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Les applications ultérieures de la théorie de la structuration : les travaux structurationnistes

Vers l’approche de l’acteur-réseau

2. Les perspectives interactionnistes

2.3. Les travaux structurationnistes : focalisation sur l’appropriation

2.3.2. Les applications ultérieures de la théorie de la structuration : les travaux structurationnistes

Les travaux structurationnistes (Barley, 1986 ; Orlikowski 1992, 2000 ; De Sanctis et Poole, 1994 ; Swanson et Ramiller, 1997 ; De Vaujany, 2001) partent du constat effectué par Giddens que nous venons de présenter : la nécessité de dépasser le dualisme entre les approches centrées sur l’acteur et celles centrées sur les structures. Les chercheurs structurationnistes ont transposé ces affirmations au cas de leur champ de recherche et plus précisément à l’étude du lien entre technologie et organisation.

Ces travaux se situent dans une perspective interactionniste en reconnaissant à la fois les capacités structurantes des technologies et le rôle du contexte social dans un processus de co- évolution de l’organisation et des technologies. Comme le souligne Reix (2002), l’intérêt de cette approche est de montrer que tous les problèmes sont liés (organisationnels, techniques, et humains), et que les solutions définies de manière partielle sont souvent porteuses d’effets indésirables et non anticipés. Cependant, si ces travaux partagent un certain nombre de propositions communes qui les différencient d’autres types de recherche, ils restent toutefois hétérogènes.

 Les propositions communes des travaux structurationnistes

Les propositions communes de ces travaux peuvent se rassembler autour de quatre « principes », détaillés ci-dessous.

Le rejet nuancé du déterminisme technologique

Les structurationnistes adoptent une position de déterminisme aménagé en prenant en compte le champ de contraintes et d’opportunités que permet la technologie. Olikowski (2000) notamment reconnaît que l’usage de la technologie n’est pas ouvert à toutes les possibilités, contraint par les propriétés physiques de l’artefact. DeSanctis et Poole (1990) parlent d’ailleurs de « potentiels structurels » de la technologie. Par conséquent, les chercheurs structurationnistes s’inscrivent en opposition aux excès des travaux déterministes et des recherches sociales-constructivistes les plus radicales (De Vaujany, 2000).

Le processus de structuration : un processus d’appropriation

Pour les chercheurs structurationnistes, le processus de structuration est un processus d’appropriation dans la mesure où la technologie ne joue un rôle que lorsque les utilisateurs vont l’adopter et la modifier. En effet, les travaux structurationnistes partent d’une idée assez

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simple : ce ne sont pas les outils informatiques qui sont ou non innovants, mais plutôt la façon dont les utilisateurs finals se les approprient (DeVaujany, 2001). Par conséquent, si dès sa construction initiale, la technologie possède des propriétés physiques, ces propriétés peuvent conduire à l’émergence de propriétés structurelles chez les acteurs à travers le processus d’appropriation.

La dualité de la technologie

Le principe de dualité du structurel de Giddens (1987) a été transféré par Orlikowski (1992) à celui de dualité de la technologie. L’auteur observe alors deux moments de la technologie : sa création et son utilisation, liant ces moments dans une boucle de récursivité. La technologie est à la fois créée par l’action humaine (le fait des concepteurs) mais elle influence également les actions des acteurs. Plus précisément, une fois implémentée, la technologie cesse d’appartenir aux concepteurs et fait partie des propriétés structurelles de l’organisation. La technologie déclenche un processus de structuration (l’appropriation) qui, à travers l’usage de la technologie, entraîne la remise en cause, la disparition, l’évolution ou encore le renforcement des routines.

La flexibilité interprétative

Enfin, la quatrième proposition partagée par les chercheurs structurationnistes est la flexibilité interprétative de la technologie, fondée sur la compétence des agents. La technologie n’est donc pas un objet fixe, univoque, mais elle contient un degré de flexibilité dans sa construction physique et sociale. Orlikowski (1992) approfondit le concept de flexibilité interprétative du modèle SCOT (Cf. point 2.2.1.) en montrant que même si la flexibilité n’est pas infinie, elle perdure néanmoins après le développement de la technologie, lors de son implantation et au-delà des premiers usages. Ici, la flexibilité interprétative désigne la capacité des acteurs à altérer les conditions et les impacts résultant des modes de conception et d’utilisation.

Toutefois, même si les travaux structurationnistes partagent des fondements communs provenant de la théorie de Giddens, cette unicité apparente ne doit pas masquer leur hétérogénéité.

 L’hétérogénéité des travaux structurationnistes

Après avoir synthétiquement présenté les travaux des chercheurs identifiés comme « chef de file » des approches structurationnistes en système d’information (Orlikowski, 1991, 1992, 1994, 2000, 2002 ; Desanctis et Poole, 1994 ; Swanson et Ramiller, 1997), nous spécifierons leur hétérogénéité au regard notamment de la conceptualisation de la technologie. Une annexe reprenant les spécificités et les limites de chacun de ces travaux est fournie (Cf. Annexe 1.1.).

