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Des conditions de vie rigoureuses

PREMIÈRE PARTIE : DÉCOUVRIR LA CORÉE, UN PAYS MÉCONNU : 1887-1894

1.1.1.3. Des conditions de vie rigoureuses

Malgré les échos positifs recueillis auprès de ses amis et collègues et qui poussent Collin de Plancy à accepter le poste diplomatique à Séoul, les conditions de vie en Corée sont rudes à la fin du XIXe siècle alors que la modernisation du pays n’a pas encore véritablement commencé. Les hivers sont rigoureux, les étés très secs et chauds.

En 1886, on gagne Séoul à pieds ou à cheval depuis le port de Chemulpo, sous escorte, les routes n’étant pas sûres. Jean-Jacques Matignon décrit ainsi la route jusqu’à la capitale :

« Une quarantaine de kilomètres, soit à pied, soit sur un de ces microscopiques poneys coréens, rageurs, quinteux, qui ne demandent qu’à vous mordre, vous jeter par terre ou se rouler dès que vous êtes en selle. (…) La route est intéressante. Le pays est très accidenté ; la capitale est, en effet, séparée de la mer par une large bande de collines qui ne sont que des contreforts de la grande chaîne de montagnes qui court du Nord au Sud de la presqu’île126. »

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Jean-Jacques Matignon : L'Orient lointain. Au pays du calme matinal, 1902 in Voyageurs au pays du matin calme, op.cit., 2006, p.172

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La capitale, blottie au sein des collines, est encore provinciale et peu occidentalisée, et les conditions de vie pour les Occidentaux y sont très difficiles. Collin de Plancy décrit les siennes dans un courrier adressé au Ministère des affaires étrangères en février 1889 :

« La maison que j’occupe, située dans la partie la plus basse et considérée, même par les indigènes comme la plus malsaine de la ville, est bornée en outre par une sorte de grand égout à ciel ouvert qui charrie toutes les immondices de cette agglomération d’au moins cent mille habitants. C’est dire dans quelle atmosphère chargée de miasmes pestilentiels nous vivons : il s’en est suivi que malgré un acclimatement que je pouvais croire complet, après dix ans de séjour à Pékin, j’ai contracté les fièvres aussitôt après mon installation et qu’à son tour M. Guérin n’a pas été épargné. Avec le printemps qui amènera le dégel des détritus amoncelés dans les rues pendant tout l’hiver, la situation sera encore plus pénible et dès que les grandes chaleurs se produiront, nous aurons beaucoup à souffrir. Il règne alors, dans la capitale de la Corée, resserrée sous une ceinture de montagnes, une température que l’on a comparée à celle de l’Afrique centrale et Votre Excellence comprendra combien l’existence devient intolérable en juillet et en août où le thermomètre marque la nuit plus de 30 degrés centigrades au-dessus de zéro. Je viens en conséquence solliciter de Sa Bienveillance la permission de m’absenter cet été, si aucune affaire grave ne me retient à mon poste127. »

Le diplomate espère une réponse à l’été, les communications entre la France et la Corée étant très lentes. Ces conditions ne diffèrent pas forcément de celles des diplomates en poste en Chine, sauf à Pékin. Les difficultés de logement sont récurrentes chez les diplomates en Asie, puisque le loyer est à leur charge de même que les réparations et les aménagements128. Ils doivent en avancer les frais avant de tenter d’obtenir des indemnités de remboursement. En Chine, les postes

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AMAE, Collin de Plancy, personnel, dossiers 2e série, volume 374, Collin de Plancy, courrier de février 1889 128 Nicole Bensacq-Tixier, Histoire des diplomates et consuls français en Chine, 1840-1912, op.cit., 2008, p.431

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diplomatiques sont ainsi en très mauvais état, à tel point que certains consuls emménagent chez les représentants d’autres nations.

En Corée, Collin de Plancy contracte une affection qui le suit toute sa vie. Il s’en explique dans un courrier :

« J’invoquais pour justifier cette requête, l’état de santé dans lequel je me trouvais à mon arrivée en France. (…) Depuis lors, j’ai dû, en raison de l’affection du larynx dont j’étais atteint, faire au Mont-Dore un séjour prolongé et subir une opération pour laquelle les honoraires de chirurgien se sont élevés à mille francs. J’espère que votre Excellence, prenant en considération les dépenses qu’a entraînées pour moi une maladie contractée pendant ma gestion du poste de Séoul, consentira à m’attribuer le bénéfice des dispositions que j’ai pris la liberté d’invoquer129. »

