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Chapitre 3. Le processus de coupe des roches

3.3. La transition fragile-ductile

3.3.3. Influence de la pression de boue

3.3.3.4. Importance des déformations plastiques

Sous certaines conditions, la phase de dilatance peut être remplacée ou suivie par une phase de compaction cisaillante ("shear-enhanced compaction") associée à l’effondrement des pores et à la fracturation des grains (GUEGUEN & FORTIN, 2005). Dans le cas du grès des Vosges, ces derniers

montrent que la substitution de la dilatance par de la compaction est due à la porosité élevée de la roche (n = 25 %). Ce phénomène se produit pour des pressions de confinement supérieures à 30 MPa et se manifeste par l’apparition de bandes de compaction dans lesquelles la porosité peut chuter de 20 %. LEDGERWOOD (2007) cite des travaux qui étendent à d'autres roches poreuses (roches

carbonatées) l'occurrence du phénomène de compaction cisaillante.

L’effet inhibiteur de la pression de boue sur la localisation du cisaillement est étudié en détail par LEDGERWOOD (2007). Comme les auteurs cités au § 3.3.3.2, l’auteur transpose à la coupe des roches les

phénomènes observés au cours d’essais triaxiaux.

La démarche de LEDGERWOOD (2007) consiste à calibrer un modèle aux éléments discrets sur un

ensemble de courbes expérimentales de contrainte-déformation obtenues sous différentes pressions de confinement. Dans la Fig. 3.18, on représente deux exemples de résultats de son modèle. Les zones sombres (respectivement claires) représentent des particules de roche ayant conservé (respectivement perdu) leurs liens avec leurs voisines.

Fig. 3.18 : Cisaillement localisé et compaction cisaillante (LEDGERWOOD, 2007)

A gauche, pour une faible pression de confinement (6.9 MPa), l’échantillon se rompt suivant deux plans de cisaillement principaux et présente de la dilatance, tandis qu’à droite, pour une forte pression de confinement (280 MPa), la rupture est généralisée et présente de la compaction cisaillante. Toutefois, à la différence de GUEGUEN & FORTIN (2005), celle-ci est généralisée à tout l’échantillon. L'auteur effectue alors des simulations numériques de coupe sous pression sur le matériau particulaire calibré (Fig. 3.19). Son modèle montre les tendances expérimentales suivantes :

– les débris de coupe à pression atmosphérique (Fig. 3.19, gauche) sont constitués de copeaux de roche saine (particules sombres) et de roche broyée (particules claires). Le processus tend vers le pôle fragile ;

– les débris de coupe sous une pression de boue de 20 MPa (Fig. 3.19, droite) sont essentiellement constitués de roche broyée. Le processus tend vers le pôle ductile ;

– le passage du taillant s'effectue sur une couche de roche broyée qui reflue dans la zone de refoulement (Fig. 3.19, droite)

– l'énergie spécifique décroît en fonction de la profondeur de passe.

Essai à pression atmosphérique Essai sous pression de boue (20 MPa)

Fig. 3.19 : Phénoménologie de la coupe sous pression de boue (LEDGERWOOD, 2007)

La portée de ce dernier point est limitée par l’auteur lui-même. En effet, l’énergie spécifique est estimée à partir des efforts de coupe. Or, l'auteur admet que les efforts calculés sont très différents des efforts expérimentaux. L’estimation de l’énergie spécifique est donc fausse mais on peut supposer que l’analyse de son évolution reste pertinente. L’auteur explique cette mauvaise estimation par le caractère bi-dimensionnel de son code qui n'exprime pas un flux réel de particules. Remarquons cependant que la plupart des modèles analytiques sont bi-dimensionnels et que l'hypothèse des déformations planes qu'ils invoquent a été validée expérimentalement dans de nombreux contextes de coupe.

