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La correspondance avec le musée Guimet : valoriser la peinture coréenne

PREMIÈRE PARTIE : DÉCOUVRIR LA CORÉE, UN PAYS MÉCONNU : 1887-1894

II.1. Distribuer les œuvres coréennes dans les musées français

II.1.1.2. La correspondance avec le musée Guimet : valoriser la peinture coréenne

Collin de Plancy s’inscrit dans un réseau d’intellectuels et d’amateurs d’art au service des musées français. En juillet 1894, à la suite de l’affaire Varat, Emile Guimet se permet de lui écrire pour l’orienter vers des achats spécifiques, plus artistiques, qui viendraient compléter les collections ethnologiques rapportées par Charles Varat. Il désire en particulier obtenir des spécimens de peintures.

Dans un courrier, Emile Guimet indique que son attention a été attirée sur la peinture coréenne par la Bibliographie coréenne de Maurice Courant : « Vous avez certainement en main la Bibliographie Coréenne de M. Courant. La note que l’auteur a rédigée page CLXIX de son introduction relative aux peintures de deux temples du Dieu de la Guerre, situé à l’Est, hauteur au Sud de Séoul, de la bonzerie de Sin hsein, de celle de Biong Tjyou, où ce n’est plus de l’art coréen mais de l’art humain, donne à

336 Eom SEUNGHUI, « The ceramic cultural exchange between Korea and France in Korean modern period », in Journal of Korean Modern and Contemporary Art History, Seoul, 2013, p. 34

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Eom SEUNGHUI, « The ceramic cultural exchange between Korea and France in Korean modern period », in Journal of Korean Modern and Contemporary Art History, Seoul, 2013, p. 35

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penser qu’il existe des vestiges d’art coréen d’un ordre plus élevé que celui que nous connaissons ici, répondant davantage à l’idée que j’en ai formé d’après l’histoire japonaise338. »

La note évoquée par Emile Guimet concerne la peinture coréenne, jugée supérieure à celle du Japon et de la Chine par Maurice Courant : « Il n'est pas inutile d'ajouter que, pour la couleur, la composition, l'ordonnance des masses, les artistes coréens sont bien supérieurs à leurs voisins de l'ouest et de l'est. » L’auteur cite en exemple les peintures des deux temples du dieu de la guerre du sud et de l’est de Séoul, représentant les scènes principales de la vie du dieu : « la vivacité et l'harmonie des couleurs, la disposition des masses dans les batailles, l'approfondissement des lointains, toute la perspective témoignent d'une habileté remarquable, on ne sent nulle gaucherie et nul effort. » Un autre exemple est celui des peintures représentant des scènes de l’enfer bouddhique, dans un style analogue, à la bonzerie Sin Hsein. Le dernier exemple, repris par Guimet est un tableau de petites dimensions conservés à la bonzerie de Biong Tjyou : « le sujet est un ascète en méditation dans la forêt, la chair légèrement rosée, la barbe et les cheveux blancs du vieillard accroupi, mettent sous la verdure sombre une lumière surnaturelle, l'expression de la physionomie est d'une intensité remarquable : ce n'est plus de l'art coréen, c'est de l'art humain. Les artistes qui ont peint ces œuvres, sont des bonzes, m'a-t-on dit; mais on a oublié leurs noms et on ne sait ce qu'ils sont devenus339. » Maurice Courant ajoute également : « On brode sur soie, au Palais, des paravents représentant des paysages, qui sont exécutés avec une très grande finesse et présentent une grande ressemblance de style avec les peintures dont j'ai parlé. »

On comprend que ces descriptions élogieuses, et la comparaison avec les peintures chinoises et japonaises aient pu attiser la convoitise d’Emile Guimet. Ce dernier se rapproche de Collin de Plancy avec l’intention explicite d’obtenir de tels échantillons pour son musée : « N’y aurait-il pas quelques moyens de se procurer des spécimens de cet art, ou à défaut des originaux, des photographies ? Vous vous êtes toujours montré si aimable à notre égard que je crois pouvoir attirer votre attention

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Archives du musée Guimet, Courrier d’Emile Guimet à Victor Collin de Plancy, 20 juillet (sans date) 339 Maurice Courant, Bibliographie Coréenne, Introduction, p. CLXIX, Note

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sur ce qui peut nous intéresser particulièrement. » Il ne semble pas douter ni du bon vouloir ni de la réussite de Collin de Plancy dans cette entreprise, puisqu’il lui adresse ses « remerciements anticipés pour ce qu’il vous plaira de faire pour nous. »

Emile Guimet est exaucé rapidement. Lors de son premier séjour, Collin avait en effet fait l’acquisition de spécimens de peintures proprement coréennes. Envoyées au musée d’ethnographie du Trocadéro avec les collections de Charles Varat, elles rejoignent par la suite les collections du musée Guimet.

Mais Collin de Plancy se procure également des exemples de peintures lettrées, exécutées par des peintures yangban, voire par des fonctionnaires de l’Académie de Peinture. C’est le cas par exemple d’une représentation de chevaux dans un paysage par Yi Myong-gi (1756- ?)340. Cette peinture sur papier possède encore son montage d’origine, sous forme de rouleau. Le bâton de suspension est orné d’ornements métalliques ne semblant répondre à aucune utilité. La peinture est signée par Yi Myong-gi (1756- ?) sous son nom de pinceau « Hwasan gouan ». Peintre de cour, actif dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, connu pour ses talents de portraitiste, il travailla parfois en collaboration avec le peintre Kim Hong-Do (1745-1814 ?), fameux pour ses scènes de genre sur la vie coréenne.

