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Chapitre 3. Le processus de coupe des roches

3.3. La transition fragile-ductile

3.3.2. Influence de la géométrie du taillant

3.3.2.1. Influence de la forme de la section de coupe

Les taillants d'outils de forage se distinguent par la forme de leur section de coupe autant dans le domaine pétrolier (§ 3.1.1.3) que dans le domaine minier. Une section étroite à sa base a tendance à concentrer les contraintes au niveau de l'arête de coupe tandis qu'une forme large a tendance à répartir ces contraintes. En outre, le phénomène d’écaillage des bords de saignée qui dépend de la forme du taillant, augmente le rapport entre la surface de roche abattue et la section de coupe qui encaisse les efforts (§ 3.1.3). L’évolution de l'énergie spécifique avec la forme de la section peut donc s’avérer complexe.

Dans le cadre du pôle fragile, SELLAMI (1984) aborde la question de l'influence de la forme de la section

sur la ductilité du processus en rapportant les travaux de Dahan (1979). Ce dernier s'appuie sur les travaux de Boussinesq (1885) portant sur le chargement axisymétrique d'un milieu semi-infini élastique, homogène et isotrope. L'auteur détermine analytiquement la relation entre la force de pénétration et le déplacement imposé. Dahan (1979) applique ces résultats à des poinçons de profils variés (plat, sphérique ou conique). SELLAMI (1984) applique ces résultats à la pénétration (horizontale) de pics miniers avec des profils correspondants. Ils montrent ainsi qu’avant la rupture, le taillant exerce sur la roche une force de pénétration (F) qui est liée à la pénétration du taillant (y) par une loi puissance dont l’exposant dépend de la forme du pic :

( ) m

F y =Ay avec m = 1 (plat) ; m = 3/2 (sphérique) ; m = 2 (conique) (Eq. 3.7) Comme les taillants se déplacent à vitesse constante dans la roche, ces relations fournissent l'évolution de l'effort de coupe au cours du cycle de chargement-rupture d'un copeau. Les auteurs établissent ainsi la relation entre l'effort moyen (au cours du cycle) et le maximum d'effort atteint au moment de la rupture du copeau : 1 1 moy max c c F F m = + (Eq. 3.8)

Cette démarche analytique conduit à une estimation théorique de la ductilité apparente du processus de coupe inscrite dans les variations temporelles de l'effort de coupe. DELIAC (1986) valide sa démarche en observant un bon accord entre les valeurs théoriques et les valeurs expérimentales du rapport

/

moy max

c c

F F . L’exposant m, variant de 1 à 2, n’est rien d’autre que le coefficient de ductilité apparente de (SELLAMI, 1990).

Cette démarche n'est cependant pas applicable au pôle ductile car la coupe ne génère pas de copeaux macroscopiques et l'hypothèse de déformation purement élastique tombe. En effet, dans le pôle ductile, les déformations plastiques peuvent être significatives, même dans des roches au comportement fragile (DETOURNAY & DRESCHER, 1992). On verra que la pression de boue accentue ce phénomène (§ 3.3.3.4).

Dans le cas du pôle ductile, nous n'avons connaissance que des travaux de CHEATHAM & DANIELS

(1979) portant sur l'étude expérimentale d'argilites sous pression de boue. Les auteurs testent trois types de sections (triangulaire, carré et cylindrique) et montrent que celle-ci n'a pas d'influence sur l'énergie spécifique. Mais les argilites sous pression de boue se déforment de manière plastique lorsqu’elles sont soumises à l’action d’un taillant et l’on ne saurait étendre ce résultat aux grès et aux calcaires qui se déforment de manière plus fragile et sont plus sujets au phénomène d’écaillage des bords de saignée.

