• Aucun résultat trouvé

Compléter les collections de Charles Varat : l’envoi de meubles et livres meubles et livres

PREMIÈRE PARTIE : DÉCOUVRIR LA CORÉE, UN PAYS MÉCONNU : 1887-1894

1.3.2. La galerie coréenne de Charles Varat au musée d’ethnographie du Trocadéro d’ethnographie du Trocadéro

1.3.3.1. Compléter les collections de Charles Varat : l’envoi de meubles et livres meubles et livres

En 1890, Collin de Plancy est nommé à Tokyo. Avant son départ de Corée, et à la demande de Charles Varat, il effectue des achats importants pour le musée Guimet qu’il fait expédier depuis le Japon en 1893. Il s’agit d’un bahut en bambou, de deux armoires constituées chacunes de deux parties287. Ces armoires répondaient à un souhait de Charles Varat de compléter la collection qu’il avait constituée en fournissant au musée Guimet des éléments de mobilier de valeur, provenant de milieux aristocratiques et témoignant de l’excellence de l’artisanat coréen.

Les objets amassés par Charles Varat avaient en effet plutôt un intérêt ethnographique et témoignaient de la vie quotidienne et de l’artisanat courant. Mais, contrairement au musée d’ethnographie du Trocadéro spécialisé dans la monstration d’artefacts du quotidien témoins de pratiques étrangères – en particulier religieuses – le musée Guimet avait pour ambition de présenter de véritables œuvres d’art. Ce qui convenait donc pour le musée d’ethnographie du Trocadéro ne pouvait suffire pour l’établissement d’une galerie coréenne digne de ce nom au musée Guimet. D’où la demande adressée par Charles Varat à Collin de Plancy encore présent en Corée – et par la suite la demande de Guimet lui-même concernant la peinture coréenne – de compléter ces collections par des témoignages d’artisanat plus élaborés.

Dans le récit de son voyage, Charles Varat décrit les meubles coréens : « certains (…) sont laqués en noir et incrustés de superbes nacres, produit naturel du pays, donnant aux meubles de ce genre une richesse incomparable par la beauté du dessin et de l’éclat de la lumière qu’elles emmagasinent288. » Plus loin, Varat déplore même : « Malheureusement, on ne les trouve que chez les Mandarins, les Nobles ou des personnages fort riches, car, pas plus en Corée qu’au Japon, les gens du peuple n’ont de meubles289. »

287

Archives Nationales, F17 2949, « Annexe à la lettre de Tôkyô », 6 mars 1893 288

Charles Varat, « Voyage en Corée », op.cit., 1892 289 Charles Varat, « Voyage en Corée », op.cit., 1892

117

Dans un courrier de mars 1893 adressé au ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts290, Collin de Plancy explique ainsi sa démarche :

« J’ai reçu (…) la lettre (…) par laquelle Votre Excellence a bien voulu me témoigner sa satisfaction pour l’assistance que j’avais prêtée à son Département en recueillant au Japon des collections ethnographiques destinées à l’Etat et en continuant à Mr Varat le concours que je lui avais précédemment donné en Corée. Pendant le séjour que cet explorateur a fait dans ce dernier pays, il n’avait pas réussi à se procurer certains modèles intéressants de l’industrie coréenne dont j’ai pu plus tard acquérir des spécimens. Au moment où se prépare l’inauguration de la galerie affectée au Musée Guimet aux produits de la Corée, il me paraît opportun d’offrir ces objets à l’Etat et j’ai en conséquence l’honneur de les envoyer à Votre Excellence. »

Les deux armoires expédiées par Collin répondent ainsi aux vœux de Charles Varat. Le premier est un bahut bas291, en bambou, muni de quatre portes ornées de plaques de bambou contrastant représentant des paysages. Le paysage est le genre pictural valorisé par le confucianisme. Au XVIIIe siècle, le genre de la peinture de paysage en Corée s’émancipe de son modèle chinois en prenant exemples non plus sur les peintres prestigieux du passé mais bien sur les paysages réels de la péninsule, notamment le Kumgangsan, « Montagne du Diamant ». Ce sont ces paysages que l’on retrouve représentés sur le meuble bas, dans un style caractéristique, l’ébéniste ayant pour chacun d’entre eux créé une perspective à vol d’oiseau pour suggérer l’espace et la profondeur. Ce petit meuble était utilisé dans le sarangbang, espace de travail des lettrés yangban et véritable cœur de la demeure aristocratique coréenne292. Le soin apporté à la représentation paysagère indique que ce meuble était effectivement destiné à des lettrés. Le matériau employé, de par sa finesse et sa légèreté est également caractéristique : les meubles coréens sont mobiles, l’intérieur devant être le plus dépouillé possible. Ils sont également bas comme ce bahut, l’usage étant de vivre à même le sol, couvert de papier huilé et sous lequel passe des canalisations

290

Archives nationales, F17 2949, Tokyo, le 6 mars 1893 291

Pierre Cambon, « Cabinet de Salon », in Stéphanie Brouillet (dir), Roman d’un voyageur, op. cit, 2015, p. 182 292 Francis Macouin, La Corée du Choson, 1392-1896, op.cit., 2009, p. 132

118

chauffant la maison, appelées ondol293. En 1866, l’ambassadeur de Chine à la cour de Séoul notait ainsi : « Les Coréens s’assoient par terre et, par suite, leurs tables sont peu élevées au-dessus du sol294. »

Les deux autres meubles sont des armoires constituées chacune de deux parties amovibles. Ces coffres nong répondent aux exigences de simplicité et de sobriété de la maison coréenne, ces meubles servent à la fois d’armoires, de coffres de voyage et d’ornements de la maison.

