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Chapitre 1. Le stick-slip dans le forage pétrolier

1.2. Les vibrations des garnitures de forage

1.2.5. Identifier les modes vibratoires

1.2.5.1. Perturbations dynamiques en forage pétrolier

La première étape pour identifier les modes vibratoires qui affectent les garniture de forage est de comprendre quelles peuvent être les perturbations du système. Un des facteurs prépondérants est la nature de la roche traversée. En effet, lorsque l’outil en rotation interagit avec des roches stratifiées, anisotropes (Boualleg, 2006) ou hétérogènes (BEHR ET AL., 1993), cela génère des perturbations

harmoniques susceptibles d’exciter les fréquences de résonance des garnitures.

On a souligné que des perturbations harmoniques peuvent venir du mode d’application manuelle du poids sur l’outil par le foreur (§ 1.2.4.2). Plusieurs auteurs proposent d’automatiser cette tâche (YIGIT

& CHRISTOFOROU, 2006).

Une source de perturbations régulièrement citée est liée aux variations de la pression d’injection des pompes à boue qui se propagent jusqu’à l’outil, perturbent son fonctionnement et peuvent exciter des modes de vibrations de la structure (SCHMALHORST ET AL., 2000). Les pompes de type triplex, très courantes, permettent justement d’appliquer la charge hydraulique à l’aide de trois chambres de pression indépendantes et déphasées d’un tiers de période. Cela permet de réduire les variations de pression. Au prix de pertes hydrauliques supplémentaires, on ajoute généralement des amortisseurs hydrauliques de pulsation. Etant donné les coûts associés à ces problèmes, la recherche reste active dans ce domaine (KVERNELAND ET AL., 2005).

Dans Tab. 1.1, on représente les gammes de fréquence de quelques phénomènes vibratoires importants. On constate que le stick-slip est le principal phénomène basse fréquence, ce qui le met à l’abri d’un certain nombre de couplages, mais pas de tous, comme on le montre ci-après.

Phénomène vibratoire Gamme de fréquence (Hz)

Stick-slip 0.1-5b d Résonance en torsion 10-350b d a Bit-bounce (roller-cone) 1-20b Chaotic-whirl 10-1000c Forward-whirl 1-20b Backward-whirl 5-1000b Bit-whirl 10-50b Bit chatter 20-250b Transmission signaux 1 Pompes à boue 10 Houle 0.1 aL EDGERWOOD ET AL. (2010) bH ALLIBURTON (2007) cS CHLUMBERGER (2007) dP ASTUSEK ET AL. (2007)

Tab. 1.1 : Gammes de fréquence des phénomènes vibratoires du forage

1.2.5.2. Couplages entre modes vibratoires

Une seconde étape pour identifier les modes vibratoires est de comprendre comment ils peuvent interagir entre eux, autrement dit, par quels mécanismes ils peuvent être couplés. (TUCKER & WANG,

1999) ont décrit le formalisme général de la dynamique des garnitures de forage dans des puits réels, avec prise en compte des trois modes de déformation et de l’ensemble des interactions principales entre les tiges et leur environnement (équipements de surface, contacts tiges-puits, frottement tiges-boue, interaction outil-roche). Cependant, la dynamique des garnitures de forage est plus souvent étudiée dans des cadres simplifiés qui révèlent déjà une grande complexité. Ces simplifications sont possibles, par exemple, lorsqu’on observe sur le terrain que plusieurs modes sont découplés ; lorsqu’on se satisfait de conditions aux limites générales ; lorsque les vibrations prennent place sur une portion restreinte de la garniture ; ou lorsque l’on s’intéresse à l’influence d’un paramètre spécifique.

Dans l’étude du couplage entre les vibrations latérales et axiales, le principal mécanisme à l’œuvre est un mécanisme analogue au phénomène statique de flambage. Il est appelé "parametric resonance" (HALLIBURTON, 2007). Particulièrement présent dans les puits de faible courbure (DUNAYEVSKY ET AL., 1993), il est principalement engendré par les fluctuations du poids au crochet (§ 1.2.5.1). Certains auteurs mentionnent parfois un facteur aggravant, lié au raccourcissement différentiel de la garniture dans des sections de forte courbure (DUNAYEVSKY ET AL., 1993). Cependant, la plupart des couplages ont des causes externes, liées aux interactions entre la structure et son environnement (tiges-puits, tiges-boue, outil-roche). C’est ainsi qu’est abordée l’étude des couplages entre les vibrations latérales et les vibrations de torsion.

