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Indices de la présence systématique d’une zone morte

Chapitre 4. L'effet de la vitesse de coupe sur le processus de coupe

4.3. Indices de la présence systématique d’une zone morte

4.3.1.

Cas du taillant non chanfreiné

Les essais conduits avec des taillants chanfreinés ont révélé la présence régulière d’une zone de roche broyée compactée sur le chanfrein (Fig. 3.8) permettant d'expliquer la linéarité de la relation entre les efforts de forage et la profondeur de passe, en particulier aux faibles profondeurs de passe (§ 4.2.2). Afin de comprendre comment ce phénomène est lié à la présence d’un chanfrein, on étudie le comportement du taillant non chanfreiné P7. On présente sur la Fig. 4.10, l'évolution des efforts de forage avec la profondeur de passe pour des essais conduits dans le calcaire de Chauvigny, à différentes vitesses de coupe.

Fig. 4.10 : Efforts de forage en fonction de la profondeur de passe (calcaire de Chauvigny, P7)

On constate tout d’abord que les efforts de forage augmentent linéairement avec la profondeur de passe et que la pente de ces droites augmentent avec la vitesse de coupe. Cela montre que le phénomène dynamique n’est pas nécessairement lié à la présence d’un chanfrein.

Cependant, les équations des droites de tendance montrent que l’ordonnée à l’origine de l’effort normal vaut en moyenne 20 % de la valeur maximale atteinte sur la plage de vitesses et 10 % dans le cas de l’effort tangentiel. Ces valeurs sont supérieures à l’incertitude, en particulier pour l’effort normal. Ce résultat contredit l’idée classique selon laquelle les efforts de forage sont proportionnels à la section de coupe. En outre, il s’étend à une série d’essais conduits dans la même roche, dans le chanfrein du taillant P20 (dont la hauteur vaut 0.42 mm) et à différentes vitesses de coupe ainsi qu’à une série d’essais dans le calcaire d’Anstrude avec le taillant P7, à différentes vitesses de coupe. L’observation de l’évolution de l'angle du vecteur force (atan F( n /Fc)) suivant la vitesse de coupe, à différentes profondeurs de passe, révèle encore mieux ce phénomène (Fig. 4.11).

Fig. 4.11 : Angle du vecteur force en fonction de la vitesse de coupe (calcaire de Chauvigny, P7)

En effet, quelle que soit la vitesse de coupe, on constate que cet angle vaut 30-35° aux profondeurs de passe élevées alors qu’il vaut 40-45° à 0.2 mm de profondeur de passe. Le vecteur force a donc tendance à se redresser aux faibles profondeurs de passe. Etrangement, on observe ce même phénomène pour les essais conduits avec le taillant chanfreiné Peq (Fig. 4.15, Chauvigny).

Etant donné que, dans le cas du taillant P7, les courbes représentant les efforts de forage suivant la profondeur ont une ordonnée à l’origine non nulle, cela implique que l’énergie spécifique E et la résistance au forage S (qui sont obtenues en divisant les efforts par la profondeur de passe), suivent une loi quasi hyperbolique suivant la profondeur de passe. La Fig. 4.12 illustre ce phénomène pour des essais conduits dans deux roches différentes, avec le taillant P7, à différentes vitesses de coupe et différentes profondeurs de passe.

Anstrude Chauvigny

Fig. 4.12 : Trajets en profondeur de passe dans le diagramme E-S (P7)

On constate que l’énergie spécifique ainsi que la résistance au forage diminuent significativement avec la profondeur de passe. C’est particulièrement clair avec le calcaire de Chauvigny pour lequel on fait varier la profondeur de passe de 1.6 mm à 0.2 mm, l’énergie spécifique étant multipliée par 1.5 et la résistance au forage par 2. C’est moins clair pour le calcaire d’Anstrude car les profondeurs de passe testées sont assez élevées. Par conséquent, les points expérimentaux sont assez groupés.

Le résultat important qui ressort des deux graphes précédents est que les variations de niveaux énergétiques observées avec ce taillant non chanfreiné P7, sont comparables à celles obtenues dans les différentes roches avec le taillant chanfreiné Peq. SELLAMI (1987) a émis l'hypothèse qu’un taillant non

taillant usé. Cette hypothèse a été confirmée expérimentalement par DETOURNAY & DEFOURNY (1992) qui montrent une évolution de l’énergie spécifique avec la profondeur de passe similaire à celle de la figure précédente.

Supposons donc que le taillant P7 présente un micro-méplat (invisible à l'œil nu dans nos essais). Ce méplat doit alors être responsable d'une variation d'environ 10° de l'angle du vecteur force lorsque l’on fait varier la profondeur de passe de 0.2 mm à 1.6 mm dans le calcaire de Chauvigny (Fig. 4.11). Dans notre cas, le chanfrein du taillant Peq mesure 0.6 mm et sa projection sur le fond de saignée mesure 0.58 mm. Or, pour ce taillant, la variation de l'angle du vecteur force lorsque l’on fait varier la profondeur de passe de 0.2 mm à 1.6 mm vaut, à toutes les vitesses de coupe, environ 10° (Fig. 4.15). Selon nous, il est improbable qu’un micro-méplat d’usure dans un taillant non chanfreiné soit la cause d’effets similaires à ceux observés avec un taillant présentant un chanfrein important.

On aboutit donc à la conclusion qu'il se produit au voisinage de l'arête de coupe du taillant P7 un phénomène similaire à celui qui se produit sur les taillants chanfreinés, à savoir, la constitution d’une zone de roche broyée compactée, solidaire du taillant et qui entre en interaction avec les débris de coupe en avant du taillant ainsi qu’avec le fond de saignée. On appelle "méplat artificiel", l’interface qui délimite cette zone de roche broyée et le fond de saignée.

