• Aucun résultat trouvé

Un investissement réciproque

Dans le document DES INFIRMIERES FACE AU SIDA (Page 142-144)

Ce qui semble le plus constant chez les infirmières comme chez les travailleurs sociaux est un considérable investissement de ces patients, qui touchent plus que d'autres une corde sensible.

Ils ne peuvent apparemment pas laisser indifférents. Ils sont jeunes, plus ou moins exclus et ils vont mourir. Lorsqu'ils se soignent ou sont suivis régulièrement, une relation intense et durable s'établit souvent entre eux et les institutions ou les services sociaux, les équipes, le personnel. Des liens se tissent au fil du temps, d'autant plus qu'à l'hôpital le patient revient de plus en plus fréquemment, et à tel point que l'équipe est comparée à la famille, ou à une famille de substitution.

"c'est la première fois que j'avais des liens si forts avec les malades… " Caroline "on est la famille." Orage

" ils se rattachent complètement à toute l'équipe hospitalière…" Germaine

" quand ils viennent chez nous, ils sont… je dis pas que c'est un modèle d'exemple notre service, mais ils sont tellement… chouchoutés. " Bienvenue

" on est plus touchés parce qu'on les connaît sur plusieurs mois, voire plusieurs années" Blandine

Il s'agit d'un attachement à double sens, surtout pour ceux qui sont abandonnés ou perdent leur entourage.

"Ce qui choque le plus c'est le manque d'entourage à la fin, plus le cas devient grave, plus tu t'aperçois du manque, là aussi c'est assez angoissant, parce que le mec a souvent tendance à faire des vieux reports sur le personnel, et ça, tu peux pas te substituer à sa vie quoi que tu fasses" Oscar

"un autre qui est quand même venu pendant un an et demi, donc là ça m'a touchée, et qui était… enfin… assez attachant, il nous appelait toutes par nos prénoms… aussi le fait que sa famille l'avait un peu abandonné, on le maternait je crois… " Blandine L'infirmière s'attache à des patients qui eux s'investissent dans des soins devenus vitaux, essentiels voire obsédants, et dans les personnes qui les prodiguent.

" ils nous appartiennent entre guillemets un peu, enfin, je veux dire,… et eux aussi ils ont l'impression qu'on leur appartient un peu quelque part. " Geneviève

"parce qu'il est mort il faudrait oublier tout ça, euh non, c'est pas possible, on peut pas oublier tout de suite !" Cathia

" je me suis peut-être trop investie dans nos relations " Bienvenue "on s'attache" Orage, Bienvenue, Germaine

" vous savez des fois les gens vous disent des choses très fortes, et euh, bon, ça vous trotte dans la tête quoi; je veux dire, quand le malade vous dit à deux heures et demie "tu sais je crois que là euh c'est terminé, n'oublie pas de venir me dire au revoir à trois heures et demie, parce que demain ça sera trop tard, je serai plus là…" et que bon vous allez lui dire au revoir, et que effectivement le lendemain vous revenez sa chambre est vide, euh, c'est… ça c'est fort… " Geneviève

Le sidéen et le professionnel fonctionnent par moments comme des vases communicants, et souvent dans le sens d'une identification du professionnel à son patient ou client:

" quand ils vont mieux, ça va mieux." Ophélie

" quand ils vont mieux, nous aussi ça va mieux" Orage

"je crois que je leur transmettais (aux toxicomanes) un peu ma peur… enfin ma peur! en tout cas la conscience du risque qu'ils prenaient… " Barbara

" mon espérance de vie est aussi limitée: je suis comme eux." Mylène

" c'est un problème qui me touche, j'ai encore plus envie de m'investir professionnellement avec des gens comme ça." Sylvie

Plusieurs travailleurs sociaux estiment qu'une particularité de leur relation avec les séropositifs et les sidéens est qu'elle les fait sortir de leur rôle professionnel et les pousse à fonctionner "dans l'affectif":

"je pense que j'ai appris aussi, après cette expérience, à me préserver un peu: ça devenait un peu affectif, et je pense qu'il faut pas non plus trop… " Antoinette