Dans le cadre d’une analyse de stabilité linéaire conduite sur un système dynamique, certes simplifié, mais décrivant les principales caractéristiques des vibrations des outils PDC (Fig. 1.22, gauche), ABASSIAN & DUNAYEVSKY (1998) démontrent théoriquement que les vibrations latérales (bit-whirl et

BHA-whirl sont équivalents dans ce modèle) et les vibrations de torsion sont découplées. En effet, comme il apparaît dans Fig. 1.22 (droite), les domaines de stabilité des deux modes sont disjoints. Avec une technologie d’acquisition récente, LEDGERWOOD ET AL. (2010) présentent des diagrammes de stabilité expérimentaux qui valident ces résultats. XIANPING WU ET AL. (2010) se sont penchés sur

cette question d’un point de vue théorique. Leurs résultats confirment le fait que stick-slip et whirl sont découplés. Cependant, la forme des diagrammes de stabilité présentés diffère significativement de celles des deux références précédentes, (LEDGERWOOD ET AL., 2010 émettent des réserves à ce sujet).

Schéma de principe Diagramme de stabilité

Fig. 1.22 : Modèle couplé latéral-torsion de ABASSIAN & DUNAYEVSKY (1998)

De manière complémentaire, LEINE ET AL. (2002) concentrent leur analyse théorique sur les vibrations

des drill-collars. L’interaction outil-roche est modélisée mais l’outil est supposé centré sur l’axe du puits (absence de bit-whirl). En revanche, les drillcollars sont sujets à des interactions tiges-puits et tiges-boue (Fig. 1.8). Une analyse non-linéaire de la stabilité des régimes vibratoires de ce système montre que, même si stick-slip et whirl peuvent se produire simultanément sur une très étroite fenêtre de vitesse de rotation (branche périodique stable P ), le backward-whirl pur (branche d’équilibre 2 stable E ) est découplé du stick-slip pur (branche périodique stable 4 P ) (Fig. 1.23). 1a

Schéma de principe Diagramme de bifurcations

Fig. 1.23 : Modèle couplé latéral-torsion de LEINE ET AL. (2002)

Bien que le système étudié ne soit dimensionné comme une garniture de forage, des résultats expérimentaux viennent à l’appui des résultats théoriques (Fig. 1.24). On observe que la signature en couple du backward-whirl diffère de celle du stick-slip. En effet, contrairement au stick-slip, le couple à l’outil est élevé et augmente avec la vitesse de rotation du fait de l’intensité des contacts tiges-puits.

Vitesse de rotation à l’outil Signatures en couple à l’outil

Fig. 1.24 : Différences de comportement entre stick-slip et backward-whirl (LEINE ET AL., 2002)

Sur le terrain, les analyses sont plus complexes. D’après une campagne expérimentale conduite par FEAR ET AL. (1997) et portant sur 40 puits, aucun épisode de stick-slip n’a été observé avec des outils équilibrés suivant le procédé anti-whirl, tandis que du stick-slip a affecté les performances du forage pour 40 outils ne présentant pas de propriétés anti-whirl. Stick-slip et bit-whirl semblent donc fortement couplés. Cependant, au cours de leur campagne expérimentale conduite sur des puits verticaux, LEDGERWOOD ET AL. (2010) observent que l’outil subit d’intenses vibrations latérales lors des phases d’accélération de l’outil en régime de stick-slip. Cette tendance peut provenir de défauts d’équilibrage des outils, qui, même faibles, sont notables aux vitesses élevées atteintes en cas de stick- slip. Dans ce cas, le bit-whirl est une conséquence du stick-slip, mais les auteurs ne parlent pas de couplage. Enfin, certains auteurs affirment, au contraire, que le stick-slip est favorisé par l’usage d’outils anti-whirl (RICHARD, 2001). Comme dans les cas des multiples formes de stick-slip (§ 1.2.4.2),

il est probable que derrière ces résultats contradictoires se cachent différentes formes de couplages et de mécanismes physiques.

