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La formation à l’Institut National des Langues Orientales : des cours de chinois appliqués à la diplomatie

PREMIÈRE PARTIE : DÉCOUVRIR LA CORÉE, UN PAYS MÉCONNU : 1887-1894

1.2.1.1 La formation à l’Institut National des Langues Orientales : des cours de chinois appliqués à la diplomatie

Collin s’inscrit aux cours de chinois en 1873 à l’âge de 18 ans. L’année suivante, il obtient une bourse du Ministère des Affaires Etrangères d’un montant de 300 francs135. Devenu pensionnaire du ministère, il s’engage à mener une carrière d’interprète au service du ministère une fois ses études achevées. Parmi ses camarades figure Joseph Hippolyte Frandin (1852-1826) qui lui succède brièvement en Corée de 1894 à 1895, ainsi que Maurice Jametel (1856-1889), qui devient plus tard un sinologue fameux 136 . Pourtant, la sinologie n’est pas l’objectif de l’enseignement de l’école. Quand Collin de Plancy intègre l’Ecole des Langues orientales, le cours de chinois est en pleine réforme sous l’impulsion du professeur et diplomate lui-même, le comte Michel Alexandre de Kleczkowski (1818-1886). Il ne s’agit pas de former des scientifiques mais des hommes de terrain interprètes versés dans la langue chinoise tant parlée qu’écrite, ainsi que dans les manières des lettrés chinois, leurs homologues sur le terrain.

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Archives Nationales, 62 AJ/39 136 Archives Nationales, 62 AJ/16

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Le professeur de Collin de Plancy, le comte Kleczkowski a suivi un parcours similaire à celui qu’emprunte par la suite son élève. Praticien de la langue, il parvient par dérogation à intégrer le corps consulaire. Mais ce mode d’accès étant considéré comme moins prestigieux, son avancement est freiné par rapport aux consuls ayant suivi la voie traditionnelle. Il en conçoit un certain dépit et se tourne alors vers l’enseignement en briguant la chaire de chinois de l’INALCO137.

Pendant les nombreuses années qu’il passe en Chine, le comte Kleczkowski s’intéresse à la Corée, à la suite de son supérieur et mentor, le diplomate Charles de Montigny (1805-1868) Ce diplomate à la forte personnalité s’intéresse de près à la péninsule. Il perçoit la protection des missionnaires comme l’« instrument idéal pour la propagation de l’influence politique et morale françaises en Chine, étant donné que la France n’y avait pas encore vraiment d’intérêt commerciaux138 » L’heure est à la conquête de l’Indochine, mais Charles de Montigny et son secrétaire Kleczkowski intègrent volontiers la Corée dans ce plan. Charles de Montigny se revendique ainsi en 1850 « ministre plénipotentiaire en Chine, Cochinchine, Corée, Japon139 »

En avril 1851, le baleinier Narval, parti du Havre en 1850 s’échoue au large de la côte du Chôlla, sur l’île de Pigum140. Charles de Montigny se porte au secours des matelots restés en Corée avec son interprète, Kleczkowski. L’expédition accoste à Cheju et rencontre Yi Hyon’gong, protecteur des frontières, sous une pluie battante, avec forces cris. L’audience se déroule par écrit, en chinois, Kleczkowski écrivant les questions auxquelles répond le préfet141. En effet, si le coréen parlé est fort différent du chinois, les lettrés écrivent en chinois et maîtrisent les caractères. Seule leur prononciation diffère. Les naufragés sont retrouvés et ramenés sains et saufs en Chine. Une lettre est adressée au roi de Corée, qui ne sera vraisemblablement jamais expédiée à Séoul.

Le comte Kleczkowski devenu professeur a-t-il raconté cet épisode à ses étudiants, et donc à Collin de Plancy ? C’est possible. En effet, le cours qu’il enseigne à l’INALCO est centré sur la pratique de la langue dans un cadre diplomatique. Une

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Nicole Bensacq-Tixier, Dictionnaire du corps diplomatique et consulaire en Chine, op.cit., 2003 138 Pierre-Emmanuel Roux, La croix, la baleine, le canon, op.cit., 2012, p. 86

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Pierre-Emmanuel Roux, La croix, la baleine, le canon, op.cit., 2012, p. 94 140

Pierre-Emmanuel Roux, La croix, la baleine, le canon, op.cit., 2012, p. 119 141 Pierre-Emmanuel Roux, La croix, la baleine, le canon, op.cit., 2012, p. 125

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séance hebdomadaire est ainsi réservée à l’étude et à la traduction de documents diplomatiques et commerciaux142. Fort de son expérience passée, le professeur accorde une grande place à l’écrit : « comme celle du lettré-fonctionnaire, la culture du diplomate est aussi une culture de l’écrit. » Un diplomate en Chine devait pouvoir rédiger directement un document dans la langue du pays, ou au moins apporter des corrections à des documents soumis par les Chinois. Cette capacité était la garantie du secret des affaires et de l’efficacité de la diplomatie143. Une autre séance hebdomadaire est ainsi consacrée à la rédaction de dépêches. Peut-être Kleczkowski avait-il également en tête l’entrevue avec le fonctionnaire coréen, pendant laquelle des échanges n’avaient pu avoir lieu qu’en chinois et à l’écrit, la langue chinoise écrite constituant en Extrême-Orient une sorte de lingua franca dont l’usage était répandu chez tous les lettrés. L’enseignement de Kleczkowski comportait ainsi quatre séances hebdomadaires, comme en témoigne l’affiche du cours de 1874-1875 : « Le professeur enseignera les lundis, les dialogues de l’Arte China du P. Gonzalvèz, les mercredis, il expliquera le Saint Edit de K’ang-Chi, texte et paraphrases. Les vendredis, il fera traduire un choix de documents diplomatiques et commerciaux144. »

