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Deux auteurs sujets à caution : Hippolyte Frandin et Claire Vautier Claire Vautier

PREMIÈRE PARTIE : DÉCOUVRIR LA CORÉE, UN PAYS MÉCONNU : 1887-1894

II.2.3.1. Deux auteurs sujets à caution : Hippolyte Frandin et Claire Vautier Claire Vautier

Les deux auteurs de En Corée ne prétendent pas donner à leur récit le soin et le caractère scientifique que Collin de Plancy et Maurice Courant s’efforcent de donner à la Bibliographie Coréenne.

Hippolyte Frandin (1852-1926) est un diplomate445. Camarade de Collin de Plancy sur les bancs de l’Ecole des langues orientales, il en sort avant d’être diplômé pour entrer dans la carrière d’interprète, avant, comme Collin, d’intégrer la carrière diplomatique. Frandin possède l’avantage sur son camarade d’être issu d’une famille de diplomates. Nommé en Chine, il obtient une position importante à Tientsin grâce

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Nicole Bensacq-Tixier, Dictionnaire du corps diplomatique et consulaire en Chine, 1840-1911, op.cit., pp. 230-235

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à de bons rapports avec le Vice-Roi. En 1890, il est chargé de présider la commission de délimitation des frontières entre la Chine et le Tonkin. En 1892, il est nommé consul en Corée, en remplacement de Collin de Plancy, nommé à Tôkyo. Il y reste jusqu’en 1894 avant de poursuivre sa carrière en Chine puis en Amérique latine (Bogota et Quito) et à Sidney.

Il semble que les rapports entre Collin de Plancy et Hippolyte Frandin n’aient pas été des plus cordiaux. Dans un courrier de juin 1895 par lequel Collin demande à être à nouveau nommé en Corée (il est alors en poste à Tanger, ce qui ne semble pas lui convenir), il ne peut masquer une certaine animosité vis-à-vis de son ancien condisciple :

« Lorsqu’en 1887 je fus nommé à Séoul, (…) mon ambition était d’y être promu à la 1e classe de mon grade et d’y être maintenu plus tard comme consul général. Les circonstances ne l’ont pas permis et le Département s’étant trouvé dans la nécessité de rechercher un poste pour M. Frandin, je fus en 1890 nommé 1e secrétaire à Pékin et remplacé par cet agent à Séoul, sans avoir sollicité de changement446. »

Il partage cette méfiance avec son ami Vissière. En 1894, ce dernier demande à Collin de l’informer de la date de départ en France de Frandin, afin que son épouse, qui doit effectuer le même trajet, ne se trouve pas dans le même navire447.

Frandin ne semble par ailleurs pas avoir fait l’unanimité en Corée. Monseigneur Mutel écrit ainsi au Ministère des Affaires étrangères en 1893 pour se plaindre longuement de Frandin et de son attitude à l’égard des missionnaires. L’affaire est relativement sérieuse. La mission principale du représentant français en Corée consiste en effet à garantir aux missionnaires français la liberté d’exercer leurs activités en toute sécurité. Les missionnaires constituent d’ailleurs l’essentiel des Français présents en Corée. Les termes du traité d’amitié sont assez clairs sur le sujet, et la lettre de mission adressée en 1888 à Collin de Plancy l’est également448. Tout en « calm[ant] les impatiences des missionnaires », en leur recommandant de rester

446 AMAE, Collin de Plancy, personnel, dossiers 2e série, volume 374, Courrier du 29 juin 1895 adressé à Monsieur Revoil, directeur du Cabinet, du personnel et du secrétariat, Ministère des affaires étrangères à Paris 447

AMAE, Papiers d’agent, Collin de Plancy, PAAP 50, Courrier de Vissière à Collin de Plancy, 12 juin 1894 448 AMAE, Correspondance politique. Instructions à Collin de Plancy, 1888,

