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Introduction sur les simulations moléculaires

III) DYNAMIQUE MOLECULAIRE

1) Introduction sur les simulations moléculaires

Depuis environ un demi-siècle, grâce à l’essor de l’informatique, il est possible de simuler directement le comportement dynamique ou thermostatique des molécules à leurs échelles. Ces méthodes de simulation moléculaire s’appliquent sur des systèmes composés d’un milliard d’atomes au mieux (Tuzun et al., 1998). Elles sont utilisées pour simuler des systèmes de dimensions allant jusqu’au micron, pendant des durées de quelques nanosecondes au mieux. Elles permettent, grâce aux outils de la mécanique statistique, de déduire les propriétés de phase, de transport, de structure, de réactivité pour un modèle donné de description des molécules et des interactions. Il est ainsi possible de déduire des propriétés macroscopiques à partir d’informations purement microscopiques. C’est pourquoi ces méthodes sont appelées « expériences numériques » car d’une part, elles sont purement numériques, et d’autre part, dans leur protocole de fonctionnement et dans les résultats quasi-expérimentaux qu’elles fournissent, elles se rapprochent des démarches expérimentales. Ces méthodes de simulations moléculaires sont très utiles pour suppléer l’expérimentation lorsque celle-ci devient trop coûteuse sur le plan économique ou même impossible à réaliser comme, par exemple, dans le cas de conditions thermodynamiques extrêmes.

Figure (III.1): Schématisation des différentes utilisations possibles des simulations numériques à l’échelle moléculaire.

Contrairement aux approches de mécanique des milieux continus (Germain et Müller, 1994), ces approches discrètes ne nécessitent pas de connaître a priori le phénomène étudié, et dès lors d’introduire le terme mathématique afférent. Seule une formulation adéquate des potentiels d’interactions entre les différents atomes ou molécules est nécessaire. C’est dans cette modélisation de ces interactions que réside la difficulté, car de nombreuses formes existent et sont plus ou moins adaptées au phénomène que l’on cherche à étudier. Certains modèles peuvent même aboutir à des aberrations : par exemple, pour la forme dite de Maxwell du potentiel d’interaction (Boltzmann, 1995), la thermodiffusion disparaît (Chapman et Cowling, 1970) ! Ces expériences in silico complémentaires de la théorie et de

Système à étudier Modèle

Résultats expérimentaux Résultats « exacts » Prédiction théoriques

Comparaison Comparaison

Test des modèles Test des théories

Modélisation

l’expérimentation, peuvent avoir deux fonctions bien distinctes décrites par l’organigramme de la figure (III.1). La notion de complémentarité entre les théories, les expérimentations et les simulations numériques apparaît clairement sur cette figure.

De manière générale, ces approches microscopiques discrètes, qui peuvent aider à la compréhension des mécanismes physico-chimiques régissant le comportement des fluides et des solides souffrent toutes d’une faiblesse : les énormes besoins en ressources de calcul. À part pour quelques cas particuliers, il ne semble pas être possible actuellement d’appliquer ces méthodes à des problèmes concrets exprimés par les industriels. Pourtant, il est probable qu’à terme, ces techniques de simulations numériques sortiront du domaine de la recherche académique et seront une alternative intéressante aux expérimentations in vivo. Pour l’instant, on cherchera plutôt à déduire des lois simples de comportements qui seront applicables à des besoins pratiques de la production en milieu industriel.

Historiquement, dans la grande famille des méthodes de simulations moléculaires, c’est la méthode de Monte-Carlo, qui apparut la première en 1953 avec les travaux de Metropolis et al. (1953). Cette méthode purement statistique est bien adaptée à l’étude des propriétés thermodynamiques (Binder et Heerman, 1998) comme par exemple les équilibres de phase d’un système (Allen et Tildesley, 1987). La méthode consiste à faire évoluer successivement les déplacements des molécules de manière aléatoire en suivant une probabilité conditionnée par l’état thermodynamique du système considéré. Cette approche, qui est le pendant physique des méthodes de gaz sur réseau (Frisch et al., 1986), (Hecht, 1998), est notamment utilisée pour développer et affiner les potentiels d’interaction intra et inter moléculaire (Ungerer et al., 2000).

