compte des caractéristiques de chacune de ces notions et de la focalisation du chercheur :

Tableau 10 : Caractéristiques des conflit et controverse pour le chercheur

Conflit

Focalisation du chercheur sur :

Controverse

Focalisation du chercheur sur :

Phénomène social Phénomène socio-technique Perspective individuelle Perspective collective et hybride

Provient de la perception des acteurs Provient de la perception des acteurs mais implique un débat et des argumentaires : elle se déploie Peut avoir des effets négatifs ou positifs sur le projet

en fonction de la façon dont il est géré

Permet de tester la solidité des liens des membres du réseau

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En synthèse sur la gestion des projets

Déceler le mode de pilotage des projets revient à identifier :

• leur déploiement temporel, c’est-à-dire les différentes phases du projet et les modalités de passage d’une phase à l’autre (les jalons) ;

• les acteurs, leurs rôles, leurs poids respectifs et notamment celui du chef de projet ;

• les relations entre les acteurs projets : leur mode de coordination, leur type de contractualisation.

Le pilotage par l’aval favorise la convergence entre les processus d’action/décision et les processus d’exploration et d’acquisition de connaissances et nécessite :

• une sélection des prestataires/fournisseurs en amont des projets et une relation fondée sur des négociations et des critères en lien avec le projet ;

• une conception participative des relations entre MOA et MOE ;

• des processus de négociation et d’évaluation ;

un poids prédominant du chef de projet, dont les « skills competencies » sont fortes et appuyées par une équipe projet « unie » ;

• une participation active des groupes du projet, le plus en amont possible.

Nous intéressant à des projets technologiques conduits dans le domaine public, il convient de se poser la question de savoir si ces principes de fonctionnement attachés au domaine privé, sont applicables dans le domaine public.

3.

L

A MÉTHODE PROJET DANS LE SECTEUR PUBLIC

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UNE TRANSPOSITION

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