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DES MECANISMES DE DEFENSE FACE AU SIDA

Dans le document DES INFIRMIERES FACE AU SIDA (Page 148-151)

Le besoin d'un soutien

6. DES MECANISMES DE DEFENSE FACE AU SIDA

L'ensemble de ces observations nous permet de mettre en évidence quelques mécanismes de défense utilisés par les infirmières, élèves-infirmières et travailleurs sociaux. Précisons que les mécanismes de défense que nous considérons maintenant n'ont rien de pathologique: il s'agit de mécanismes névrotiques qui permettent au fonctionnement mental du professionnel de s'adapter à la nécessité d'entrer en contact avec les séropositifs et sidéens, puis de travailler durablement à leurs côtés.

Tout soignant se trouve, bien sûr, dans la situation d'élaborer des défenses destinées à faire baisser son angoisse.

On observe par exemple le refoulement qui permet d'éliminer du champ de la conscience les représentations gênantes car liées à des pulsions ou affects désagréables.

Le mécanisme de neutralisation de l'affect se voit couramment employé (autant par le soignant que par le soigné). Il consiste à dissocier le geste d'une partie de son sens, de telle sorte que l'affect n'apparaisse pas. Il est, par exemple, utilisé dans le cas d'un geste sur une zone érogène, comme dans le toucher vaginal : la neutralisation de l'affect permet alors de déconnecter l'acte de sa signification sexuelle habituelle, pour n'en faire qu'un geste technique et médical.

Le mécanisme du déplacement permet au soignant de ne pas connaître ou reconnaître une représentation gênante, car l'affect s'associe alors à une autre représentation, acceptable celle-là. Par exemple une infirmière, habitée par un désir sexuel vis-à-vis d'un patient, déplace cet attrait sur le roman que lit ce patient, ou sur la marque de son eau de toilette.

Nous avons repéré au fil des entretiens certains mécanismes de défense que le soignant utilise plus spécifiquement dans sa relation avec le patient séropositif ou sidéen.

Un bon exemple est celui de la formation réactionnelle qui consiste à retirer l'énergie pulsionnelle aux représentations interdites et à trouver une attitude autorisée dans laquelle il la "contre-investit". Par exemple, la sollicitude pourra être une formation réactionnelle contre des représentations haineuses ou érotiques, mécanisme de défense fort bien adapté dans le cas du soignant. C'est la forme de comportement que Spitz a décrite dans le cas de la mère qui transforme (formation réactionnelle) sa haine envers son nourrisson en "sollicitude primaire anxieuse", ou son hostilité en angoisse, "hostilité maternelle déguisée en angoisse". On peut constater les mêmes attitudes chez l'infirmière à l'égard du patient sidéen qui lui est confié. Chez Sylvie, par exemple, "ne pas faire de différence et ne pas stresser le malade" peut être interprété ainsi : je m'efforce de ne pas faire de différence, car c'est interdit ; il ne faut pas le stresser, comme j'en aurais envie, lui qui me stresse tant.

Lorsque l'infirmière éprouve une haine excessive donc prohibée pour le patient sidéen (fort dégoût, désir de meurtre…), le renversement de la pulsion va l'aider à passer de la haine à l'amour, ou du sadisme au masochisme; et le

retournement contre soi, qui protège ici de l'idée inacceptable de vouloir

agresser le patient, complète le mécanisme en retournant le sadisme contre soi- même. Ainsi Mylène et Salomon convertissent leur envie d'agresser le patient en auto-agression: "non, je ne désire pas l'agresser, la preuve: c'est moi que j'agresse, je ne me protège pas, je prends des risques".

Le mécanisme de la dénégation s'accompagne souvent d'un refus de reconnaître le risque, d'une minimisation de celui-ci. Dans les entretiens on observe de nombreuses précautions verbales et des mécanismes de dénégation. Par exemple le propos est insistant, répété, "ça me pose aucun problème", "ça me gêne pas du tout", ou bien il est en contradiction avec d'autres parties du discours ou avec les attitudes ou comportements décrits par ailleurs dans l'entretien : "un malade du sida c'est un homme comme les autres, ça change rien", "il n'y a aucune précaution particulière à prendre", "ça ne me gêne pas plus que ça", etc.… Ici la représentation pulsionnelle n'est pas refoulée, mais le sujet s'en défend en refusant de l'admettre pour lui.

La mise à distance, la fuite, l'évitement, le rejet permettent au soignant de ne pas entrer dans une chambre, l'aident à limiter le plus possible une relation vécue comme dangereuse, ou des contacts corporels sources d'angoisse. Chez certaines il faudra donc quitter le service spécialisé pour les sidéens, car elles ne peuvent pas (ou plus) y assumer leur rôle.

Au contraire dans la fuite en avant, certaines courent parfois au devant du danger, se forcent de manière plus ou moins contra-phobique à affronter la peur, et ont tendance à dépasser leurs limites; elles doivent faire machine arrière lorsqu'elles atteignent l'épuisement physique ou psychique, ou lorsque,

par exemple, elles ont trop investi des relations amicales avec des patients en dehors de leur activité professionnelle.