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En ce qui concerne les travaux d’Orlikowski, la synthèse de ses recherches est une entreprise difficile du fait de leurs diversités et fortes évolutions. En effet, Orlikowski a travaillé sur différents types de technologie et a cherché à relier le concept de flexibilité interprétative à la réalité des technologies actuelles de types reconfigurables ou customizables (les intranets, les outils d’aide au travail de groupe ou encore un outil comme le blackberry). Ses premiers travaux se concentrent sur les phases de développement de la technologie (Orlikowski, 1992 ; Orlikowski et Robey, 1991 ; Orlikowski et Gash, 1994) puis sont abandonnés au profit de recherches sur les usages et sur le changement (Orlikowski, 1996, 2000). L’auteur met alors l’accent sur le changement improvisé (Orlikowski et Hofman, 1997) émergeant des interactions avec les individus et complémentaire au changement planifié.

Quant à DeSanctis et Poole (1990, 1994), à travers leur modèle de structuration adaptative, ils reconnaissent que la technologie est un construit social mais vont insister sur les caractéristiques techniques et « l’esprit » de la technologie (défini comme une propriété de la technologie présentée aux acteurs, ce à quoi elle est censée servir et ses caractéristiques structurelles). Les auteurs ont privilégié les interactions locales pour expliquer la structuration tout en reconnaissant la dimension institutionnelle dans leurs études. DeSanctis et Poole ont étudié le processus d’appropriation des Systèmes d’Aide à la Décision (SADG) et ont identifié quatre dimensions d’appropriation (les usages instrumentaux, le mode d’appropriation, la fidélité de l’appropriation et l’attitude affichée par les utilisateurs). Ils ont également suggéré différents niveaux où elles se manifestent : le niveau micro (dans les discours, les phrases) le niveau global (dans les groupes sur une période) et le niveau institutionnel (dans les formes persistantes).

Enfin, dans le prolongement des travaux de DeSanctis et Poole (1994), et ceux de Weick (1990), Swanson et Ramiller (1997) ont développé le modèle de la Vision Organisante. Les auteurs montrent que le choix et les modalités de mise en œuvre d’une technologie ne constituent pas un phénomène isolé mais bien un phénomène social ouvert qui « amène à reconsidérer les processus d’adoption technologique par et dans les organisations » (Carton, De Vaujany et Romeyer, 2003, p. 5). La vision organisante est une « communauté d’idées focalisées pour l’application des technologies de l’information dans les organisations23 » (Swanson et Ramiller, 1997, p. 460). Avec ce modèle, les auteurs rendent compte de l’importance du discours social dans la mise en œuvre et la finalisation de la technologie au sein d’une organisation. Ce discours est censé habiliter et contraindre la mise en œuvre des technologies. La vision organisante, parce qu’elle possède trois fonctions intra-

23 « An Organizing vision is a focal community for the application of information technology in organizations »

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organisationnelles (une fonction d’interprétation, une fonction de légitimation et une fonction de mobilisation), constitue une sorte de grille de lecture inter-organisationnelle de la technologie (Carton, De Vaujany et Romeyer, 2003).

Toutefois, si ces travaux diffèrent quant à leur contexte d’étude et objets de recherches, ils recèlent de plus profondes divergences concernant notamment leur fidélité plus ou moins grande aux propos de Giddens (1987) d’une part, et le niveau d’observation retenu allant du plus macro-social au micro-social De Vaujany (2000).

Un exemple caractéristique de leur hétérogénéité concerne le rôle accordé par les chercheurs à la technologie. En effet, si pour Barley (1986), la technologie est présentée comme un objet social, c'est-à-dire comme le résultat des interactions des humains dont le sens ne prend racine que dans son contexte d’utilisation (Groleau, 2000), a contrario, pour Orlikowski (1992) et DeSanctis et Poole (1990, 1994), la technologie est interprétée comme une structure permettant ou contraignant certaines actions humaines. Or, cette dernière conception est problématique car elle s’oppose directement à celle de Giddens (1987). En effet, pour l’auteur la structure n’a pas d’existence matérielle, elle n’existe que sous forme de trace dans la mémoire des acteurs. Cette opposition avec les fondements de la théorie de Giddens a conduit Orlikowski à revoir la place et la nature de la technologie. Sa conceptualisation a donc évolué au fil de ses travaux : de matérielle et sociale (Orlikowski, 1992), la technologie est devenue une série de contraintes et d’habilités (Orlikowski, 1996) puis une variable reconstruite par les acteurs qui n’a pas, par elle-même, d’efficacité causale (Orlikowski, 2000). La position actuelle de Orlikowski (2006) affirme désormais l’importance de la prise en compte de la matérialité des technologies. Ces différentes conceptions de la technologie constituent un des freins à la mobilisation de la théorie de la structuration et de ses travaux en gestion dans la compréhension des projets technologiques.

Ainsi, les travaux structurationnistes ont permis d’afficher la complexité et la nature interactive des liens entre technologie et organisation. Toutefois, ils présentent plusieurs limites pour leur mobilisation dans le cadre de notre recherche.

2.3.3.

Les limites de la théorie de la structuration : vers l’approche de l’acteur-

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