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Heinrich Zeising : une encyclopédie portative de théâtres de machines (1607-1614)

Le parangon de ce nouveau type de théâtre de machines est un certain Heinrich Zeising, amateur d’architecture47, dont nous ne savons qu’assez peu de choses. Il est associé à son ami le bourgeois et libraire de Leipzig Henning Grosse, qui finance la production des gravures sur cuivres, imitées de planches d’autres livres, et la publication des tomes. Le premier tome des Theatri machinarum paraît en 1607, avec une dédicace au bourgmestre et aux échevins de la ville de Leipzig. Il est réédité, dans une version très allégée, en 1610, et suivi d’un second tome en 1611, et d’un troisième en 1612. Après la mort de Zeising, Henning Grosse publie trois nouveaux tomes de 1612 à 1614, en confiant les explications à Jérôme Megiser, homme de lettres allemand, connu pour ses dictionnaires et son activité éditoriale, ainsi que son rôle d’historiographe de Christian II de Saxe, qui lui obtint le titre de comte palatin48

.

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Voir « Une littérature au rayonnement européen », p. 95.

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Sur les frontispices, est indiqué « Henricum Zeising der Architectur Studiosum ». « Studiosum » porte à confusion : en allemand, le mot signifie clairement « étudiant » ; en latin classique, cela se traduirait davantage par « qui s’applique à », voire « amateur ». Or, les noms et prénoms de l’auteur sont ici latinisés, quand la mention de son activité est précédée d’un article défini allemand.

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Henning Grosse avait publié en 1609 une Description de Madagascar que Jérôme Megiser avait traduit en allemand.

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Linguiste réputé, il pense davantage son travail en termes de traduction et de transfert qu’en termes de commentaires49

. Les ouvrages de Zeising sont réédités dans les années 1620, puis en 1673, et enfin en 1708 à Leipzig, où Jacob Leupold, s’en inspirant largement, réalisera ses propres Theatri machinarum50. À côté des quelques éditions allemandes de livres antérieurs, cet ouvrage est le principal outil de diffusion de la tradition des théâtres de machines dans le monde germanique.

L’objectif de la collection est clairement affirmé dans la préface du premier tome : il s’agit d’étendre aux plus de personnes possibles, et notamment aux maîtres-artisans explicitement visés, l’enseignement de connaissances mécaniques de base. Pour remplir cette mission, l’auteur reprend bien sûr l’argument du théâtre comme lieu de monstration. Une démarche que montre bien la traduction allemande du titre : « Theatro oder Schaubuch »51. « Schaubuch », littéralement « livre à regarder »52. Cela se traduit non seulement dans les explications, mais aussi dans les images qui représentent toutes un personnage montrant à un autre la machine53.

Mais l’auteur s’appuie aussi sur les préceptes de la réduction en art : rassembler les savoirs de plusieurs auteurs en un seul livre54 est une méthode clairement énoncée. Cela explique que son ouvrage soit complété par des indications juridiques, comme cette réglementation de la meunerie en Saxe, telle qu’elle fut mise en place par Auguste Ier que Henning Grosse publie dans son troisième tome. Fidèle aux principes de la réduction en art, l’auteur ne s’arrête pas à la compilation. Il s’agit de rendre ce savoir accessible et compréhensible à tous. Pour ce faire, il s’appuie sur un corpus plus théorique, notamment la traduction allemande commentée de Vitruve par Gualtherus Rivius, le traité du poids et de la balance du même, que Zeising résumé au début de son

49 Dans la préface au quatrième tome des Theatri machinarum, qu’il rédige, Jérôme Megiser affirme ainsi : „ich […] etliche schöne und scharffsinnige Mechanische Inventiones aus Italianischer und Französischer in unser Teutsche Sprach transferirt.“ Ce tome contient principalement des reprises de théâtres de machines antérieurs, et notamment du Ramelli.

