117 - Un crit`ere d’appr´eciation s´epare radicalement les contrats publics des march´es priv´es,
en pr´esence de deux types de vices de conception majeurs : les vices de conception ind´ecelables
de mat´eriaux ou de proc´ed´es impos´es par le maˆıtre d’ouvrage, soit l’´etat de la technique (A),
et les risques li´es au vices du sol (B).
A . L’´etat de la technique
118 - Pour le juge administratif, l’´etat des connaissances techniques constitue une limite
traditionnelle `a l’obligation de conseil de l’entrepreneur et du maˆıtre d’oeuvre en cas de proc´ed´es
d´efectueux impos´es par le maˆıtre d’ouvrage. Dans deux affaires jug´ees en 1970
124et en 1987
125,
un vice grave de conception, ind´ecelable en l’´etat des techniques, n’a pas pu ˆetre reproch´e `a
l’entrepreneur, et n’a alors pas permis d’engager sa responsabilit´e contractuelle, alors mˆeme
que le dommage caus´e par ce vice de conception est survenu avant la r´eception des travaux.
De plus, l’entrepreneur n’est pas fautif lorsqu’il ne respecte pas des pi`eces contractuelles d’un
march´e public imposant d’appliquer des normes techniques inadapt´ees, ce afin de respecter les
r`egles de l’art
126. La responsabilit´e de l’entrepreneur ne peut pas non plus ˆetre recherch´ee en
cas de mat´eriaux d´efectueux impos´es par le maˆıtre d’ouvrage
127.
124. CE, 28 octobre 1970,Sieur Auffret, n°72196 et n°72208 (Legifrance,Lebon 1970). 125. CE, 24 juillet 1987,Entreprise Jean Lefebvre, n°60616 (Legifrance).
126. (voir CAA Nancy, 18 octobre 2007,Centre hospitalier de S´elestat c/ Soci´et´e STIHLE, n°05NC00573 (JCP A 2007, obs. F. Linditch ; Contrats March´es publics 2007, comm. 328, F. Llorens et P. Soler-Couteaux ; JCP A Chronique de jurisprudence de la Cour administrative d’appel de Nancy - d´ecisions de juin `a d´ecembre 2007 -comm. n°4, G. Lazzarin).
127. CE, 4 mars 1995,Institut National de la Recherche Agronomique, n°55376 (Lebon, Tables), dont le r´esum´e publi´e sur Legifrance est le suivant : « D´esordres affectant la toiture de certains des bˆatiments du centre de recherche de Tours de l’Institut national de la recherche agronomique dus au proc´ed´e retenu pour la r´ealisation du revˆetement d’´etanch´eit´e desdits ouvrages. D’une part, la soci´et´e ”Les ´etablissements Legras”, dont la respon-sabilit´e est recherch´ee, n’a pris aucune part au choix de ce proc´ed´e. D’autre part, elle n’´etait tenue de formuler aucune r´eserve d`es lors que les conditions d’utilisation du local ne devaient pas entraˆıner un degr´e d’hydrom´etrie atteignant celui `a partir duquel l’utilisation du proc´ed´e ´etait d´econseill´ee et que, ce proc´ed´e, agr´e´e par le centre technique du bˆatiment, n’avait pas encore manifest´e ses effets n´efastes que tant la soci´et´e mise en cause que son
CHAPITRE 2. LA DISTINCTION ENTRE TRAVAUX ET SERVICES 55
119 - En droit priv´e, l’´etat inconnu des techniques n’a pas le mˆeme effet, puisque la Cour
de cassation consid`ere que l’entrepreneur reste tenu d’une obligation de conseil, consistant `a
´
emettre des r´eserves sur les travaux, voire `a refuser de les ex´ecuter, nonobstant le respect des
r`egles de l’art, et il a surtout l’obligation, face `a un maˆıtre d’ouvrage profane, de d´etecter
l’in-suffisance des normes techniques
128, ce qui est une obligation extrˆemement lourde. En effet
la norme technique, cens´ee refl´eter l’´etat des r`egles techniques, elle est le support de travail
de l’entrepreneur et peu d’entrepreneurs disposent d’un service de recherche et d´eveloppement
suffisamment ´etoff´e pour ˆetre en mesure de d´etecter une erreur dans un document technique.
Rendre l’entrepreneur responsable de l’´etat de la technique refl`ete d’un choix de politique
ju-risprudentielle, en consid´erant qu’en droit priv´e, celui qui semble le plus comp´etent, du maˆıtre
d’ouvrage profane ou de l’entrepreneur, pour d´etecter l’insuffisance d’une norme est
l’entrepre-neur. Lorsque le maˆıtre d’ouvrage est un professionnel, la responsabilit´e de l’entrepreneur qui
n’aurait pas d´etect´e l’insuffisance d’une norme doit ˆetre att´enu´ee.
