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Une approche de la porcelaine coréenne par la traduction de sources chinoises de sources chinoises

PREMIÈRE PARTIE : DÉCOUVRIR LA CORÉE, UN PAYS MÉCONNU : 1887-1894

1.2.3.3. Une approche de la porcelaine coréenne par la traduction de sources chinoises de sources chinoises

Avant les envois de Collin et la publication de la note de Billequin, la céramique coréenne était en France une inconnue, comme le souligne Edouard Garnier, conservateur du musée national de la céramique, dans une note de 1892 :

« La nombreuse collection des poteries et porcelaines coréennes que nous a envoyée M. Collin de Plancy, premier secrétaire de la légation de France à Tokio, apporte de nouveaux documents pour l'histoire de la céramique dans l'Extrême-Orient. A l'exception des deux coupes dont le roi de Corée avait fait don en 1889 à M. Le Président de la République (...), de quelques pièce données la même année par M. Collin de Plancy et de fragments sans importance qui figurent dans les réserves du musée Guimet, la céramique coréenne n'était pas représentée dans les collections européennes et ses caractères étaient si mal définis que les écrivains les plus autorisés avaient jusqu'ici attribué à la Corée des porcelaines qui provenaient de la Chine. Cette lacune était d'autant plus regrettable que les

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Archives du Musée National des Arts Asiatiques Guimet, Lettre de Deshayes à Guimet, 18 mars 236

Archives du Musée National des Arts Asiatiques Guimet, Lettre de Collin de Plancy à Emile Guimet, 5 mai 1895

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Coréens ont été, en céramique, les maitres des Japonais, qui, aujourd'hui encore, copient leurs procédés d'incrustation de pâtes diversement colorées dont M. Collin de Plancy nous a donné de beaux spécimens remontant au XIVe et au XVe siècles237. »

Pour Edouard Garnier, l'étude de la céramique coréenne s'inscrit dans une perspective plus large de meilleure compréhension de l'histoire de la porcelaine en Extrême Orient. Il s'agit de comprendre comment s'articulent les différentes traditions céramiques chinoises, japonaises et coréennes. Le fait que les Japonais tiennent la céramique coréenne en si haute estime, comme l'indique Maurice Courant238, a conduit certains auteurs européens du XIXe siècle à envisager qu'elle pouvait être même antérieure à la porcelaine chinoise.

Ainsi, Albert Jacquemard (1808-1875), amateur et collectionneur, auteur d’une classification de la céramique inspirée par les principes des sciences naturelles 239 , regroupe-t-il dans une catégorie dite « famille archaïque » les porcelaines considérées comme les plus anciennes et attribuées à la Corée240. Il écrit en 1866 : « Il a été question bien des fois de l'intervention des Coréens dans l'éducation des Chinois et des Japonais ; cette intervention avouée dans les livres des deux nations, nous obligeait à trouver le caractère des œuvres du peuple initiateur241. »

Jacquemard nuance son propos en 1873 en attribuant à la Corée la primauté uniquement sur la porcelaine peinte : « Il eût été naturel, selon les apparences, de parler des Coréens avant les Chinois et les Japonais, puisque les documents écrits nous ont signalé ceux-ci comme tributaires des premiers au point de vue des arts céramiques. Mais, en examinant les faits, on reconnaît bientôt qu'il ne s'agit, dans

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Rapport trimestriel d'Edouard Garnier à l'administrateur de la manufacture, août 1892, Archives de Sèvres Cité de la Céramique, 4 W 70

238« Elle a depuis des siècles ses amateurs fanatiques au Japon. », Maurice Courant, Souvenirs de Séoul, p. IV

239 Pauline d’Abrigeon, « Des sciences naturelles à l’histoire de l’art : la porcelaine chinoise dans les classifications françaises du XIXe siècle », in Histoire de l’Art, n°882, Asie-Occident, Paris, 2018, pp.110-112 240 A. Jacquermart et E. Le Blant, Histoire artistique, industrielle et commerciale de la porcelaine, Paris, J. Techener, 1861

241Albert Jacquemard, Les merveilles de la céramique, ou l'art de façonner et décorer les vases en terre cuite, faüence, grès et porcelaine depuis les temps antiques jusqu'à nos jours. Tome I. Orient, Hachette, Paris, 1866, p. 181

94 l'enseignement coréen, que de la porcelaine peinte, la moins ancienne de toutes dans l'Extrême-Orient242. » Jacquemard étaye ces assertions en attribuant à la Corée les porcelaines à décor kakiemon parvenues en Europe au XVIIIe siècle et très appréciées des collectionneurs. Estimant leur décor archaïque et leur caractère plus ancien, il les attribue à la Corée, et estime que ces pièces ont pu contribuer au développement des porcelaines à décor polychrôme en Chine et au Japon.

