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En quoi les infirmières du sous-ensemble 3 diffèrent-elles de leurs collègues du sous-ensemble 2 ?

Dans le document DES INFIRMIERES FACE AU SIDA (Page 178-180)

La comparaison systématique du sous-ensemble 3 avec le sous-ensemble 2 (c'est-à-dire en première approximation la majorité de leurs collègues) révèle toute une série de différences. La plus frappante, vraisemblablement la plus importante, est le peu d'importance attaché au mode de contamination: la typologie banale qui catégorise les sidéens en homosexuels, toxicomanes, transfusés, etc. n'apparaît qu'en demi-teinte. Pour Aurore: "En phase terminale la différence il n'y en a plus. Ils sont tous pareils". Aviva déclare:

R: ...au début les malades du sida étaient forcément des homosexuels ou des drogués. Il y a certaines réticences aussi peut-être par rapport à cette catégorie de personnes. Dans la mesure où ils se sont ...enfin après on s'est aperçu que tout le monde pouvait attraper, avoir le sida sans être forcément drogué ou homosexuel, je pense que ça a aussi beaucoup baissé de tension. Nous on a, enfin moi j'ai déjà eu à à soigner des homosexuels ou des drogués pour d'autres pathologies, et ce sont des des personnes comme les autres, je crois, enfin je crois, j'en suis sûre même

Q : il y a le croire, il y a en être sûr R : non non ce sont des personnes Q : et puis il y a le ressentir

R: non moi, moi je n'ai pas du tout d'appréhen..., de, d'a priori par rapport à cette catégorie de personnes, enfin ça c'est, c'est un cas personnel...

On voit que l'insistance de l'enquêteur agace la locutrice, mais ne suscite pas la vivacité, la fermeté et la fermeture de la dénégation défensive typique. Encore faut-il relever que ces évocations sont apparues chez les infirmières appartenant aux services les moins spécialisés; par là, elles font figure d'intermédiaires entre les sous-ensembles 2 et 3. Chez d'autres infirmières du sous-ensemble 3 (Angèle, par exemple) le sujet n'est même pas abordé spontanément. Quand le questionneur revient à la charge, on l'éclaire volontiers, et c'est tout. "Je le sais parce que j'ai lu le dossier, bon" (Aurélie).

Les infirmières du sous-ensemble 3 font preuve d'une connaissance des risques de contamination plus précise, d'une conscience des dangers plus aiguë que leurs collègues. Elles manifestent nettement moins de craintes diffuses et moins de fatalisme, moins de réactions phobiques et moins de dénis.

Corollairement, en toute logique donc (il est bon d'y insister) la description qu'elles donnent de leurs gestes techniques est en règle générale conforme aux

canons de l'hygiène hospitalière. S'agit-il seulement de la récitation complaisante d'une leçon bien apprise ? Il ne le semble pas, car - a contrario - beaucoup d'autres infirmières n'hésitent pas à raconter leurs entorses à la règle (par excès, ou par défaut, ou par altération), et à les couvrir par une formule du type quasi-rituel: "Je sais bien mais quand même". De plus, les infirmières du sous-ensemble 3 savent organiser leurs postes de travail, savent ce dont elles ont besoin, et savent l'obtenir; c'est vraisemblablement une des raisons pour lesquelles elles ont peu à se plaindre de la qualité et de la quantité du matériel dont elles disposent: petit appareillage, choix des gants, vêtements de travail, etc. Cette bonne cohérence entre savoir et pratique concrète ouvre la voie à l'automatisation des modes opératoires, soit un gain de temps et une réduction de la fatigue, et sans doute aussi une réduction des risques objectifs de tous ordres (aspect davantage étudié dans d'autres publications).