Pour lutter contre son angoisse dépressive, contre le découragement, la tristesse, la déception, l'infirmière peut mettre en œuvre toute une panoplie de

défenses maniaques. Face aux patients sidéens les infirmières que nous avons

rencontrées ne semblent pas tomber dans le travers de l'acharnement thérapeutique, qu'elles critiquent souvent. Par contre l'illusion de toute puissance face à la vie et à la mort les pousse parfois dans le déni du danger, avec un sentiment d'invulnérabilité, qui s'accompagne parfois de prises de risques excessifs.

Les entretiens mettent aussi en évidence la projection, lorsque le professionnel attribue à d'autres (collègues, autres professionnels, autrui) ce qu'il refuse de voir en lui, les défenses obsessionnelles, avec des excès de précautions par exemple, l'isolation qui consiste à isoler une pensée ou un comportement, de telle sorte que leurs connexions, avec d'autres pensées ou d'autres comportements ou avec le reste de l'existence du sujet, se trouvent rompues, …et beaucoup d'autres mécanismes encore.

Ces défenses témoignent de représentations chargées d'angoisse et de pulsions gênantes, agressives et conflictuelles, dirigées vers les sidéens.

Insistons sur le rôle positif des défenses ici mises à jour. Les pulsions interdites risqueraient de mettre en danger le moi du soignant si elles émergeaient au grand jour, c'est-à-dire s'il en prenait brutalement conscience. Les mécanismes de défense, lorsqu'ils sont variés, ajustés aux réalités externes et internes de chacun, se révèlent utiles, efficaces, indispensables au bon fonctionnement mental des professionnels qui doivent donner de leur personne sans être épuisés par trop d'angoisse et d'affects pénibles et inhibiteurs.

On observe la plupart du temps une diversité dans les mécanismes de défense utilisés par les infirmières, ce qui signe une certaine capacité d'adaptation chez des soignants soumis à de fréquents traumatismes.

Les défenses seront plus ou moins développées en fonction : -de la pénibilité du travail

-de la charge anxieuse

-de l'expérience du professionnel

-de son degré de maîtrise de la tâche à accomplir

-du caractère porteur ou "stressant" des relations d'équipe -des événements propres au service ou à l'institution -de l'état d'équilibre affectif de la personne, etc.

Prenons encore un exemple, celui d'un mécanisme de défense comme le passage à l'acte, mécanisme peu élaboré, mais fréquent, relativement efficace et peu coûteux. On casse le thermomètre qui a servi à un patient séropositif, ou bien on jette le flacon de collyre juste entamé pour lui; c'est-à-dire que l'on détruit ou brise l'objet que l'on imagine dangereux, et du même coup on se

débarrasse de la représentation gênante d'un danger susceptible d'être envahissant. On observe ce genre de comportement défensif aussi bien chez certains professionnels peu expérimentés, que chez celui qui se trouve dans un état d'anxiété ou de fragilité psychique passagère, pour des raisons familiales peut-être, ou à la suite d'un conflit avec des collègues, ou encore après un travail trop éprouvant physiquement ou psychiquement.

Lorsque les conditions de travail se dégradent, et que les défenses mises en place ne suffisent pas, s'appauvrissent, se rigidifient, s'usent, se figent, alors le soignant risque de sombrer dans un "syndrome d'épuisement professionnel". Dans sa pratique quotidienne auprès des sidéens, le soignant a le choix entre au moins deux options:

-fonctionner avec des mécanismes de défense et des comportements inconscients tels que nous venons d'en décrire quelques uns. Ceci représente un avantage : les processus évoqués permettent une décharge immédiate, une baisse de l'angoisse, et souvent, en prime, une satisfaction.

-ajourner la satisfaction, ressentir l'angoisse, en prendre conscience, et l'assumer jusqu'à la découverte d'une issue elle-même plus satisfaisante. C'est l'éventualité la plus difficile, mais c'est aussi celle qui possède la plus grande ouverture.

Prenons un exemple. L'infirmière pose une perfusion à un patient anxieux, et visiblement plus fatigué que de coutume. Elle peut :

-faire comme si de rien n'était (fuite, refoulement, dénégation)

-remarquer le mal-être du patient, et en faire état en le mettant immédiatement à distance pour s'en protéger : "oh, ça allait mieux hier" "ça ne vous réussit pas d'aller en permission" "si c'est comme ça on va vous garder un peu plus" … -prendre conscience de ce mal être, montrer qu'elle l'a perçu et qu'elle peut le supporter, et éventuellement proposer une assistance : "vous voulez que je reste un peu ?" "le médecin va passer tout à l'heure, vous allez pouvoir lui parler" "la perfusion va vous faire du bien, essayez de vous détendre"… ou offrir à bon escient un geste, un regard, un silence, un sourire…

Bibring (1943) et Lagache (1956) ont appelé ce genre d'ouverture mécanisme de

dégagement ; le mécanisme de dégagement suppose qu'aux compulsions

défensives se substitue le choix conscient. Le dégagement est souple, fait appel au jugement et procède de l'adaptation à la réalité, tandis que la défense est inconsciente et automatique. Le mécanisme de dégagement est régi par les processus secondaires et obéit au principe de réalité, par opposition au mécanisme de défense régi par les processus primaires, obéissant au principe de plaisir et dont le but est la réduction immédiate des tensions internes. Les professionnels jouent souvent sur les deux tableaux, utilisant tantôt la défense tantôt le dégagement.

Dans le document DES INFIRMIERES FACE AU SIDA (Page 148-151)