3.3.2.2. Influence de la largeur du taillant

LEBRUN (1978) rapporte les travaux de Roxborough & Phillips (1974) selon lesquels l'énergie spécifique

reste sensiblement constante avec la largeur du pic, avec une légère tendance à la décroissance. RICHARD (1998) a testé l'influence de la largeur de taillants rectangulaires et montré que la transition

ductile-fragile se produit à la même profondeur de passe pour tous les taillants testés (largeurs comprises entre 4.8 et 14.25 mm). Pour des taillants cylindriques, GERBAUD (1999) confirme que les

taillants de petit diamètre (8 mm) sont aussi efficaces que les taillants de grand diamètre (19 mm) et valide ce résultat à l'échelle de l'outil de forage.

3.3.2.3. Influence de l'angle de coupe

Dans le cadre du pôle fragile, NGUYEN (1974) observe que l'angle de coupe a pour effet de diminuer la

taille des copeaux et d'augmenter la ductilité apparente du processus de coupe. Ces phénomènes sont liés à l’effet inhibiteur des angles de coupe positifs sur l’initiation de fissures par traction pure (§ 3.2.3.2).

Dans le cadre du pôle ductile, RICHARD (1998) (cas du grès des Vosges) et COUDYZER & RICHARD

(2005) (cas du calcaire de Lens) montrent qu'augmenter l'angle de coupe favorise le passage d'un mode d'écoulement plastique dans la direction d'avancement à un mode d'écoulement plastique sous le taillant. Le flux de matériau plastique est alors confiné par le taillant. Comme dans le pôle fragile, on peut donc s’attendre à ce que le confinement inhibe l’initiation de fissures. Il est donc vraisemblable qu'augmenter l'angle de coupe contribue à augmenter la ductilité apparente du processus de coupe.

Ce phénomène de confinement a une grande influence sur l'énergie spécifique de coupe. La Fig. 3.15 représente l'énergie spécifique en fonction de l'angle de coupe dans le cas du grès des Vosges (28 MPa<Rc<42 MPa) à pression atmosphérique (DETOURNAY & TAN, 2002).

Fig. 3.15 : Energie spécifique en fonction de l’angle de coupe (DETOURNAY & TAN, 2002)

Dans la Fig. 3.15, les deux types de points correspondent à deux méthodes expérimentales de détermination de l'énergie spécifique. On constate tout d’abord que les énergies spécifiques obtenues au cours de ces essais sont supérieures d’un ordre de grandeur à celles obtenues par Roxborough & Phillips (1974) pour des angles de coupe négatifs dans une roche similaire (§ 3.3.1.4). Ensuite, on note que de 15° (angle de coupe typique d’un taillant PDC) à 60° (angle de coupe typique dans le chanfrein d’un taillant PDC), l'énergie spécifique augmente d'un facteur 4. De telles variations sont confirmées par MENAND (2001) pour la même roche et des angles de coupe compris entre 10° et 40° ainsi que

COUDYZER & RICHARD (2005) pour des essais à pression atmosphérique dans du calcaire de Lens

(Rc = 30 MPa). MENAND (2001) étudie aussi le calcaire de Buxy (Rc = 120 MPa). Des calculs

conduits à partir des résultats de l’auteur montrent qu’à 10° d’angle de coupe, l’énergie spécifique est comprise entre 80 MPa et 120 MPa, tandis qu’à 40° d’angle de coupe, elle est comprise entre 110 MPa et 165 MPa. L’augmentation relative de l’énergie spécifique avec l’angle de coupe est donc significativement plus faible pour la roche dure que pour les deux roches tendres.

On explique cette différence de la manière suivante. Les profondeurs de passe testées par MENAND

(2001) sont comprises entre 1 mm et 2 mm. D’après § 3.3.1.1, le grès des Vosges a vraisemblablement été coupé en dessous de sa profondeur de passe critique tandis que le calcaire Buxy au-dessus. Il semble donc que l’augmentation de l’angle de coupe affecte plus l’énergie spécifique de coupe lorsque la coupe se déroule en régime de meulage ou d’écaillage secondaire que lorsqu’elle se produit en régime d’écaillage primaire. Les résultats expérimentaux présentés au Chapitre 4 appuient cette conclusion.