La première armoire295 est revêtue de plaques d’écaille selon une technique traditionnelle, celle du hwagak. Il s’agit de corne de bœuf découpée puis chauffée afin d’être aplaties et de constituer de fines lamelles translucides. Ces lamelles sont ensuite peintes sur le revers avec des pigments de couleur vive, avant d’être collées sur le bois des meubles. Charles Varat avait repéré cette technique originale de décoration lors de son séjour à Séoul :

« Nous voici arrivés dans une rue où on vend des meubles J’en trouve de différentes époques. Les plus anciens sont laqués ou peints de couleurs contrastantes du plus brillant effet ; quelques-uns sont enrichis de minces bandes d’ivoire ou d’os qui forment comme un cloisonné carré, où l’on coule comme une légère couche de corne fondue dont la transparence dorée illumine d’un éclat spécial les vives peintures qu’elle recouvre et protège296. »

Le meuble envoyé par Collin de Plancy possède ainsi une riche ornementation colorée, les lamelles de cornes forment cent soixante-treize carrés s’insérant entre des baguettes peintes en rouge vif. Chacun de ces carrés porte un symbole auspicieux. Le

yin et le yang associés ornent les battants des portes. Les autres motifs sont des

motifs animaliers ou floraux ayant une valeur positive dans le taoïsme ou dans le confucianisme. Leur association est proprement coréenne et se retrouve dans l’art dit

293

Francis Macouin, La Corée du Choson, 1392-1896, op.cit., 2009, p. 132

294 Cité par Pierre Cambon, « Cabinet de Salon », in Stéphanie Brouillet (dir.), Roman d’un voyageur, op.cit., 2015, p. 182

295

Pierre Cambon, L’art coréen au musée Guimet, op.cit., 2001, p. 261 296 Charles Varat, « Voyage en Corée », op.cit., 1892

119 minhwa297 de la fin de l’époque Joseon. On retrouve le cerf, symbole d’immortalité, le couple de canards promettant un mariage heureux, le dragon porteur de bonheur, le tigre protecteur contre les maladies, mais également pivoines, fleurs de lotus, pruniers. La vivacité des couleurs indique que l’objet – très luxueux – était destiné à la partie anch’ae de l’habitation coréenne, partie traditionnellement réservée aux femmes, et notamment à l’anbang, pièce intérieure qui constituait le centre de la vie des femmes et des enfants298. La richesse du meuble et sa technique précieuse prouvent qu’il était destiné à un intérieur aristocratique.

Le dernier meuble est également un buffet nong, aux serrures en forme de papillon, et à la riche ornementation de nacre299. Dans son récit, Charles Varat évoque ainsi ce type de meuble : « D’autres, moins antiques, sont laqués en noir et incrustés de superbes nacres, produit naturel du pays, donnant aux meubles de ce genre une richesse incomparable par la beauté du dessin et l’éclat de la lumière qu’elles emmagasinent300. » Ce type de meuble dérive d’une tradition chinoise mais la technique diffère par sa simplicité : les motifs sont esquissés à l’encre sur le bois, les lamelles de nacre collées à la surface en suivant le dessin, et le tout est recouvert de plusieurs couches de laque qui sont poncées une fois sèches afin de laisser apparaître la nacre. Le thème est également typiquement coréen, l’association de fleurs, d’oiseaux et de papillons étant connue sous le nom de hwajodo – littéralement « fleurs et oiseaux » - thème courant dans l’élite lettrée coréenne et synonyme de printemps, d’amour et de fidélité301. Rendu ici avec vivacité, il décore un meuble qui a pu constituer un trousseau de mariée et orner une chambre conjugale.

Le choix de ces meubles indique que Collin possédait une connaissance fine de l’artisanat coréen. Il a ainsi pu se procurer des exemples caractéristiques de formes artistiques typiquement coréennes. Au-delà de la valorisation d’un artisanat traditionnel, c’est également l’intérieur typique d’un lettré coréen de la fin de l’époque Joseon que ces meubles restituent et notamment la différence fondamentale entre les

297

L’art Minhwa est un art populaire qui se développe à la fin de la période Joseon, voir Francis Macouin, La Corée du Choson, 1392-1896, op.cit., 2009 et Pierre Cambon, L’art coréen au musée Guimet, op.cit., 2001, p.11

298 Francis Macouin, La Corée du Choson, 1392-1896, op.cit., 2009, p.150 299

Pierre Cambon, L’art coréen au musée Guimet, op.cit., 2001, p. 259 300

Charles Varat, « Voyage en Corée », op.cit., 1892

120

espaces réservés aux hommes, au premier rang desquels figure le sarangbang, cabinet de travail, et ceux réservés aux femmes, l’anbang. Collin de Plancy a pu visiter des maisons traditionnelles de lettrés. Une de ses photographies conservée aujourd’hui aux Archives Diplomatiques en témoigne : il s’agit du portrait du général Han-Kyon-Syel, accompagné de ses fils encore enfants, dans leur intérieur. Le général en tenue traditionnelle – hanbok et coiffe traditionnelle lettré – pose assis devant un paravent peint représentant des canards. A sa gauche, un coffret en bois laqué est posé sur une petite table devant laquelle a été disposé un arbuste en pot302. Ces visites, comme celles faites au Roi, ont permis à Collin de Plancy de bien connaître la décoration des intérieurs coréens.

Aux meubles il faut ajouter également six livres indiqués comme des dons de Charles Varat mais portant l’ex libris au nom de Victor Collin de Plancy, notamment un soutra bouddhique édité dans un monastère, le Yongju-sa en 1796 : Soutra pour

les bienfaits reçus de nos parents, Pulso taebo pumo unjong kyong303.

Outline

Documents relatifs