L’orientation pratique de l’enseignement du chinois se manifeste également par l’emploi au sein de l’école de répétiteurs indigènes chargés d’enseigner aux élèves l’art du dialogue à la chinoise. Ces répétiteurs sont des lettrés, lauréats de concours mandarinaux mais n’ayant pu trouver d’office satisfaisant en Chine. Le premier d’entre eux est ainsi un Chinois converti au christianisme. La connaissance du français n’était pas indispensable, Kleczkowski estimant que de ne parler qu’en chinois est le plus sûr moyen de progresser dans l’acquisition de cette langue

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Isabelle Rabut, « Un siècle d’enseignement du chinois », in Marie-Claire Bergère et Angel Pino (dir.), Un siècle d’enseignement du chinois à l’Ecole des Langues orientales (1840-1945), Paris, l’Asiathèque, 1995, p. 265

143 Isabelle Rabut, « Un siècle d’enseignement du chinois », op.cit., 1995, p. 222 144

Angel Pino et Isabelle Rabut, « La Chaire de Chinois à l’affiche de l’école des Langues O. 1843-1945 », in Marie-Claire Bergère et Angel Pino (dir.), Un siècle d’enseignement du chinois à l’Ecole des Langues orientales (1840-1945), Paris, l’Asiathèque, 1995, pp. 315-337

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difficile145. Les séances avec le répétiteur sont ainsi quotidiennes, à raison de deux heures par jour146.

Dans toutes ses séances, Kleczkowski ne se contente pas d’enseigner la langue chinoise, sa grammaire et son phrasé. Bien au contraire, il s’agit pour les élèves, aspirants diplomates, de maîtriser également les codes de la culture chinoise traditionnelle, en particulier celle des lettrés, leurs homologues en Chine, tous issus d’un moule classique très prégnant147. Kleczkowski indique lui-même dans son manuel Cours graduel de chinois p. LXVII : « On ne peut, dans cette discussion laborieuse [avec des fonctionnaires chinois] obtenir même un semblant de succès que si l’on connaît bien, non-seulement la langue usuelle des Chinois, mais encore, plus ou moins, tous leurs auteurs, leurs classiques, leurs proverbes, leurs traditions, leurs lois, leurs institutions, et surtout, la portée réelle de leur esprit, de leur jugement et de leurs tendances ! » Il intègre donc à son enseignement linguistique l’étude des classiques chinois comme le Livre des mille caractères et le Classique des trois

caractères148. Au-delà des classiques, il s’agit également pour les élèves de connaître la géographie, les mœurs, les institutions chinoises. Le manuel du comte est ainsi constitué d’une compilation de phrases, de dialogues assortis de notes portant sur la valeur des mots, ou la combinaison des mots, mais aussi sur la géographie, les institutions, les coutumes et les idées des Chinois149. Cet enseignement est renforcé par une conférence mensuelle consacrée à la géographie physique, politique et commerciale de la Chine et à son histoire, complétée par un cours complémentaire de géographie, d’histoire et de législation des Etats de l’Extrême-Orient, par Guillaume Pauthier, rapidement interrompu du fait du décès prématuré de l’enseignant150.

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Laurent Galy, « Les répétiteurs indigènes pour la langue chinoise. 1873-1925 » in Marie-Claire Bergère et Angel Pino (dir.), Un siècle d’enseignement du chinois à l’Ecole des Langues orientales (1840-1945), Paris, l’Asiathèque, 1995, pp. 287 - 313

146 Angel Pino et Isabelle Rabut, « La Chaire de Chinois à l’affiche de l’école des Langues O. 1843-1945 », op.cit., 1995, pp. 315-337

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Isabelle Rabut, « Un siècle d’enseignement du chinois », op.cit., 1995, p. 222 148 Isabelle Rabut, « Un siècle d’enseignement du chinois », op.cit., 1995, p. 223 149

Isabelle Rabut, « Un siècle d’enseignement du chinois », op.cit., 1995, p. 258 150

Angel Pino et Isabelle Rabut, La Chaire de Chinois à l’affiche de l’école des Langues O. 1843-1945, pp. 315-337

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Kleczkowski se félicite de sa méthode qui permet aux élèves d’acquérir rapidement les bases nécessaires à l’exercice de leurs fonctions en Extrême Orient : « Plusieurs de nos élèves (…) ont appris à parler couramment le chinois et à traduire,

tout seuls et sans dictionnaire, des dépêches relativement faciles. On voudra bien

admettre qu’un tel résultat obtenu au bout de trois années d’études à Paris n’est pas à dédaigner151. »

Collin suit les cours trois années de suite jusqu’en 1876. Ses résultats semblent avoir été satisfaisants. Il obtient ainsi la mention bien aux premiers examens oraux qu’il passe en 1874152. Il reste attaché à son alma mater à laquelle il envoie des ouvrages rares et précieux acquis en Corée et décrits dans la Bibliographie coréenne (cf plus loin). En 1876, lorsqu’il obtient son diplôme, Collin de Plancy est donc prêt à partir pour la Chine. La culture chinoise lettrée à laquelle l’a initié l’enseignement de l’Ecole des Langues orientales, s’ajoute à sa vision d’occidental lorsqu’il découvre la Corée dix ans plus tard.

1.2.1.2. D’interprète à consul : une promotion difficile, une carrière

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