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Internationalisation de l’enseignement supérieur au Vietnam : les « joint-programs » comme zones académiques libres

Ngo Tu Lap

Professeur et docteur

École internationale - Université Nationale du Vietnam à Hanoï

En 1986, le Parti communiste du Vietnam a lancé une politique de réforme qui a conduit à l'ouverture du pays sur le monde extérieur et l'adoption de l'économie de marché. Sur une période relativement courte, cette politique a transformé ce pays, ravagé par les deux guerres d'Indochine, en une des économies les plus dynamiques du monde. Bien internationalisée, l'économie vietnamienne d'aujourd'hui est également marquée par un rôle croissant du secteur privé.

Tous ces changements sociopolitiques ont un impact important sur le système de l'enseignement supérieur du Vietnam, dont un des problèmes majeurs est le décalage entre d'une part sa philosophie et sa gouvernance, et d’autre part les exigences de l'économie de marché.

Administrativement, le gouvernement contrôle pratiquement toutes les opérations des

universités. Un des problèmes est le quota d'inscription, fixé par le gouvernement pour chaque établissement. En plus, pour être accepté dans un programme universitaire, les candidats doivent passer trois examens d'entrée, très difficiles et sélectifs, sur la base d’une note totale supérieure à un minimum fixé annuellement par le Ministère national de l'éducation et de la formation. Sur plus de deux millions de candidats, ces examens d'entrée privent les deux tiers de la possibilité d'obtenir un degré universitaire.

Financièrement, ce système est coincé entre la conception soi-disant « socialiste » qui

considère l'université en tant qu'institution d'intérêt social et le concept néolibéral qui la voit presque comme une entreprise à but lucratif. Les frais mensuels de scolarité (« frais- plafond ») dans les universités publiques ont été récemment augmentés par l'Assemblée nationale passant de 180 000 dongs (9 dollars américains) à 230 000 dongs (un peu plus de 11 dollars américains). Ces frais de scolarité si bas empêchent les universités vietnamiennes d'augmenter le salaire des enseignants et d'améliorer leurs infrastructures.

Pédagogiquement, avec la philosophie confucéenne de l'éducation, renforcée par le modèle

soviétique, qui met l'accent sur la théorie de la pratique, le système présent ne peut pas produire de ressources humaines qualifiées nécessaires pour une économie de marché de plus en plus globalisée. Plutôt que de réaliser « les missions des Lumières », l'éducation relève intrinsèquement de ce qu'on peut appeler « le clonage spirituel ».

Politiquement, les programmes d'études standards fixés par le gouvernement pour toutes

les universités sont fortement idéologiques, avec un temps d'apprentissage très important consacré aux matières de nature politique, comme le marxisme-léninisme, les pensées de Hồ Chí Minh, l'histoire du Parti communiste vietnamien, etc. Le poids des matières de nature idéologique et politique est particulièrement élevé dans les programmes de sciences sociales.

Parce qu'il est impossible de changer tout le système du jour au lendemain, surtout quand il y a des obstacles idéologiques de la part des dirigeants conservateurs et parce qu’il n’est plus possible d’attendre, étudier à l'étranger ou dans des programmes délocalisés (Joint-

programs) est une voie potentielle pour résoudre ces problèmes. Mais comme étudier à l'étranger est encore trop cher pour la plupart des Vietnamiens, étudier dans les Joint- programs semble plus accessible et raisonnable.

Dans les Joint-programs typiques, les programmes d'études et les manuels sont fournis par les universités partenaires étrangères ; toutes les matières sont entièrement enseignées en langues étrangères ; les enseignants étrangers assurent une partie des cours ; les enseignants vietnamiens recommandés par les universités vietnamiennes doivent être approuvés par les universités partenaires ; les enseignants locaux sont obligés de donner des cours conformément au programme d'études fourni par les universités partenaires ; l'évaluation et l'assurance de qualité sont contrôlées par les universités partenaires ; à la fin de leurs programmes, les étudiants obtiennent des diplômes des universités partenaires. Apparus en 1998, les Joint-programs ont connu un développement spectaculaire et sont devenus très populaires au Vietnam. Ils ont de nombreux avantages. Tout en restant sous le contrôle du gouvernement local et avec des frais de scolarité peu élevés comparativement à ceux des universités étrangères, les Joint-programs offrent un moyen pour éviter les problèmes auxquels est confronté l’enseignement supérieur vietnamien. On peut dire qu'au Vietnam, les Joint-programs jouent un rôle similaire à celui des zones économiques libres spéciales (Special Free Economic Zones, SFEZ) dans l'économie. Les SFEZ sont conçues comme des oasis libres, créés à l'intérieur d'une certaine économie, au sein desquels les capitaux, les technologies et les ressources humaines peuvent circuler librement sans déranger le système rigide socio-économique et politique du pays en question. Les SFEZ sont appréciées non seulement pour leur efficacité économique, mais aussi parce qu'elles permettent d’expérimenter une libéralisation économique sans affecter les anciens régimes sociopolitiques et économiques.

De la même manière, au Vietnam au moins, les Joint-programs sont intrinsèquement des oasis universitaires libres. Administrativement, ils profitent davantage de liberté : la plupart des Joint-programs n’ont pas d’examens d'entrée, les portes universitaires sont ouvertes à pratiquement toute personne qui veut et peut payer pour son enseignement supérieur.

Financièrement, parce que les frais de scolarité des Joint-programs sont relativement

élevés, les rémunérations des enseignants peuvent être plus élevées, y compris ceux provenant des universités étrangères. C’est aussi la possibilité de former un personnel académique de qualité et de lutter contre la corruption et autres phénomènes négatifs présents dans l'éducation. Pédagogiquement, les Joint-programs permettent la mise en œuvre de la nouvelle philosophie, méthode et technologie éducatives. L'utilisation de langues étrangères comme langue d'instruction a également des influences importantes sur les résultats des Joint-programs.

Mais le rôle le plus important des Joint-programs au Vietnam est peut-être qu’ils permettent la réalisation du modèle kantien de l'université moderne, malgré les limites du système éducatif national liées aux conditions historiques et sociopolitiques spécifique du pays. Selon Kant, les universités peuvent fonctionner correctement seulement quand on leur donne la liberté académique. S’il n'y a pas une telle liberté académique dans les universités vietnamiennes, pour le moment – et peut-être pas non plus dans un avenir proche – au moins on a, grâce à ces Joint-programs, un espace considérablement plus grand pour les recherche non censurées. Pour un pays en voie de transition comme le Vietnam, les Joint- programs jouent donc un rôle important non seulement dans la production de ressources humaines de qualité et le transfert de technologie éducative, mais aussi dans la promotion de l'esprit démocratique.

Diversification de la formation universitaire au Vietnam :

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