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Aider, mais à quel prix?

Dans le document DES INFIRMIERES FACE AU SIDA (Page 145-147)

"On prend sur nous" dit Odile, "Je serre les dents du début jusqu'à la fin" raconte Cathia, "on apprend à supporter en façade" explique Amandine. C'est la valorisation du rôle traditionnel de l'infirmière, "tradition de silence et d'exécution, de non-révolte, d'abnégation" nous confie Anita en faisant référence à un hôpital tenu par des religieuses.

"on essaie de rien laisser transparaître parce que c'est pas notre rôle, on n'a pas le droit" Olivia

" je peux raconter à personne… j'ai pas le droit de faire vivre aux gens ce que je vis à l'hôpital" Anita

Bernadette fait attention à ne pas montrer sa peur au patient, Tom s'est endurci, Blandine s'efforce de "ne pas penser". Chez Geneviève c'est plutôt la fuite en avant dans le don de soi: "on s'investit énormément pour eux, à tous points de vue, physique, moral, etc… et donc je me suis dit tu donnes le maximum, tu fais le maximum…" Chez Olivia et Oscar, on attribue à d'autres ce qu'on ne peut accepter et reconnaître pour son compte: le rejet ou la peur du sidéen. Chez d'autres encore la dénégation est très utilisée:

" je n'ai pas du tout de réaction de jugement" Germaine " je n'ai pas peur" Ruth

" ça ne va pas nous sauter dessus" Anita, Tom, Ruth, Camille, etc

" je ne condamnais pas, … ça ne me choquait pas outre mesure… " Simon "ça ne me décourage pas" Hector

On relève des réactions assez spécifiques comme la colère chez Odile, la fuite en avant dans la fusion chez Geneviève, mais l'une et l'autre, comme la plupart de nos interlocuteurs, jouent sur plusieurs tableaux. Et puis l'expérience et le temps font évoluer les choses, dans des directions différentes selon les personnes. Certains ont tendance à aller dans le sens d'une fermeture pour se protéger et tenir le coup, comme le décrit très bien Olivia:

"au niveau relationnel, c'est très prenant, mais au bout d'un certain nombre d'années, on finit par moins se donner peut-être. Au début il y avait un petit peu de préjugés, on avait peur. Puis à force d'en côtoyer alors beaucoup, c'est fini, c'est des habitudes." D'autres se laissent davantage modeler par les situations vécues et les rencontres, et évoluent dans le sens d'une plus grande ouverture aux autres et aux événements. Anita décrit chez elle un mûrissement:

"ce qui m'a mûri, c'est la mort au bout, … mes valeurs se sont déplacées.

Ophélie quand elle voit les patients souffrir met de côté ses idées préconçues: " au début j'avais des préjugés, bien sûr, puis maintenant c'est un malade comme un autre hein (…) au début oui, si c'était un homosexuel, mais quand on les voit se dégrader c'est un malade comme un autre, quand on les voit souffrir, ne plus marcher, pleurer."

Oscar voit ses fonctions changer dans le sens d'une valorisation de la relation par rapport aux soins techniques:

" avant j'étais un technicien de santé, maintenant je suis un éducateur, c'est le seul intérêt que j'ai à travailler ici, c'est qu'on soit pas uniquement à pousser des seringues." Mais parfois, ou pour certaines, l'ouverture est trop coûteuse, ou le stress trop fort, et le soignant a du mal à "tenir le coup". Olivia nous décrit des accès de peur qu'elle qualifie d'irrationnelle:

"le fait de travailler dans le service, on finit par être inconscient; au début on se pique, on a peur, la première fois on fait une déclaration, après on ne fait même plus de déclaration, mais quand on sort de là… quand on est fatiguée… on a des accès de peur irrationnelle. "

C'est le retour du refoulé, comme le sont aussi les actes manqués, les maladresses, les piqûres, assez fréquentes d'après les récits qui nous sont faits. Pour d'autres la charge psychologique est si lourde qu'il faut trouver une solution radicale: se mettre à l'abri et changer de service:

" quand les infirmières partent, c'est pas parce que la charge de travail est trop lourde et autre, même si c'est… c'est quand même lourd. C'est parce que sur le plan psychologique elles n'ont pas pu faire… elles pouvaient plus supporter… " Anita " il arrive un moment où, quand on sait que c'est fini, on ne sait plus comment faire, comment dire. Et ça c'est… c'est très éprouvant; on est beaucoup en question, on peut le faire un an ou deux ans, mais je crois qu'après il faut changer de service. " Germaine C'est éprouvant, on est mis en question, on ne sait plus comment faire, on ne peut plus supporter. Si certains trouvent une solution dans le départ, c'est-à- dire l'éloignement ou la fuite, d'autres veulent rester et demandent à trouver une écoute, un soutien psychologique, et à pouvoir parler. C'est une des

différences entre fonctionner "dans la défense" et fonctionner "dans le dégagement" (Lagache: 1956).

-entre utiliser des mécanismes de défense tels que nous en avons décrits (dénégation, projection, actes manqués…) régis par les processus primaires, obéissant au principe de plaisir, et dont le but est la réduction rapide ou immédiate des tensions internes

-et pouvoir accepter de ressentir l'angoisse, faire appel au jugement et aux processus secondaires, et se mettre à la recherche d'un mode d'adaptation, d'une négociation avec la (dure) réalité.

Dans le document DES INFIRMIERES FACE AU SIDA (Page 145-147)