Le thème des chevaux, s’il n’est pas si fréquent en Corée, est un thème traditionnel de la peinture chinoise de lettrés. Certains peintres chinois, notamment sous les Tang (618-907) s’étaient ainsi spécialisés dans ce genre de scènes à l’image de Han Kan (actif dans les années 740-760). Le thème connaît un renouveau dans la Chine des Qing (1368-1911) notamment avec l’influence à la cour de Chine des peintres Jésuites européens comme Giuseppe Castiglione (1688-1768), spécialisé dans les portraits et les représentations équestres. Dans cette peinture coréenne, les chevaux sont figurés dans diverses attitudes : le cheval central, isolé, s’ébroue, tandis qu’en haut de la composition, deux chevaux galopent, les yeux exorbités, et sont représentés avec une grande vivacité. Le paysage et les animaux sont rendus dans un camaïeu de beige, d’ocre, de bruns, de jaune ou de blanc. La profondeur est suggérée grâce à une technique propre à la peinture extrême-orientale, par un empilement de plans : des replis de terrain au premier plan, s’étageant en hauteur, et une plaine dans

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la partie supérieure, ouvrant vers des mondes plus lointains. Par son thème et sa facture, la peinture s’inscrit dans la tradition picturale chinoise, mais le réalisme et la fraicheur, le caractère direct et la vitalité sont proprement coréens.

Un autre exemple de cet intérêt pour la peinture classique lettrée est le paravent aux fleurs et oiseaux, de Yi Han-Ch’ol (MG 15581)341. Ce paravent à dix panneaux représente des oiseaux et des fleurs couleur argent sur un fond en soie bleue. Il appartient au genre traditionnel des peintures des « fleurs et oiseaux »,

hwajodo en coréen. Ce thème relève de la culture chinoise classique, l’empereur

Huizong des Song (1082-1135) s’y étant par exemple illustré. A la fin de l’époque Joseon, il constitue toujours l’une des cinq catégories du concours d’entrée à l’Académie de Peinture342, organe officiel recrutant des peintres fonctionnaires, aux côtés des bambous, du paysage, du portrait et de la peinture animalière. L’auteur de ce paravent, Yi Han-Ch’ol (environ 1812-1900), fils d’un peintre de l’Académie, appartient d’ailleurs lui-même au Bureau des Arts. Il exerce son talent dans des domaines éclectiques et est réputé à la fois pour ses paysages, dans le style de son aîné, le célèbre peintre Kim Hong-do (1745-1814), mais aussi pour ses portraits de cours officiels.

Ce paravent est très représentatif de la peinture hwajodo coréenne : le thème et la technique sont inspirés de la Chine, les représentations en argent sur fond bleu ayant été mises au point sous les Ming (1368-1644), mais le traitement naturaliste, la recherche de volume et l’emprunt de certains motifs – le phénix, les canards – à la peinture populaire de la fin de l’époque Joseon appelée minhwa témoignent d’une recherche proprement coréenne. Le peintre ayant vécu à la fin du XIXe siècle, Collin de Plancy a pu visiter son atelier et acquérir sur place les feuilles du paravent, qui n’avait jamais été monté avant son arrivée en France.

Georges Ducrocq, l’auteur de Pauvre et Douce Corée, paru en 1904, décrit ainsi ce type de paravent :

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Pierre Cambon, L’art Coréen au musée Guimet, op.cit., 2001, pp. 249-250 342 Pierre Cambon, L’art Coréen au musée Guimet, op.cit., 2001, p. 250

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« Pour les jours de pluie ou d’hiver, quand ils ne peuvent jouir de la campagne, les Coréens ont des paravents qui leur en donnent l’illusion. Leurs peintres ont le talent de jeter sur le morceau de soie une branche d’épine en fleurs, un vol de cigognes, une libellule ou simplement une rose (…) et, comme ils improvisent, leurs dessins sont capricieux et vivants comme la nature même. (…) C’est un plaisir de visiter leurs ateliers et de les voir travailler. Ils s’installent dans une chambrette tapissée de papier et chauffée par-dessous à la mode coréenne ; ils se couchent à plat ventre sur le parquet tiède ; une banderole de soie est devant eux ; d’une main légère ils trempent leur pinceau dans les godets et, sans croquis, peignent d’un trait leurs fleurs sur l’étoffe. Leur calme est étonnant : ils soutiennent leur poignet droit de la main gauche, ils ont l’air d’écrire et ils sont si sûrs d’eux-mêmes qu’ils mettent pour travailler une casaque de soie bleu de ciel qu’ils ont bien garde de tacher et qu’ils invitent leurs amis et leurs parents à assister à leur besogne. L’œuvre d’art prend naissance au milieu des conversations, entre deux tasses de thé343. »

Bien que ce paravent ait été donné dans le but de répondre à la demande expresse du fondateur du musée Guimet, il n’est présenté au public que depuis 1995, ayant pu être monté dans l’ordre initial prévu par le peintre et indiqué au dos de chaque feuille344.

II.1.1.3. Les objets mis de côté à Sèvres pour des envois ultérieurs à

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