Cette conclusion n’a pas été validée phénoménologiquement. Cependant, on a vu que nombre d’auteurs rendent compte de la présence de roche broyée au voisinage de l’arête de coupe (§ 3.2), y compris dans le pôle fragile. La réelle nouveauté ne porte donc, en fait, que sur la généralisation de l’existence de cette zone à des conditions de coupe relatives aux taillants non chanfreinés, conditions considérées habituellement comme idéales.

Le redressement du vecteur force à faible profondeur de passe indique que les interactions mécaniques entre cette zone et son environnement se concentrent vraisemblablement sur une interface horizontale, apte à générer préférentiellement un surplus d’effort normal. En ce sens, l’interface entre la zone broyée et le fond de saignée joue vraisemblablement un rôle fondamental, déjà identifié par le passé par MENAND (2001) (Fig. 4.6). On propose de donner à cette interface le nom de méplat artificiel pour

la raison présentée ci-après.

4.3.2. L’équivalence chanfrein-méplat

Tout d’abord, on présente l'évolution de l'orientation du vecteur force avec l'angle de confinement pour les essais conduits dans le calcaire de Chauvigny à une profondeur de passe de 0.9 mm (Fig. 4.13).

Fig. 4.13 : Angle du vecteur force en fonction de l’angle de confinement (Chauvigny, hc = 0.9 mm)

Quelle que soit la vitesse de coupe, on observe que l'angle du vecteur force augmente de manière quasiment linéaire avec l'angle de confinement. Cette similitude entre les comportements de ces taillants de formes différentes, renforce l’idée selon laquelle l’angle de confinement peut être vu comme un angle de coupe équivalent. Cette conclusion s’étend aux essais conduits dans la même roche à 1.6 mm de profondeur de passe. Ces mêmes essais sont maintenant représentés dans le diagramme E-S (Fig. 4.14), le sens des angles de confinement croissants étant indiqué.

Fig. 4.14 : Trajets en angle de confinement dans le diagramme E-S (Chauvigny, hc = 0.9 mm)

A toutes les vitesses de coupe, on observe que le trajet en angle de confinement des points expérimentaux suit une courbe quasi linéaire. Pour chaque courbe, l’angle de confinement minimum vaut 15° (taillant P7) et l’angle de confinement maximal vaut 56° (taillant P36). Les courbes à 1.6 mm de profondeur de passe ont la même allure.

Ces droites semblent confirmer l'hypothèse émise au § 4.2.3 selon laquelle la forme de coupe n’a qu’une influence mineure sur les efforts de forage et par conséquent sur E et S. Hormis le taillant non chanfreiné, tous les autres taillants ont un chanfrein d’une épaisseur de 0.6 mm. Considérons un nouveau taillant présentant un angle de coupe de 15° et un méplat d’usure de 0.6 mm. A 0.9 mm de profondeur de passe, un tel taillant a un angle de confinement de 43°.

DAGRAIN (2006) montre que l’interaction entre le méplat de taillants usés et le fond de saignée est

contrôlée par la présence d’un troisième corps constitué de roche broyée (Fig. 3.30). Il met en évidence le fait que les forces de contact résultant de cette interaction sont caractéristiques d'une interaction roche-roche, ceci étant corroboré par la présence de roche broyée compactée sous le méplat, en particulier, dans le cas des roches carbonatées.

Ceci laisse penser que la différence entre un taillant chanfreiné et un taillant usé se réduit à une différence de forme, la nature du contact avec le fond de saignée étant similaire. La forme du chanfrein n'ayant qu'une influence mineure sur E et S, on avance donc l'idée suivante : à tout taillant chanfreiné, on peut associer un taillant usé équivalent, celui dont l’angle de confinement est identique. Le point du diagramme E-S représentatif du taillant usé mentionné plus haut devrait donc se situer à l'intérieur de chacun des segments de droite précédents (Fig. 4.14). Cette hypothèse a besoin d'être validée par l'expérience mais justifie, par anticipation, l’appellation de méplat artificiel d’un taillant chanfreiné (§ 4.3.1).

Notons que si l'on souhaite vérifier expérimentalement cette hypothèse, on peut se contenter de tester n'importe quel taillant usé pourvu qu'il soit constitué du même matériau. En effet, DETOURNAY & DEFOURNY (1992) ont montré que, dans le diagramme E-S, les points expérimentaux correspondants à

des taillants de niveaux d'usure différents s'alignent suivant une droite ("friction line") dont le point d'énergie minimale est le taillant non chanfreiné. Cette hypothèse sera donc invalidée si et seulement si le point correspondant à ce taillant ne s'aligne pas sur les segments de droite de la Fig. 4.14.

L'observation des efforts de forage ne donne pas les informations suffisantes pour estimer le volume de la zone morte et l’épaisseur correspondante du méplat artificiel. Dans le cas des taillants chanfreinés, il est probable que ce volume est du même ordre que le volume délimité par le chanfrein et le fond de saignée. Dans le cas du taillant non chanfreiné, il est certainement plus petit sinon des efforts semblables seraient observés. Dans tous les cas, ce volume a vraisemblablement une valeur minimale non nulle permettant d’expliquer l’ordonnée à l’origine des courbes d'efforts suivant la profondeur de passe. Autrement dit, même aux très faibles profondeurs de passe où l'abattage se déroule suivant un mode abrasif, la zone morte reste constituée et continue de générer des efforts significatifs même si le confinement est alors vraisemblablement plus faible qu'en mode coupe.