Selon l’auteur, le modèle reproduit de nombreuses observations phénoménologiques, puisque sous pression de boue et pour de nombreux types de roches (calcaires, grès, argilites), on observe que les débris sont des amalgames centimétriques de petits fragments de roche et souvent aussi de roche broyée. Ceci est illustré dans la Fig. 3.20 pour des essais élémentaires de coupe sous pression de boue.

Marbre de Carthage, taillant cylindrique, (hc = 0.5 mmpm = 14 MPa)

Calcaire de Lacôme, taillant carré, (hc = 0.4 mmpm = 5 MPa)

(a) (b) (c) (d)

Fig. 3.20 : Débris de coupe sous pression de confinement (clichés personnels)

Ces copeaux centimétriques présentent une face lisse (Fig. 3.20a). Cet état de surface est associé à la présence de roche broyée et au glissement de l'amalgame le long de la face d'attaque du taillant (Fig.

3.20b). L'autre face présente un motif en dents de scie (Fig. 3.20c) similaire à celui modélisé par

LEDGERWOOD (2007) pour sa roche granulaire (Fig. 3.19, droite). Les auteurs s’accordent sur le fait que l'espace inter-stries est du même ordre que la profondeur de passe. Nos mesures photographiques confirme ce point (Fig. 3.20c).

Cependant, décrire la morphologie de ces amalgames dans un cadre général est difficile. Par exemple, LEDGERWOOD (2007) attribue cette morphologie cyclique à la durée nécessaire pour entrer en

compaction cisaillante et son modèle numérique semble indiquer que l'espace inter-stries est comparable à l'épaisseur de l'amalgame (Fig. 3.19, droite). Cependant, des mesures photographiques effectuées dans le cadre de la présente thèse montrent que l’espace inter-stries est supérieur à l’épaisseur de l’amalgame d’un ordre de grandeur (Fig. 3.20d). ZIJSLING (1987) propose de considérer

que l’épaisseur de l’amalgame correspond en fait à la longueur de ces copeaux, du moins dans le cas de l'argilite de Mancos (roche feuilletée). Selon PITRAT (1997), Warren (1988) arrive à une conclusion

similaire. Dans le cas de nos essais, la vue rapprochée d'un copeau (Fig. 3.20d) révèle que des petits fragments de roche intacte sont préservés mais qu’ils sont beaucoup plus petits que l’épaisseur des amalgames. Ces amalgames sont en fait constitués de roche broyée saturés en boue (à base d'eau) qui se décomposent lorsqu’ils sont manipulés (perte importante de cohésion) et qui se consolident en séchant. Une analyse microstructurale de ces copeaux permettrait d’approfondir ce point expérimental. Le processus d’accumulation des copeaux sous pression de boue dépend donc fortement du cadre théorique et/ou expérimental choisi. Si l'approche proposée par LEDGERWOOD (2007) est une approche

par analogie (il retrouve, dans le cas de la coupe, le phénomène calibré sur l'essai triaxial), il propose en revanche une expérience numérique plus démonstrative, où il compare les efforts requis pour abattre une roche cohésive (Rc = 55 MPa) sous une pression de boue de 20.7 MPa avec les efforts requis pour abattre la même roche mais de cohésion nulle. Le taillant est chanfreiné et la profondeur de passe imposée est faible (non précisée par l'auteur). Il constate que ces efforts sont similaires ! La roche non cohésive n'ayant pas de résistance élastique, cela implique que la part des déformations plastiques au cours de ces expériences est beaucoup plus importante que la part des déformations élastiques. LEDGERWOOD (2007) ouvre ainsi une importante discussion sur les propriétés mécaniques

fondamentales qui gouvernent la coupe des roches dans le domaine des très hautes pressions de confinement (et a priori des faibles profondeurs de passe, Fig. 3.19). Selon l'auteur, caractériser le processus de coupe par les limites élastiques de la roche (comme la résistance à la compression) revient

à négliger les contraintes additionnelles induites par les déformations plastiques. Autrement dit, cela revient à négliger la rhéologie de la roche broyée.