La méthode de Monte-Carlo classique ne permettant pas d’étudier les aspects dynamiques des systèmes, Alder et Wainwrigth (1957) proposèrent une alternative : la simulation numérique de la dynamique moléculaire. Cette technique permet, en intégrant les équations du mouvement à un instant t, de faire évoluer au cours du temps un système de molécules définies par leurs positions, leurs vitesses et leurs accélérations. On obtient alors, à partir d’un système initial à l’instant t, la configuration complète à un instant t+δt où δt est le pas temporel d’intégration. Cette méthode est déterministe car elle est théoriquement complètement réversible dans le temps. Mais outre les aspects de chaos déterministe liés à la très grande sensibilité aux conditions initiales (Ruelle, 1991) et (Lurçat, 1999), elle se révèle également irréversible du fait de l’imprécision numérique des ordinateurs et de la finitude du pas de temps.

Cette dynamique moléculaire est particulièrement adaptée à l’évaluation des propriétés de transport dans les fluides et les solides par le biais de mesures statistiques (Haile, 1992), (Rapaport, 1997) et (Ercolessi, 1997). Comme une grande parie du présent travail est justement consacrée à l’étude des coefficients de transport, et plus particulièrement à ceux correspondants à la thermodiffusion, un code de calcul adapté a été réalisé. Elle permet également l’obtention de la plupart des grandeurs thermodynamiques avec des algorithmes adaptés aux valeurs recherchées (Kioupis et Maginn, 2002), (Murad et Gupta, 2000), (Rapaport, 1997), mais avec des temps de calcul souvent supérieurs à ceux utilisant une approche Monte Carlo.

L’approche purement déterministe à l’échelle microscopique soulève néanmoins une question importante : comment peut-on utiliser les lois de la mécanique classique de Newton à cette échelle alors que tout le monde sait pertinemment qu’au niveau atomistique le système est régit par la mécanique quantique (Hladik, 2002) et que l’équation de Schrödinger doit être résolue (Cohen-Tanoudji, 1996) ? Afin de vérifier la validité de l’approche classique il suffit d’estimer la longueur d’onde thermique de de Broglie définie comme :

T Mkb 2 2 hπ = Λ (III.1)

où M est la masse atomique et T la température. Si Λ est très petite devant la distance interatomique moyenne, alors l’approximation classique est justifiée. Cette relation est pratiquement toujours valable dans les liquides à température ambiante et a fortiori encore plus dans des conditions supercritiques, qui sont celles pour lesquelles la majorité de nos simulations ont été réalisées. Il n’y aura pas de changement d’états électroniques pour les atomes et molécules étudiées.

Il est possible de montrer que les équations macroscopiques du type Navier-Stokes pour la quantité de mouvement ou l’équation de l’énergie pour le transport de la chaleur (Landau et Lifschitz, 1994) peuvent s’appliquer à ces échelles microscopiques (Jou et al., 2001) mais avec des coefficients de transport qui sont fonction des fréquences excitées (Hansen et McDonald, 1986). Ce nouveau formalisme s’appelle l’hydrodynamique généralisée et c’est dans son cadre qu’il est possible de montrer que les propriétés de transport déduites par dynamique moléculaire sont assimilables aux propriétés macroscopiques (à condition que la limite temporelle hydrodynamique soit atteinte et que l’ensemble des modes puisse être exprimé, c’est à dire que la limite thermodynamique soit atteinte).

Il existe d’autres méthodes, très souvent basées sur des algorithmes de dynamique moléculaire, qui permettent de simuler les échelles mésoscopiques de l’ordre des micromètres. Ces méthodologies, nommées dissipative particle dynamics, dynamique browienne, etc., sont particulièrement adaptées à l’étude des polymères, des solutions colloïdales ou encore au transport granulaire (Espanol et Serrano, 1999), (Groot et Warren, 1997), (Rudisill et Cummings, 1992) et (Xiao et Heyes, 2002). Elles semblent relativement prometteuses, mais impliquent une difficulté pour la bonne appréhension des mécanismes d’interactions entre les particules et pour l’évolution entropique de tels systèmes. Une bonne synthèse des différents domaines d’applications de ces méthodes mésoscopiques peut être trouvée dans l’article de (Mareschal et al. 1996).

a) Hydrodynamique généralisée.