La demande de formation est toujours présente. Elle pèse nettement moins ici que dans l'ensemble de l'enquête. En effet, les infirmières du 3ème sous- ensemble ont eu accès à des sources suffisamment bonnes, et parviennent à se tenir au courant. Ce n'est quand même pas toujours facile: "Moi je suis d'un service où les médecins ne parlent pas beaucoup", dit Aurore; Anita déclare tenir le meilleur de son information d'un dossier du journal "Libération". Aviva donne la note majoritaire:

Q : A force d'écouter on peut avoir ce besoin de partager aussi

R: Oui mais bon à ce moment-là on le fait avec l'équipe si on a une bonne équipe. Je crois que c'est ça le rôle de l'équipe aussi, c'est de savoir, enfin j'englobe tout le monde, avec les médecins, je crois que c'est justement de pouvoir parler de ça. Enfin, nous on le fait. Mais c'est peut-être pas assez large, il faudrait pouvoir en parler avec quelqu'un, peut-être un psychologue qui a des idées aussi, ou des choses à nous apprendre et à nous apporter, qui peut peut-être nous aider aussi par rapport au travail qu'on fait actuellement...

C'est-à-dire que la construction de liens professionnels personnalisés avec les patients au long cours crée un appel d'air du côté de la psychologie.

C'est-à-dire encore que le savoir anabolisant c'est celui qu'on intègre au fur et à mesure des besoins de la pratique, au cours d'un travail commun d'élaboration au coude à coude avec l'équipe soignante au sens large. Cette dimension d'échanges et de soutien mutuel revêt manifestement une grande importance. Les communications peuvent être simplement favorisées tout en restant informelles.

R: Les malades euh ne parlent pas de leurs problèmes au médecin, ils en parlent d'abord à l'infirmière ou à l'aide-soignante

Q: et vous vous avez l'occasion de parler de tout ça, vous en parlez ? R: entre nous

Q: avec des collègues ?

R: oui. Oui. Oui parce que (petit silence) quand on ne sait pas trop quoi faire on essaie d'en parler, et ff

R: ben disons que quand on a envie de d'en parler on en parle, quand il y a un problème on en parle

Q: et à qui on en parle ?

R: d'abord aux collègues, et puis euh avec les médecins ou notre surveillante, tout le monde

Q: ça arrive que ça paraisse un peu lourd à porter quand on rentre le soir à la maison ? R: oui

Q: et vous en parlez à la maison ? R: non. Aurélie

Dans plusieurs services, les communications sont ouvertement institutionnalisées sous forme de réunions régulières. Ces réunions deviennent alors un rouage spécifique, tel le groupe Audierne, où chacun, quelle que soit sa place hiérarchique, a droit à la parole, et use de son droit. C'est de ce groupe qu'une surveillante dira: "Depuis qu'il y a la réunion, il n'y a plus de problème de charge de travail".

Les infirmières du 3ème sous-ensemble sont plus fermement que leurs collègues favorables à l'insertion de "psy" (psychologues, psychanalystes, psychiatres) dans leurs équipes. Celles qui en sont le moins bien pourvues disent leur besoin d'aide spécifique, telle Aviva:

je vous dis, la seule chose qui nous embarrassait peut-être par rapport à ça, c'est le côté psychologique

Les infirmières qui jouissent d'une meilleure proximité et d'un accès facile craignent d'en être privées (Anita).

Un point encore mérite qu'on s'y arrête. C'est le statut de la parole dans les institutions. La majorité des entretiens recueillis dans le sous-ensemble 3 témoignent d'un mode de relation qu'on ne retrouve pratiquement jamais dans les sous-ensembles 1 et 2: les communications avec les médecins sont plus aisées, moins inégalitaires qu'ailleurs. Chacun son métier, et à chacun ses responsabilités, certes, mais la liberté des échanges verbaux est franchement inhabituelle - un peu à l'image de ce qu'on observe dans des services de réanimation -. Banales ou cruciales, les décisions sont couramment précédées d'une concertation, et, pourvu qu'elles soient exécutées, on ne considère pas comme dramatique qu'elles soient suivies d'une contestation.

Dans le document DES INFIRMIERES FACE AU SIDA (Page 178-180)