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« sur le terrain légal (…) en s'efforçant de répandre parmi les indigènes les éléments de notre civilisation », contribuant ainsi à « faire apaiser les animosités dont ils ont à souffrir aujourd'hui et à préparer aux missions un avenir meilleur », Collin doit s’efforcer d’obtenir pour les missionnaires une plus grande liberté d’action, non pas par « des négociations proprement dites, qui si habilement qu'elles soient menées, auraient toujours une apparence de pression étrangère qui les feraient probablement échouer », mais par la persuasion et le tact, lors des contacts avec les ministres coréens. Collin de Plancy s’acquitte avec brio de cette mission, obtenant pour les missionnaires l’autorisation de construire une église dans la capitale. A son départ en 1891, les travaux sont bien engagés, un clocher est prévu.

Frandin nommé consul sur place s’inquiète de l’ampleur du projet, et s’en ouvre au Saint-Siège, auquel il adresse un courrier afin de demander une réprimande officielle pour les missions lazaristes en Corée. Admonesté par le siège des Missions à Paris, ainsi que par le Ministère des Affaires étrangères, Mgr Mutel s’insurge d’un procédé qu’il trouve déplaisant :

« Jamais M. Frandin n’a manifesté le moindre désir de voir les plans de notre église. Plusieurs fois, il a visité les travaux commencés, et comme les plans ont toujours été sur le chantier au su et au vu de tout le monde, il les aurait pu voir, s’il l’avait désiré. Jamais M. Frandin ne m’a écrit à ce sujet : bien plus ( …) jamais M. Frandin ne m’a écrit ni officieusement ni officiellement, et, ce qui paraîtra incroyable jamais M. Frandin ne m’a fait réponse à une seule de mes lettres soit officielles soit particulières. (…) En vérité, pareille manière d’agir est-elle d’un protecteur bienveillant ou d’un ennemi déloyal ? En somme, dans toute cette affaire, M. Frandin nous a absolument desservi. (…) De plus, il s’est laissé jouer par les Coréens qui ont appris là, pour en profiter largement plus tard, qu’on peut donner de bonnes paroles à un Commissaire de France et que celui-ci daigne s’en contenter. Ils n’étaient point habitués à tant de condescendance449 ! »

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Si l’évêque critique fermement l’attitude de Frandin, il loue au contraire celle de son prédécesseur :

« Tous les missionnaires catholiques de Corée sont Français et nous sommes les seuls Français qui soient dans ce pays. À défaut de toute autre considération, celle-là devrait suffire à M. Frandin pour ne pas nous marchander la protection que le gouvernement de la République a voulu nous assurer en envoyant un commissaire en Corée. C’est du reste, ce qu’avaient très bien compris ses prédécesseurs, M.Collin de Plancy et M. Rocher. Jamais nous n’avons eu qu’à nous louer de leurs bons offices. »

Rentré en France, Frandin choisit comme co-auteur de son récit sur la Corée, une co-autrice énigmatique, Mme Claire Vautier, née Vigneau, « de l’opéra ». Romancière, musicienne et pamphlétiste elle est l’auteur de plusieurs autres ouvrages aux sujets sulfureux. Elle écrit ainsi un pamphlet critique contre le Marquis Saint-Yves d’Alveydre (1842-1909), érudit à tendances occultistes et fondateur de la théorie de la synarchie 450 . Elle publie par la suite plusieurs romans dont les titres évocateurs et paradoxaux ont un goût de scandale : Femme et prêtre, en 1894, qui raconte l’histoire d’une jeune fille éprise d’un jeune et beau curé, qui décide, pour le suivre, de se travestir, ou encore Adultère et divorce en 1889. Il est difficile d’expliquer pourquoi Frandin a recours à Claire Vautier pour rédiger ses souvenirs de voyage et il est douteux que cette dernière y ait jamais séjourné.

II.2.3.2. Un récit de voyage « amélioré » dans la veine des écrits

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