Octave du Sartel s'oppose fermement à l'interprétation de Jacquemard : « Si l'on a cru pouvoir les attribuer à la Corée (…) c'est sans doute parce qu'il a semblé naturel de penser que cette grande péninsule (…) avait été le chemin forcément suivi par les sciences et les arts pour passer du Céleste Empire au Japon (…). Que la Corée, ait été, pour bien des choses, comme le trait d'union entre les deux grands pays, (…) cela est possible ; mais il ne paraît pas qu'elle ait su arrêter au passage et pratiquer le secret de fabriquer et d'orner la porcelaine. »

Du Sartel poursuit en réfutant également l'opinion selon laquelle l'art céramique japonais devrait beaucoup aux potiers coréens : « de l'histoire de la porcelaine au Japon il résulte (…) que les Coréens n'étaient pas plus avancés que les Japonais et que jusqu'à la fin du XVIe siècle, ils ne produisaient que des poteries plus ou moins grossières, à décors rudimentaire243. » L'auteur conclue de ces informations qu'il n'existe pas de porcelaines coréennes.

L'Histoire et fabrication de la porcelaine chinoise publié par Stanislas Julien en 1856 d'après un ouvrage chinois mentionne cependant l'existence de porcelaines coréennes :

« J'ignore à quelle époque elles ont pris naissance. Elles sont extrêmement minces et leur émail ressemble un peu à celui de

King-Te-tchin. Il y en a d'un bleu pâle (…), d'autres ont de petites fleurs et

ressemblent aux porcelaines dites Pé-ting (…). Si elles sont ornées de branches de fleurs blanches, elles n'ont dans ce royaume qu'une valeur médiocre. (…) Mais les tasses en forme de courge (…) et les jarres en forme

242Albert Jacquemard, Histoire de la céramique, étude descriptive et raisonnée des poteries de tous les temps et de tous les peuples, Hachette, 1873, p. 117

95 de lion (…) sont regardées comme fort remarquables244. »

Du Sartel réfute cette preuve en indiquant qu'il s'agit sans doute d'une fausse interprétation245, et en affirmant que si les Coréens avaient su produire de la porcelaine, on en trouverait des exemples en Europe.

La note de Billequin vient ainsi combler une lacune évidente dans la connaissance de la céramique extrême-orientale. Elle a pour objectif de « caractériser la porcelaine coréenne, préciser […] les signes distinctifs », de « rechercher l'ordre chronologique de fabrication des produits de ces trois pays (Chine, Japon et Corée) et de faire ressortir l'influence artistique qu'ils ont eue réciproquement les uns sur les autres. » Billequin cherche en vain des traces de porcelaines dans les listes des tributs offerts par le royaume de Corée à son suzerain chinois.

Il s'intéresse alors aux ouvrages sur la céramique, et notamment au

King-teh-Tchin Tao-lou (Histoire de la fabrication de la porcelaine de Jingdezhen) qui indique

que « les porcelaines de Corée sont verdâtres : les gens du pays appellent cette couleur Féi-tsoui, litt. Couleur de martin pêcheur. ». Ces céladons de l’époque Koryo sont en effet très réputés en Chine. L’ouvrage décrit également les formes étranges et appréciées de ces objets, comme des brûle-parfums avec couvercle supportant un animal fantastique accroupi sur une feuille. Billequin ajoute ainsi : « il ne faut pas perdre de vue qu'il n'est jamais question que de porcelaine monochrome blanche, verdâtre, tirant plus ou moins sur le bleu, et nullement de porcelaine décorée d'émaux. ». Ces conclusions remettent en cause l'attribution des kakiemon à la Corée, et l'idée que la porcelaine coréenne aurait été plus ancienne que la porcelaine chinoise. Elles mettent en lumière la production la plus importante de la céramique coréenne, celle des céladons, très nombreux parmi les objets donnés à Sèvres par Collin.

Que ce soit par ses envois, ses recherches personnelles ou celles qu’il suscite, Collin est le véritable révélateur de la céramique coréenne en France.

