• Aucun résultat trouvé

Du champ non professionnel à la vie privée et au domaine de l'intime

Dans le document DES INFIRMIERES FACE AU SIDA (Page 188-191)

Le glissement qui s'est opéré au cours de certains entretiens, du champ professionnel au domaine privé, soulève un ensemble de questions. L'une d'elles concerne les préoccupations personnelles des infirmières et des travailleurs sociaux par rapport au risque de transmission par voie sexuelle. Certains d'entre eux se sentent en effet directement concernés par le VIH, par rapport à leurs pratiques sexuelles. Leur inquiétude a parfois pour objet le mode de vie d'un de leur proche, parent ou ami. La question se pose alors de comprendre la manière dont interagissent et se modifient mutuellement les représentations liées à la vie privée et celles qui intéressent la pratique professionnelle. La plupart des représentations sont intériorisées en fonction de l'intra et de l'intersubjectivité qui fonctionnent comme un filtre par rapport aux informations reçues. En effet, les représentations peuvent être modifiées selon que les infirmières et les travailleurs sociaux sont ou non personnellement impliqués par le risque de contamination par le VIH dans leur vie privée. Cependant, les représentations à l'oeuvre dans l'exercice de la profession sont souvent pondérées par des défenses professionnelles, ou "défense par isolement" (Devereux: 1979), notamment en ce qui concerne les infirmières ayant en charge un nombre important de patients séropositifs. Dans le domaine privé comme dans le champ professionnel, le fait d'exercer une profession de santé peut modifier les représentations et les conduites, notamment lorsque les infirmières bénéficient d'une formation sur la maladie et sur ses modes de transmission. Pourtant, la peur face au risque de contamination par le VIH peut être ressentie de manière différente selon qu'il s'agit du champ professionnel ou du domaine privé. Elle a parfois pour conséquence un clivage qui isole les représentations dans les deux champs distincts de l'exercice professionnel et de la vie privée. Les représentations qui sont élaborées dans la pratique professionnelle peuvent être refoulées de manière à protéger l'acteur contre l'émergence de l'angoisse dans sa vie privée. Dans ce cas, les informations reçues dans la pratique professionnelle peuvent ne pas être prises en compte. La manière dont sont intériorisées, ou non, les informations dépend de plusieurs facteurs.

Les uns constituent des critères objectifs, de type socio-démographique, tels que l'âge, le sexe, la situation familiale, selon qu'elles soient mariées, divorcées ou célibataires, et le nombre d'enfants. D'autres font appel aux événements de vie. Ils se réfèrent à l'histoire familiale et au mode de vie, défini par la nature des relations avec l'environnement familial, amical et social, ainsi que par le choix des loisirs (sports, activités artistiques, seul ou en groupe, etc...). Ces facteurs intéressent également les projets de vie (vie en couple, stable ou non, procréation). Ces informations se rapportent à la vie sociale des infirmières et des assistantes sociales, c'est-à-dire à l'image qu'elles donnent à voir aux autres, tandis que la vie amoureuse et les pratiques sexuelles appartiennent au domaine de l'intime et sont plus difficiles à évaluer. Celles-ci mettent en scène des désirs inconscients et des fantasmes souvent tenus "secrets", soit par peur de révéler la partie cachée de soi, soit par pudeur, soit encore en référence à la censure sociale qui, jusqu'à maintenant interdisait de parler de sexualité autrement que sur le mode de l'humour ou du mot d'esprit (Freud: 1905). L'ensemble de ces facteurs caractérise à la fois la réalité sociale et la réalité psychique. La réalité sociale constitue la partie du sujet - professionnelle et personnelle - observable de l'extérieur. La réalité psychique fait référence aux perceptions, aux affects et à l'histoire singulière de chacun (Freud: 1915; Laplanche et Pontalis: 1964). Elle est sous-tendue par les désirs inconscients et les fantasmes qui fondent la subjectivité et que certains discours sur la vie privée et le domaine de l'intime nous ont permis d'appréhender. Toutefois, la subjectivité est tout autant à l'oeuvre dans le champ professionnel que dans la vie privée, notamment par rapport aux relations que les infirmières nouent avec leurs patients.