50 Voir infra « Les Theatri de Jacob Leupold : l’aboutissement du genre (1724-1727) », p. 85, et « Partie III : Technologie et théâtres de machines : l’œuvre de Jacob Leupold (1724-1727) », p. 313.

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ZTM1, préface, §2.

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Dans les autres livres allemands, le mot de « théâtre » est traduit par « Schauplatz », mot allemand actuel qui désigne un théâtre en tant que bâtiment et que scène. La racine du mot est la même : « Schauplatz » signifie littéralement « lieu à regarder ». Le titre allemand du Ramelli quant à lui indique « Schatzkammer mechanischer Künste », littéralement « Chambre des trésors d’art mécaniques ». « Schatzkammer » se rapproche ici de « Kunstkammer », mot qui désignait les cabinets d’artificalia.

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Sur ce point, voir infra : « Témoigner : fonction principale des images » p. 280.

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ZTM1, préface, §2. Texte original : „auss irer [scharffsinnigen Leuten] und anderer hinderlassenen Schrifften zusammen bringen und aus vielen ein Buch machen will“.

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premier tome55, et les œuvres de Jérôme Cardan, dont il traduit un extrait à la fin du même premier tome56. Zeising est le premier des auteurs à mettre ainsi en place une introduction théorique à ses explications, et le premier à publier des machines issues de traités à visée principalement théorique. L’auteur n’hésite d’ailleurs pas à faire quelques digressions théoriques dans ses descriptions quand celles-ci le permettent. De plus, à partir du second tome, Zeising reprend l’idée de Zonca de placer une légende sous forme de table à la fin de chacune de ses descriptions. Tout est fait pour faciliter la lecture.

Figure 3 : Figure XII de Heinrich Zeising, Theatrum machinarum erster theill (Leipzig, 1612)

Ce désir d’être accessible se traduit aussi dans le choix de la langue vernaculaire et d’un format plus petit (petit in-quarto au lieu d’in-folio) et donc moins cher :

« Mais parce que les auteurs qui ont écrit ces choses ne l’ont pas fait en langue allemande, et aussi qu’ils les ont imprimés en grand format et qu’ils sont très chers en or : ce théâtre est lui en plus petit format et accessible à un prix plus modeste. »57

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Gualtherus H. RIVIUS, Von rechtem Verstand, Waage und Gewicht etliche Büchlein zu sonderlichem verstandt Künstlicher Mechanischer invention der Geometrischen messung angehenckt, Gedr. durch G. Heyn, 1560, book p ; Gualtherus H. RIVIUS (dir.), Marci Vitruvii Pollionis Zehen Bücher von der Architectur und kunstlichem Bawen [...] Erstmals verteutscht unnd in Truck verordnet, Bâle, S. Henricpetri, 1575. Zeising résume le traité « Von rechtem Verstand… » en 17 définitions, 6 pétitions, et 13 propositions. Il est encore cité au XVIIIe

siècle par Leupold.

56 Il s’agit du chapitre 47 du livre 9 de Jérôme CARDAN, De rerum varietate libri XVII, Bâle, H. Petri, 1557..

57 ZTM1, préface, §6. Texte original : „sonderlich weil die Autores, so von diesen geschrieben in Deutscher Sprach nicht mal zu bekommen auch mehrertheils in grossem Format gedruckt und sehr thewer am Gelde sein : Dieses Theatrum aber in bequemer form und mit leichten kosten zu erzeigen ist.“

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Assise théorique, compilation, multiplicité des tomes, accessibilité matérielle et vulgarisation : ces caractéristiques signent une nouvelle façon d’écrire des théâtres de machines, la filiation avec la réduction en art s’étiole au profit de traités encyclopédiques plus cohérents ajoutant des théories savantes à des descriptions raisonnées de nombreuses machines. Né à Leipzig, ce nouveau mode d’écriture se diffuse dans le monde germanique.

Le Theatrum machinarum novum d’Andréas Böckler : une réédition