Il est possible de montrer que dans le cadre du formalisme de l’hydrodynamique généralisée (Boon et Yip, 1980) et (Hansen et McDonald, 1986), les équations de bilans macroscopiques peuvent s’appliquer à l’echelle microscopique (Jou et al., 2001), mais avec des coefficients de transport qui sont fonction de la fréquence et du vecteur d’onde. La simulation numérique de la dynamique moléculaire est devenue depuis une vingtaine d’années un complément indispensable pour vérifier le comportement hydrodynamique aux échelles moléculaires, ses déviations possibles induites par les conditions aux limites (Barrat et Bocquet, 1999) ou ses gradients trop forts (Cordero et Risso, 2001). Par ailleurs, ces effets de tailles finies inhérents aux simulations moléculaires engendrent un filtrage influencent le comportement structurel meme du fluide (Ortiz de Zarate et al., 2001).

Ainsi, à cette échelle microscopique, en effectuant des simulations numériques au moyen de la dynamique moléculaire, différents auteurs ont montré qu’en faisant des moyennes statistiques un fluide représenté de manière discrète peut avoir un comportement similaire à celui décrit par les équations macroscopiques de la mécanique des milieux continus. De nombreux cas tests de la mécanique des fluides ont pu être réalisés par dynamique moléculaire avec un bon accord avec les modèles macroscopiques ou avec les données expérimentales (Bhattacharya et al., 1991). Ces validations très nombreuses ont porté sur la

convection de Rayleigh-Bénard (Mareschal et al., 1988), la propagation d’onde de choc (Holian et al., 1980), l’écoulement de Poiseuille et de Couette (Travis et Gubbins, 2000), l’écoulement de Stokes (Vergeles et al.,1996), l’écoulement autour d’un cylindre (Rapaport, 1987) l’instabilité de Couette-Taylor (Hirshfeld et Rapaport, 2000), l’instabilité de Rayleigh-Taylor (Alda et al., 1998), etc. Outre quelques déviations plus ou moins prévisibles par rapport au comportement hydrodynamique induites par les conditions aux limites, le domaine fréquentiel ou encore la nature du fluide, il est quand même intéressant de noter que de tels comportements collectifs soient si bien représentés par quelques milliers de particules. Les principales différentes par rapport au comportement hydrodynamique sont introduites par une inadéquation de la formulation des conditions aux limites (Bocquet et Barrat, 1994), dont il est parfois possible de trouver une formulation plus adaptée qui permet de concilier simulation moléculaire confinée et hydrodynamique classique (Barrat et Bocquet, 1999). Ceci, en n’oubliant pas que la dynamique moléculaire n’introduit pas explicitement de termes correspondants à une variation de la masse volumique avec la température, à un changement de tension interfaciale avec la concentration, etc.

On comprend aisément que l’ensemble de ces grandeurs de transports que l’on cherche à évaluer par dynamique moléculaire puisse être affecté par les effets de taille finie. Ceci peut être facilement mis en évidence par les résultats fournis par les simulations qui montrent une forte corrélation entre taille du système et propriété de transport mesurée (Haile, 1992) (Galliéro et al., 2002c). Ce point important sera abordé par la suite afin de limiter ces effets qui restent relativement restreints classiquement en phase fluide, mais qui peuvent devenir prépondérants pour l’étude des solides (Volz et Chen, 2000), (Chantrenne et Raynaud, 2002). Enfin, quant aux aspects purement ondulatoires, sous la forme des spectres fréquentiels des substances étudiées, ils peuvent être également analysés par la dynamique moléculaire. Celle ci permet l’obtention de ces aspects à partir du facteur de structure (Rapaport, 1997) qui est une transformée de Fourier de la fonction d’autocorrélation de la masse volumique.

b) Historique de la dynamique moléculaire.

Il est difficile de faire un historique exhaustif de la dynamique moléculaire. Avec l’augmentation de la puissance de l’informatique, les applications s’étendent à de nombreux domaines : chimie, physico-chimie, physique du solide, physique des interfaces, rhéologie, tribologie, thermodynamique, biochimie, etc.

Une réédition des principaux articles ayant contribué avant 1986 à l’essor de la dynamique moléculaire peut être trouvé dans la publication de (Ciccotti et al., 1987).

