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Des achats nombreux qui alimentent par la suite la bibliothèque de l’INALCO

PREMIÈRE PARTIE : DÉCOUVRIR LA CORÉE, UN PAYS MÉCONNU : 1887-1894

II.2.1.2. Des achats nombreux qui alimentent par la suite la bibliothèque de l’INALCO

Une des tâches principales nécessaires à la rédaction d’un ouvrage aussi ambitieux consiste dans la recherche des livres coréens. Collin de Plancy entraîne donc Maurice Courant dans les rues de Séoul à recherche des ouvrages vendus dans des échoppes tenues par des lettrés désargentés. Maurice Courant décrit ces librairies dans l’introduction de sa Bibliographie coréenne :

« A Séoul et en province, dans-les ruelles tortueuses et sales comme sur les places poudreuses, on voit de petits étalages en plein vent, abrités du soleil par une toile grossière ; et, près de l'étalage, un jeune garçon se tient accroupi (...) il vend des épingles de cheveux, (…) des pinceaux, de l'encre, du papier et des livres407. »

« Habituellement les livres soignés font l'objet d'un commerce spécial et on ne les mélange pas avec les blagues à tabac et les serre-tête. Les boutiques des libraires sont toutes réunies vers le centre de la ville (…) Un peu à l'écart du bruit qui se fait dans ce centre des affaires, assez près pour profiter du mouvement des allants et venants, le libraire trône accroupi au fond de sa boutique, derrière son étalage disposé en pente sur le plancher qui est un peu en retrait, de façon que les clients soient à l'abri tandis qu'ils font leurs achats ; ce libraire est un homme de bonne mine, qui porte, avec des vêtements de soie, la petite tiare en crin réservée aux nobles, qui fume sa longue pipe en causant avec quelques visiteurs assis près de lui et qui ne se dérange que pour les acheteurs importants. Il rougirait de mettre en montre ces volumes communs et à bas prix qui sont écrits en langue coréenne ; s'il en a, il les relègue dans un coin ; ce qu'il

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expose, ce sont des livres en langue chinoise, des exemplaires neufs des classiques, des exemplaires d'occasion des ouvrages les plus variés par le sujet, les plus différents par la date, les uns imprimés, les autres manuscrits ; parfois des éditions assez communes parfois des éditions royales, de grand format, d'une typographie soignée, sur un papier souple et fort, de teinte légèrement ivoirine et rappelant le papier impérial du Japon408. »

Lors de ces virées dans les échoppes, les deux hommes repèrent des livres alors dédaignés par les lettrés : ouvrages bouddhiques, œuvres populaires en langue coréenne, ouvrages relatifs à des pratiques taoïstes ou chamaniques décriées par des lettrés empreints de confucianisme 409. Maurice Courant et Collin de Plancy recueillent avec les ouvrages la mémoire orale des lettrés de la fin de la dynastie Yi, notant interprétation et attribution fournis par leurs interprètes410.

Le diplomate obtient également des dons de livres coréens de la part du roi de Corée. Ces ouvrages sont destinés à enrichir les collections de la bibliothèque de l’Ecole des Langues orientales où ils sont encore conservés aujourd’hui. En août 1891, Maurice Courant écrit ainsi à Collin de Plancy :

« Les livres donnés par le Roi seront en effet envoyés au MAE et non au Président de la République, et mention sera ajoutée dans la lettre que ces volumes sérieux sont d’un intérêt tout spécial pour l’Ecole des Langues ; les notices sont déjà mises à leur lieu et place. Je viens de finir l’examen et les entrées détaillées de tous les livres vous appartenant que j’ai encore ; j’attendrai encore avant de les envoyer à Paris, afin d’y joindre ce que je pourrais encore acheter pour le compte de l’Ecole.411»

408 Maurice Courant, Bibliographie coréenne, 1894, p. XX - XXIV 409

Bouchez, Daniel. « Un défricheur méconnu des études extrême-orientales : Maurice Courant, 1865-1935 ». op.cit., 1983, p. 12

410 Bouchez, Daniel. « Un défricheur méconnu des études extrême-orientales : Maurice Courant, 1865-1935 ». op.cit., 1983, p. 14o

411

AMAE, Papiers d’agents, Fonds Victor Collin de Plancy, PAAP 50, Maurice Courant à Collin de Plancy, 14 août 1891

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Collin continue ses achats de livres après avoir quitté la Corée. Au Japon, il recherche ainsi des livres précieux coréens, ou intéressants la Corée, et envoie les informations à son ancien subordonné.