Dans le domaine des couplages torsion-axial, plusieurs auteurs font état de l’existence de couplages (TUCKER & WANG, 1999 ; YIGIT & CHRISTOFOROU, 2006 ; RICHARD, 2001). Le principal mécanisme responsable de ce couplage est naturellement lié à l’interaction outil-roche puisque forer exige d’exercer à la fois un poids et un couple. Dans la majorité des études, l’action de l’outil de forage contre la roche est modélisée comme un problème de frottement et les instabilités vibratoires sont générées uniquement par la forme de la loi de frottement qui est une donnée d’entrée du problème. Seul RICHARD (2001) inclut l’action de coupe de l’outil de forage. La forme de la loi de frottement, est alors

une conséquence du couplage vibratoire, non plus une cause. Cette dernière approche est décrite en détail au § 1.3.3. Cependant, quelle que soit l’approche suivie, les auteurs s’accordent à dire qu’il est possible de limiter, voire de s’affranchir du stick-slip, en limitant (RICHARD 2001) ou en régulant l’amplitude des vibrations axiales (YIGIT & CHRISTOFOROU, 2006). Ces derniers suggèrent d’asservir le

poids au crochet à l’aide d’un correcteur simple. Malgré les difficultés de mise en œuvre pratique d’un tel asservissement dans des situations réelles (problèmes de transfert de poids et de couple, d’inertie axiale des garnitures), les progrès réalisés dans le domaine de l’acquisition et de la transmission de données de forage laissent penser que l’asservissement couplé du poids au crochet et du couple de surface pourrait devenir la norme dans les années à venir.

1.2.5.3. Détecter les vibrations

Disposer d’un système d’acquisition et de transmission des données de forage de qualité est la troisième étape permettant d’identifier les modes vibratoires avec précision. Selon (HENNEUSE, 1992), au cours

au cours des années 80, des systèmes capables de résister à des conditions intenses de température, de pression et de vibrations, ont été conçus pour être embarqués au fond du trou. De nos jours, ces systèmes se déclinent en trois types :

– les systèmes de mesure de surface qui échantillonnent la vitesse de rotation, le couple moteur, la tension de surface et les pressions de boue entrante et sortante ;

– les systèmes MWD ("Measurement While Drilling") qui sont composés d’accéléromètres pour mesurer l’intensité des vibrations, de jauges de déformation pour déterminer les contraintes dans les tiges, de gyroscopes pour mesurer l’inclinaison du puits, de magnétomètres pour mesurer son azimut ou encore de jauges de température et de pression (PAVONE & DESPLANS, 1994) ;

– les systèmes LWD ("Logging While Drilling") qui sont conçus pour donner des informations sur les formations traversées à partir d’émissions acoustiques (pour mesurer la vitesse de propagation du son dans les roches) ou d’émissions électromagnétiques (pour mesurer l’argilosité, la porosité, la densité ou le degré de saturation).

Les systèmes d’acquisition de fond de trou actuels permettent d’acquérir les données et de les stocker sur des mémoires embarquées. Elles sont analysées après la remontée de l’instrument. Suivant les enjeux du forage, on utilise alors des systèmes dont la fréquence peut aller de 10 à 1000 Hz, l’encombrement de 10 cm à plusieurs mètres et la durée de fonctionnement de quelques heures à quelques dizaines d’heures.

La fonction cruciale d’un système d’acquisition de fond de trou est d’acquérir les données de fond pour les transmettre instantanément en surface et ainsi s’assurer du bon déroulement du forage. Ceci est accompli couramment aujourd’hui grâce à des systèmes de télémétrie qui, couplés au système de mesure, sont chargés de transmettre les signaux enregistrés vers la surface.

La technologie la plus courante ("mud pulse telemetry") consiste à émettre des impulsions acoustiques dans la boue de forage. Cette technologie est possible grâce à la faible dispersion des ondes acoustiques dans la boue de forage. En revanche, en cours de forage, cette technologie ne permet de transmettre que peu d’informations (de l’ordre de 1 bit/s). Les signaux sont donc analysés au fond et l’on ne transmet vers la surface que des signaux d’alerte ("severity levels") ou des données moyennées. Eventuellement, au cours des phases d’arrêt du forage, on transmet des signaux de plus haute fréquence et on décharge les mémoires. Mais, on attend beaucoup de l’avancée technologique récente portant sur l’utilisation de tiges câblées ("wired drillpipe telemetry"), reposant sur le principe de transmettre des signaux électromagnétiques à travers le corps des drillpipes, permettant ainsi d’obtenir des taux de transmission beaucoup plus importants, de l’ordre de 10-100 kbit/s aujourd’hui, à 1 kbit/s dans le futur proche (STEIN OLBERG ET AL., 2008). Le coût de cette technologie est certainement très élevé, mais il permet d’observer en temps réel et sur une longue durée, l’évolution des différentes grandeurs mécaniques du forage, en particulier les couplages, et ainsi, de mieux analyser les dysfonctionnements et surtout les possibilités de pilotage automatisé.