120 - Cette diff´erence essentielle entre le juge judiciaire et le juge administratif dans
l’ap-pr´eciation de la faute de conception r´eside dans le fait que l’´etat inconnu de la technique qui
lui est impos´ee fait disparaˆıtre l’obligation de conseil de l’entrepreneur, si bien qu’en l’absence
de d´efaut d’ex´ecution, le dommage qui n’a pour seule cause qu’un vice de conception, dˆu `a
une technique nouvelle ou ind´ecelable, n’est pas imputable `a l’entrepreneur. Cette diff´erence
entre la jurisprudence judiciaire et la jurisprudence administrative quant `a l’effet de l’´etat des
connaissances techniques sur l’appr´eciation de la faute de conception peut se justifier par le fait
que le maˆıtre d’ouvrage public est toujours suppos´e d´efinir un programme avant de passer des
march´es de travaux et de maˆıtrise d’oeuvre, si bien qu’il apparaˆıt normal de lui faire supporter
au une certaine dose de risque de d´eveloppement.
sous-traitant n’´etaient en mesure de pr´evoir. Dans ces conditions, les d´esordres ne pouvaient ˆetre imput´es `a la soci´et´e ».
128. Cass. 3e civ., 26 octobre 2005, n°04-16405 (Bull. III, n°204, p.186) :«Mais attendu, d’une part, qu’ayant constat´e qu’en sa qualit´e de professionnelle de la construction, il ne pouvait ´echapper `a la soci´et´e Maisons Pierre, qui avait aid´e les ´epoux X... dans la recherche et le choix du terrain, que le site offrait une vuln´erabilit´e particuli`ere aux nuisances sonores et que nonobstant le d´efaut de classement du CD 216 dans une cat´egorie particuli`ere, le simple respect des normes applicables dans un site normal serait insuffisant `a masquer les bruits et relev´e que les ´epoux X..., profanes en la mati`ere, avaient pu l´egitimement croire, du fait de la pr´esence de pavillons construits en bordure de la route d´epartementale, que le probl`eme du bruit avait une solution que leur constructeur mettrait n´ecessairement en oeuvre, la cour d’appel a pu retenir que la soci´et´e Maisons Pierre avait manqu´e `a son devoir de conseil ».
B . L’´etat du sol
121 - Les vices du sol sont un, sinon le risque majeur pour toutes constructions, et la
qua-lit´e d’un projet de travaux immobiliers implique toujours la r´ealisation d’´etudes de sols. Les
´
etudes de sols sont men´ees par des ing´enieurs sp´ecialis´es en g´eotechnique, et encadr´ees par la
norme NFP 94500
129relative aux missions d’ing´enierie g´eotechnique, dans sa derni`ere version
de d´ecembre 2006, que l’on peut se procurer de mani`ere payante aupr`es de l’AFNOR. L’article
1er de cette norme dispose que son objet est de « d´efinir les diff´erentes missions types de
l’in-g´enierie g´eotechnique qui doivent ˆetre effectu´ees pour ´etudier les propri´et´es g´eotechniques des
formations g´eologiques constituant le sous-sol et leurs incidences sur les am´enagements de sites
ou les ouvrages existants ou `a r´ealiser ».
122 - En droit priv´e, l’´etude de sol entre g´en´eralement dans la mission de l’architecte, lequel
doit alors concevoir un projet tenant compte des contraintes du sol
130. Toutefois, l’obligation
de r´ealiser une ´etude de sol n’entre dans les obligations de l’architecte que lorsque celui-ci est
charg´e d’une mission compl`ete d’architecture
131. Lorsqu’un dommage a pour cause une ´etude
de sol insuffisante, la faute de conception p`esera sur le locateur d’ouvrage qui ´etait effectivement
charg´e de la r´ealiser et qu’il convient d’identifier au vu des pi`eces contractuelles.
123 - En droit public les ´etudes de sol entrent g´en´eralement aussi dans la mission du maˆıtre
d’oeuvre
132, lequel sera fautif pour ne pas avoir v´erifi´e les ´etudes de fondations
133. N´eanmoins,
en droit public, les ´etudes de sols vont souvent relever du rˆole du maˆıtre d’ouvrage lui-mˆeme,
soit lorsque les contrats publics de travaux rel`event du Code des march´es publics, soit lorsque
les contrats sont soumis `a la loi MOP. Les ´etudes de sols font ainsi partie de l’obligation du
maˆıtre d’ouvrage de d´efinir son besoin, pos´ee par l’article 5 du Code des march´es publics. Sur ce
fondement, la jurisprudence consid`ere que le maˆıtre d’ouvrage est fautif pour avoir fourni une
´
etude de sols insuffisante
134. Les ´etudes de sols font ´egalement partie des ´etudes pr´eliminaires
129. NF P 94-500 Missions d’ing´enierie g´eotechnique, Classification et sp´ecifications, Service de publication de l’Afnor, d´ecembre 2006.
130. Cass. 3e civ., 15 d´ec. 1999, n°97-22.517 (AJDI 2000, p. 257 ; RDI 2000, p. 183). 131. J.-P. KarilaLes risques tenant `a la nature du sol, RDI 1997, p. 545.
132. J.-P. KarilaLes risques tenant `a la nature du sol, RDI 1997, p. 545.
133. CE, 31 juillet 1992,Soci´et´e Muraccioli, n°74282 et 74515 (D.A. 1992, n°485 ; Mon. TP, 30 avril 1993, p. 44).
134. CE, 8 mars 1996, Commune de Petit-Bourg, n°165075 (Legifrance, in´edit) : « Consid´erant, d’une part, qu’en se fondant sur des plans utilis´es lors de la r´ealisation ant´erieure de lotissements voisins et en s’abstenant de proc´eder avant tout appel `a la concurrence `a un relev´e topographique exact du terrain et aux ´etudes de sol