244 Stanislas Julien, Histoire et fabrication de la porcelaine chinoise, Mallet-Bachelier, Paris, 1856, p. 35 245Octave du Sartel, La porcelaine de Chine, Vve A. Morel, 1881, p. 14

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I.3. La mission de Charles Varat, la présentation de la Corée au musée d’ethnographie du Trocadéro

Grâce à l’ouverture de relations diplomatiques avec la Corée, la péninsule devient un objet de recherche pour les orientalistes, et une destination pour les voyageurs audacieux. Le premier d’entre eux à effectuer le voyage est Charles Varat (1843-1893). Ce parisien fortuné, ouvert d’esprit, se définit lui-même comme « explorateur » sur sa carte de visite246. Avant la Corée, il a ainsi mené des expéditions en Europe, en Asie et en Amérique. Un article du Monde Illustré détaille ses voyages : « En Amérique : New-York, les chutes du Niagara, Québec, Montréal, Winnipeg, Galgari, Vancouver (…) En Afrique : tout le nord, de Tanger à Tunis (…) Enfin en Asie, il faisait le Z classique des Indes, de Calcutta à Delhi, de Delhi à Bombay, de Bombay à Madras, et de Madras à Tussi-Corin où il s’embarquait pour visiter Ceylan, puis partie de la Birmanie, de la Malaisie, du Siam, du Cambodge, de la Cochinchine, de l’Annam et du Tonkin. Ce fut ensuite le tour de la Chine du sud, Macao, Canton, Hong-Kong, puis, plus haut, Shanghai où remontant le Yang-Sé par Nanking, Hang—Kao, Yschang, il pénétrait en sampan, à six cents lieues dans l’intérieur.247 »

Certains de ces voyages sont l’occasion pour Charles Varat de collaborer avec le Ministère de l’Instruction Publique et de rapporter des objets. C’est le cas d’une mission en Suède et d’une en Russie, au cours de laquelle il s’intéresse aux Samoyèdes. Il rapporte de ces deux voyages des objets destinés au musée d’ethnographie du Trocadéro248. Ces explorations s’inscrivent dans le cadre des missions du ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts249. Le ministère

246

Pierre Cambon, « La diplomatie culturelle, de Varat à Collin de Plancy. Les collections coréennes du Musée Guimet au XIXe siècle » op.cit., 2015, p. 8-14

247

« Une mission en Corée », Article du Monde Illustré, 15 février 1890, p. 103 248

Archives nationales, F/17/3012 : Dossier n°1. M. VARAT. Mission dans la Russie septentrionale et la Sibérie. Arrêté du 16 juin 1886

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Voir : Des voyageurs à l’épreuve du terrain : études, enquêtes, explorations, 1800-1960, Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales, 2016 ; Jean-Christophe Bourquin, L’Etat et les voyageurs savants : légitimités individuelles et volontés politiques : les missions du ministère de l’Instruction publique, 1842-1914, Thèse soutenue en 1993 à Paris I, sous la direction d’Antoine Prost ; Stéphanie Soubrier, « Les éconduits de la Science  : les demandes de missions lointaines rejetées par le ministère de l’Instruction publique (1842-1900) », Revue d’histoire du XIXe siècle, vol. 57, no. 2, 2018, pp. 75-90

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encourage des voyageurs à mener des missions d’exploration systématique de contrées peu connues, parfois en assurant une partie du financement mais surtout en facilitant les démarches diplomatiques, en lien avec le Ministère des Affaires étrangères. Les voyageurs en mission sont ainsi accueillis dans les représentations françaises à l’étranger et aidés dans leurs démarches par le personnel diplomatique. Ces missions ont pour objectif de rassembler des informations précises sur un territoire donné : géographie, ethnologie, production artisanale, qui ont vocation à être publiées. Elles doivent également permettre de rassembler des objets destinés à enrichir les musées français.

Un des points faibles cependant des missions menées sous l’égide du Ministère de l’Instruction Publique réside dans la variété des voyageurs mandatés, et dans l’absence de formation spécifique qui permettrait d’homogénéiser la collecte de données et d’objets, contrairement à la pratique du Muséum national d’histoire naturelle jusqu’au milieu du XIXe siècle250. En réalité, ces missions reposent surtout sur la bonne volonté d’explorateurs fortunés, dont le manque de connaissances et de méthodes est plus ou moins compensé par la curiosité intellectuelle. C’est dans ce contexte que s’inscrit le voyage que Charles Varat effectue en Corée en 1888. C’est d’ailleurs lui-même qui sollicite le ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts pour cette mission, afin de bénéficier de recommandations auprès des agents diplomatiques français en Corée : « En 1886, l’un de vos prédécesseurs a bien voulu me confier une mission ethnographique au pays des Samoïèdes, l’accueil fait par votre Département à la collection que j’ai rapportée de mon exploration et que j’ai offerte à l’Etat m’encourage à solliciter de votre haute bienveillance une nouvelle mission pour la Corée251. »

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