Quelques jours après le courrier précédent, Maurice Courant indique ainsi à Collin :

« Pouvez-vous trouver quelque chose au Japon ? J’ai achevé les notices sur les ouvrages bouddhiques ; je puis donc expédier tous ces volumes à l’Ecole et n’attends que vos instructions pour le faire. Faut-il dire à M. Lambreult que vous désirez que ces volumes ne soient pas mis maintenant à la disposition du public ? Si vous écriviez vous-même à ce sujet ? Je conserve bien entendu le catalogue de la bibliothèque royale et trois ouvrages de géographie qui me sont nécessaires jusqu’au moment où j’aurais mis le point final au manuscrit et n’aurai plus qu’à vous l’expédier. 412»

Nombre d’ouvrages importants sont achetés en deux exemplaires par Collin de Plancy. Les livres font l’objet d’une notice dans la Bibliographie coréenne puis un exemplaire est expédié à Paris et l’autre rejoint la collection personnelle de Victor Collin de Plancy.

Les registres des dons à l’Ecole Nationale des Langues Orientales permettent de recenser plus de six cent numéros, dont cent quatre-vingt neuf ouvrages coréens offerts en 1891413. Les ouvrages sont variés, à la fois manuscrits ou imprimés. Les éditions du XIXe siècle dominent, même si quelques livres sont parfois plus anciens, par exemple un ouvrage bouddhique consacré au rituel publié en 1635, le Suryuk

much’a p’yongdung chaeui ch’waryo, ou le Sangye piyo consacré aux rites

mortuaires et aux funérailles, dans une édition de 1744. Figurent également des recueils officiels consacrés aux événements solennels de la Cour (Chinson uigwe) que Collin a pu acquérir (ou se voir offrir par le Roi) en plusieurs exemplaires. Les ouvrages collectés traitent de tous les sujets : géographie, hippologie, art militaire,

412 AMAE, Papiers d’agents, Fonds Victor Collin de Plancy, PAAP 50, Maurice Courant à Collin de Plancy, 27 août 1891

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Francis Macouin, « Victor Collin de Plancy et les livres », dans Elisabeth Chabanol (dir.), Souvenirs de Séoul. Destins croisés France-Corée de 1886 aux années 1950, Atelier des Cahiers, Collection Essais, 2019, p. 21

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techniques médicales. Un ensemble de livres consacrés au taoïsme témoigne des changements importants qui agitent la Corée de la fin du XIXe siècle, le taoïsme ayant été banni au XVIe siècle414. Enfin, des livres de langue, dictionnaires de caractères chinois et manuels de langue pour le chinois parlé occupent une place importante, liée naturellement à l’objectif de l’Ecole des langues orientales.

A ses envois personnels s’ajoutent des livres offerts par le roi Gojong au président de la République Sadi Carnot, que le diplomate incite à remettre à l’INALCO, à l’image des céladons offerts au musée national de la céramique de Sèvres. Il s’agit de deux livres liés à l’histoire : le Hwich’an ryosa, sur l’histoire de Koryo imprimé entre 1770 et 1777, et le Wonhaeng ulmyo chongni uigwe, relatant le déplacement du roi Chongjo (règne 1776-1800) à la tombe de son père en 1795, ouvrage illustré d’une représentation très précise du cortège royal dans son entier415.

La collection d’ouvrages coréens de la Bibliothèque Universitaire des Langues et Civilisations (BULAC) doit ainsi beaucoup aux dons de Collin de Plancy.

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