Le premier article décrivant des simulations par dynamique moléculaire a été écrit par Alder et Wainwrigth (1957). Il s’agissait d’une étude du diagramme de phase de sphères dures. Puis Gibson et al. (1960) ont été les premiers à effectuer des simulations avec des sphères interagissant au moyen d’un potentiel continu. Ces auteurs étudiaient les défauts induits par un champ radiatif. A. Rahman et al. (1964), furent parmi les pionniers pour étudier des propriétés physiques, en utilisant les corrélations des mouvements de chaque particule dans un algorithme de dynamique moléculaire appliqué à de l’argon liquide. Un peu plus tard, L. Verlet (1967) appliquait la notion de listes de voisins qui réduisait le nombre de calculs de forces (L. Verlet, 1968). Puis Hansen et Verlet (1969), ont réalisé la première étude de transition de phase par dynamique moléculaire. Au début des années 1970, les méthodes de dynamique moléculaire hors équilibre sont apparues pour étudier des propriétés de transport (Ashurst et Hoover, 1972). À titre indicatif, l’ordre de grandeur d’un pas de temps de simulation correspondait environ à une minute de temps de calcul, ce qui limitait fortement l’utilisation de ces algorithmes de calcul, alors qu’actuellement, il n’est pas rare d’effectuer

des simulations sur plusieurs millions de pas de temps en moins d’une journée. Depuis lors, la dynamique moléculaire s’applique à de nombreuses champs d’investigations : l’étude de molécules ayant des degrés internes de liberté réalistes (Ryckaert et Bellemans, 1975), les différentes méthodes hors équilibre (Ciccotti et Hoover, 1986), (Evans, et Morris, 1990), les approches ab initio, l’étude des potentiels longues distances tels ceux « électrostatiques », etc.

Ce n’est qu’au début des années 80 que la dynamique moléculaire hors équilibre directe est apparue dans les articles de Ciccoti et Tennebaum (1980) et de Tennebaum et al. (1982). L’étude par dynamique moléculaire de la thermodiffusion est apparue pour la première fois dans un article de MacGowan et Evans (1986).

c) Boîte de simulation.

Une des principales limitations introduite par les simulations de la dynamique moléculaire provient de l’aspect fini, de par la puissance des ordinateurs actuels, de la taille du système simulé. Actuellement il est possible d’envisager, pour le calcul de propriétés physiques, des simulations sur quelques millions de centre de forces, soit sur des dimensions de l’ordre du dixième de micromètre. Pour éviter une influence trop importante des effets de bords, il est très courant d’utiliser des conditions périodiques. Ainsi après avoir disposées les molécules à étudier dans une boîte de simulation de volume défini V, on peut simuler un système « infini » en répliquant virtuellement celui ci suivant toutes les directions de l’espace. Par ce moyen, on simule une boîte entière autour de chaque molécule (Allen et Tildesley, 1997), si son champ d’interaction a une portée inférieure à la moitié de la plus petite dimension de la boîte, c’est le critère dit d’image minimum (Rapaport, 1997). Mais il n’est pas toujours possible d’appliquer des contraintes aux limites de l’échantillon, c’est le cas des simulations d’agrégats.

Figure (III.2): Conditions périodiques pour une boîte de simulation en 2 dimensions.

La figure (III.2) représente, pour une géométrie bidimensionnelle, une boîte de simulation de surface fixée ainsi que ses consoeurs images engendrées par la périodicité. Comme il est précisé sur cette figure, il suffit pour éviter ces effets de surfaces, mais aussi pour conserver le nombre N de molécules constant, de remplacer immédiatement une particule qui sort de la

boîte de simulation par une particule image, de même propriétés physiques et dynamiques, qui entre par la face opposée. Ainsi, si le critère d’image minimum est respecté, cette nouvelle particule ne peut interagir avec elle même, et cette technique permet de conserver, tout en préservant les conditions périodiques, l’énergie et la quantité de mouvement du système.

Même si cette approche numérique est a priori très séduisante, car elle permet de simuler un système infini à partir d’un nombre limité de particules, néanmoins certains modes de propagation ne peuvent exister du fait des dimensions finies du système de base simulé. Ainsi, si l’on exprime les propriétés de transport de la susbstance étudiée sous une forme ondulatoire, par exemple, les phonons pour le transport de chaleur dans les solides (Kittel, 1996), et même dans les fluides (Gaeta et al., 1994), il apparaît que les grandes longueurs d’ondes associées ne peuvent pas exister. Dès lors, les processus de transport sont forcement affectés par ce filtrage numérique indésiré, qui peut s’appréhender comme un filtre passe-haut occultant ainsi la partie basse fréquence du processus étudié.