Cependant, par rapport aux situations rencontrées dans leur vie privée, les infirmières et les assistantes sociales s'approprient et reconstruisent des représentations qui peuvent être modifiées en fonction de la manière dont elles sont impliquées par le risque de contamination dans leur vie sexuelle. Ces représentations peuvent aussi évoluer en fonction de leur histoire personnelle, constituée aussi bien par leur biographie que par des éléments fantasmatiques construits de longue date et qui interagissent avec leur pratique professionnelle. Les expériences vécues dans la vie privée, face au risque de contamination lié aux pratiques sexuelles, génèrent des représentations qui peuvent être transposées dans le champ professionnel par le jeu des identifications et des identifications projectives. Inversement, le fait de travailler avec des patients contaminés par le VIH peut amener certaines personnes soit à avoir des conduites d'évitement et de fuite dans leur vie privée par rapport à la sexualité, notamment en évitant de multiplier les partenaires sexuels et éventuellement en se stabilisant dans une vie de couple, soit à nier, dans le cas de pratiques sexuelles à risque, le risque de contamination.

La perception du risque est subjectivée par chaque professionnel. Les représentations subissent des modifications en fonction des peurs et des idéaux

intériorisés de longue date que les risques de contamination par le VIH, étayés sur des faits réels ou sur des éléments fantasmatiques, réactivent ou renforcent. Dans cette perspective, l'analyse des discours consistait à réinterpréter, en fonction de la vie privée, les expériences vécues dans le champ professionnel et inversement.

L'échantillon

Nous avons étudié les entretiens de 23 professionnels répartis dans les trois catégories de l'échantillon, comprenant des infirmières, des travailleurs sociaux et des élèves. Les élèves en psychiatrie représentent la plus grande partie de l'échantillon des élèves. Ils appartiennent à une des dernières promotions qui a postulé à cette qualification sans avoir acquis préalablement le diplôme d'État d'infirmière.

Nous avons également analysé un entretien de groupe qui a été recueilli dans un foyer de post-cure pour toxicomanes, ayant en charge une forte proportion de patients séropositifs. Cette analyse prend particulièrement en compte les interventions d'un éducateur spécialisé et du directeur de cet établissement. Les différents professionnels se répartissent ainsi, à l'exception des deux membres du foyer de post-cure:

-10 infirmières en exercice

- 6 infirmières en formation, dont 5 en psychiatrie

- 7 travailleurs sociaux, dont 6 assistantes sociales et 1 éducatrice spécialisée Tableau des âges

âge 20/30 31/40 41/50

Infirmières 4 4 2

Élève DE 1 Élèves en psy. 5

Travail. sociaux 4 2 1

L'échantillon comprend 3 hommes, dont 2 élèves-infirmiers en psychiatrie et un infirmier, et 20 femmes réparties dans les trois autres catégories.

Les professionnels, en exercice et en formation, ont été, pour la plupart, en contact avec des personnes infectées par le VIH. En effet, 6 d'entre elles ont eu un contact occasionnel avec des personnes porteuses du virus, 13 s'occupent en majorité de patients ou d'usagers séropositifs et 4 seulement ( 3 élèves en psychiatrie, dont 2 hommes, et une éducatrice spécialisée) n'en ont pas rencontrés sur leur lieu de travail ou dans leur formation (élèves de 1ère année en psychiatrie).

Trois des femmes de l'échantillon (2 assistantes sociales et une éducatrice spécialisée) sont enceintes ou ont un projet de maternité à court terme.

Le choix de travailler sur les discours concernant la vie privée des professionnels en exercice et en formation a pour but d'élucider si les représentations sont ou non modifiées par la formation professionnelle et par l'expérience acquise au cours de la pratique professionnelle, ainsi que par la proximité corporelle qu'impliquent les soins infirmiers, qui sont parfois effectués par des éducateurs, auprès de patients sidéens. Ce choix se donne également pour objectif de repérer dans quelle mesure les représentations et les conduites à l'oeuvre dans la vie privée interagissent et/ou se modifient dans la pratique professionnelle.

Dans le document DES INFIRMIERES FACE AU SIDA (Page 188-191)