Les congés ont une durée de cinq mois tous les trois ans ou plus, pendant lesquels les agents ne touchent que la moitié de leur traitement130. Les maladies sont fréquentes chez les diplomates en poste en Asie, à une époque où la vaccination n’existe pas et où sévissent dans la région des épidémies meurtrières à l’image de la peste bubonique ou du choléra. Fernand Scherzer, diplomate en Chine et correspondant du musée national de la céramique de Sèvres meurt ainsi en mer, lors de son rapatriement en France, de maladie, à l’âge de 36 ans131. « Presque tous les agents contractaient toutes sortes de maladies, dysenterie, paludisme, fièvre jaune, malaria, affections graves du foie… Ils étaient forcés de rentrer en France pour s’y faire soigner. La plupart du temps, ils prolongeaient leur congé au-delà du temps réglementaire132. »

A ces conditions de vie difficiles s’ajoute l’isolement du poste diplomatique à Séoul qui ne compte au départ que deux personnes, Collin et son secrétaire – interprète. Les autres légations étrangères sont encore peu nombreuses et la situation politique tendue ne favorise pas les mondanités, courantes à Pékin ou Tokyô. Lorsque Collin est nommé à Tokyo, Cogordan lui écrit qu’il comprend que Collin s’y plaise :

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AMAE, Collin de Plancy, personnel, dossiers 2e série, volume 374, Collin de Plancy, courrier du 18 décembre 1898

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Nicole Bensacq-Tixier, Histoire des diplomates et consuls français en Chine, 1840-1912, op.cit., 2008, p.395 131

Nicole Bensacq-Tixier, Histoire des diplomates et consuls français en Chine, 1840-1912, op.cit., 2008, p.434 132 Nicole Bensacq-Tixier, Histoire des diplomates et consuls français en Chine, 1840-1912, op.cit., 2008, p.395

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« Après la triste solitude coréenne, la vie gaie et mondaine doit vous paraître une chose délicieuse133. »

Si on doit en croire Hippolyte Frandin qui succède brièvement à Collin de Plancy en Corée, la vie du consul n’a peut-être pas été si solitaire. Frandin raconte ainsi dans son livre En Corée publié en 1904 une histoire séduisante : « Une danseuse attachée à la maison royale se distinguait de ses compagnes par son indiscutable beauté, telle même pour des yeux européens. Un jeune chargé d'affaires (il vit encore et je ne puis divulguer son nom) fut particulièrement frappé par la grâce et le charme de cette jeune femme. Il la demanda au roi Li-Hi, qui, très généreusement, lui en fit don. La danseuse, étant essentiellement esclave, dut, sans protester, suivre son nouveau maître134. » Si le récit ne désigne pas nommément le diplomate, il est aisé de le reconnaître dans la description de ce « jeune chargé d'affaires ». L'histoire éminemment romanesque se poursuit avec le départ du couple de Corée pour Paris, où la jeune femme devenue l'épouse du diplomate reçoit une instruction française mais finit par dépérir. « Les brumes de l'Occident ennuageaient son front bronzé par le chaud soleil oriental. » Rappelé en Corée, Collin y serait naturellement retourné avec son épouse. Or « Li-Tsin avait laissé un ennemi à Séoul. [...] Le mariage avec un étranger n'affranchit pas l'esclave coréenne. Li-Tsin, reprise à son mari [...] fut réintégrée au collège royal des danseuses et dut reprendre son ancien métier. Mais, à jamais conquise aux moralités de la civilisation, incapable de meurtrir à nouveau sa chair des chaînes rejetées, Li-Tsin se suicida en avalant des feuilles d'or. » Pour aussi séduisante que soit cette histoire, les sources fiables manquent en France pour en attester la véracité.

I.2. Découvrir la Corée et enrichir les collections françaises : le premier séjour de Collin de Plancy en Corée

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AMAE, Papiers d’agent, PAAP 50, Cogordan à Collin de Plancy, mars 1892 134 Hippolyte Frandin et Claire Vautier, En Corée, op.cit., 1904, p 137 et suivantes

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I.2.1. Un interprète ambitieux devenu consul de France en Corée

Victor Collin de Plancy est le premier diplomate nommé comme représentant de la France en Corée, pays considéré diplomatiquement par la France comme provincial, excentré et dépourvu d’intérêts stratégiques majeurs. De quel bagage intellectuel dispose Collin de Plancy à son arrivée en Corée ? Quels ont été son parcours antérieur, sa formation et sa carrière ? Son regard sur la Corée conditionne celui de la France, à la fois du Ministère des affaires étrangères auquel il envoie ses rapports, mais aussi celui du public de connaisseurs qui fréquente les musées à qui Collin de Plancy fait parvenir des objets coréens soigneusement choisis.

1.2.1.1 La formation à l’Institut National des Langues Orientales :

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