" on réagit énormément dans l'affectif, et quelquefois on ne fait pas ce qu'on avait prévu de faire (…) ça dépasse une certaine logique, ça dépasse aussi nos moyens quoi… ça fait perdre un petit peu nos bases et nos références (…) et c'est vrai que là on n'a plus du tout une position professionnelle, on est vraiment dans l'affectif… " Mylène

" j'ai eu l'impression (lors d'une formation) qu'il y avait peu abordé l'aspect professionnel. Est-ce que ça peut se distinguer les côtés personnels et professionnels ? je sais pas… Le souvenir que j'en ai gardé c'est des positionnements affectifs et très personnels sur cette question. " Marielle

C'est dire que se pose rapidement le problème des limites à respecter, problème auquel sont particulièrement sensibles les travailleurs sociaux rencontrés:

" ça devient difficile, après il venait tous les matins me voir, un jour je lui ai proposé un thé, donc, il venait prendre le thé aussi, très souvent dans mon bureau…" Antoinette

" je me sentais bien moi aussi, ça accrochait bien, mais… j'avais du mal à trouver un petit peu la limite justement, de pas rester trop longtemps (…) il y a toujours les limites qui sont repoussées avec la plupart des toxicomanes… " Marie-Ange

Parfois le soignant déborde de son rôle professionnel et rencontre le soigné à l'extérieur de l'hôpital:

" Y'en a qui vont voir les malades à l'extérieur, y'a des bouffes qui sont organisées,… bon, c'est à double tranchant, c'est comme dans certains services où tu sais que bon finalement le contrat est un peu tronqué, ça se termine relativement rapidement par le décès des malades. Dans ce genre de prise en charge, faut être capable de l'assumer, après, quand le mec commence à être vraiment malade… " Oscar

Le cas suivant rapporté par Geneviève illustre bien, parmi d'autres, l'attachement qui peut naître entre le patient et le professionnel. Il met aussi en évidence la relativité des limites du rôle du professionnel et de celles de l'institution, plus que jamais posées avec les patients sidéens.

"J'ai eu un malade que j'avais soigné pendant quatre ans, que j'aimais beaucoup aussi, parce que, je vous l'ai dit, on leur fait beaucoup de traitements, on leur fait beaucoup de choses douloureuses, on les soutient moralement, enfin à tout point de vue, on s'investit énormément, et donc j'avais un très bon… puis je le comprenais ce malade. C'est quelqu'un qui avait perdu ses parents, ses vrais parents à la guerre… enfin ils étaient allemands, donc ils ont vécu en Allemagne, et ensuite il a eu des beaux-parents qui l'ont accueilli, adoptifs, et il a perdu pendant sa première hospitalisation, il avait donc une demi-sœur de ces parents-là, et donc il a perdu pendant sa première hospitalisation son père. Et il m'a raconté tout ça pour que je l'aide à vivre mieux son hospitalisation, sa maladie enfin. Et au bout de la troisième année il a perdu sa mère. Donc il ne restait plus que sa demi-sœur et nous. Et donc, pendant la quatrième année, sa mort (sic) sa sœur est décédée d'un accident de voiture. Donc il ne restait plus que nous. Donc on l'a accompagné le mieux possible, enfin dans les meilleures conditions possibles. …… Pendant son hospitalisation son ami l'a quitté. Au bout de trois ans. Alors, comme il me disait "tu vois, j'aurais préféré qu'il me quitte au début qu'il avait appris que j'étais séropositif plutôt" parce que son copain était séronégatif, "plutôt que ce soit maintenant. Au début j'avais pas besoin de lui, or maintenant j'en ai besoin". Mais donc entre temps il a quand même connu quelqu'un d'autre, c'était très platonique mais enfin ça l'a aidé psychologiquement beaucoup. Et un jour, donc ça faisait quatre ans que je m'occupais de lui, et il m'apportait des bouquins, on se passait des disques, à chaque fois qu'il venait en consultation il venait me saluer pour me dire "tu vois en ce moment ça va bien", et puis moi j'étais contente aussi de le voir. Quand il était pas bien, je lui apportais des petites… un petit croissant, il mangeait rien, donc si il mangeait ça c'était… Mais vraiment c'était du fond du cœur parce que c'était quelqu'un de très attachant, à tous points de vue." Geneviève.

Dans le document DES INFIRMIERES FACE AU SIDA (Page 142-144)