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Wafa BERRY Université Libanaise, Faculté des lettres et des sciences humaines, Beyrouth Liban

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epuis un bon nombre d’années et partout dans le monde, la forma- tion des formateurs est devenue la pierre angulaire de tout projet à visée éducative.

Tout au long de mon engagement dans la didactique des langues, j’ai participé ou j’ai été impliquée à certaines de ces formations, au Liban comme ailleurs, et je peux affirmer que celles-ci se terminaient presque toujours selon le même schéma : grand soulagement des uns et des autres, fiche d’évaluation de la session, discours de remerciement d’un côté et, de l’autre, répliques d’encou- ragements pour œuvrer dans le sens de la consolidation des acquis.

Une question s’imposait concernant la rentabilité optimale de ces formations où des professeurs se déplaçaient, parfois, bien loin de chez eux, en vue de suivre un programme de formation, intensif, « imposé » et qui n’offrait pas toujours du nouveau pour certains parmi eux.

Qu’est-ce qui pouvait garantir à long terme la modification des comporte- ments pédagogiques des professeurs? Ou encore sous quelle forme pouvait-on assurer le suivi adéquat à une formation quelconque?

Je peux affirmer que ces interrogations trouvaient toute leur légitimité lors des observations de classe que j’effectuais en ma qualité de formateur de formateurs. J’ai pu constater que les enseignants s’étaient souvent arrêtés au contenu travaillé lors de la formation, contenu qui, avec le temps, commençait souvent à s’effriter et parfois même à se décontextualiser de façon à nuire aux pratiques pédagogiques adéquates au lieu de les faire évoluer.

La formation, dans ses aspects et dispositifs traditionnels, se révélait donc insuffisante et elle présentait au niveau pédagogique des lacunes qu’il fallait affronter. Sans parler des impacts psychologiques du déplacement des en- seignants pendant leurs jours de congé pour venir se former. À ce sujet, je

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cite, à titre d’« anecdote » une recherche soutenue par le programme d’appui

à la recherche scientifique de l’Université Libanaise, menée par un groupe d’enseignants, et qui se propose d’étudier les problèmes psychosociaux des enseignants venant des régions lointaines pour suivre des formations à Beyrouth.

Donc, l’hétérogénéité du public en ce qui a trait au profil initial, aux capacités et aux compétences de chacun, aux conditions de travail (temps, lieu, durée, tâches, responsabilités) ou même aux conditions sociales nous a poussés à regarder dans le sens de la formation à distance comme complément indis- pensable à une formation qui pouvait bien avoir débuté en présentiel. En effet, le présentiel est jusqu’ici une phase incontournable dans la tradition communicative orientale habituée à privilégier le contact direct.

Il nous paraît superflu d’insister sur les études et expériences concernant les avantages de la formation à distance. Ces études affirment que ce type de formation fait des enseignants des partenaires à part entière dans l’opération de leur formation. Profondément engagés, ils seront, cependant, libres de choisir le lieu, le temps, le rythme, le contenu, le programme, l’évaluation, etc., qui leur sont adaptés.

Sur un autre plan, la toile ajouterait à la qualité scientifique de la formation : mettre un cours en ligne permet une visibilité du contenu qui garantirait, en principe, l’alignement minimal du formateur sur les normes en vigueur lors de la conception de son cours.

Mais, en réalité, qui assure la formation initiale des enseignants au Liban et comment?

Les facultés des sciences de l’éducation, des lettres et des sciences humaines ainsi que celle des sciences alimentent généralement le marché de l’ensei- gnement public et privé au Liban, même si c’est la faculté de pédagogie qui est directement impliquée dans la formation des enseignants.

Également le CRDP (centre de recherche et de développement pédagogiques) assure dans les écoles normales la formation initiale et continue des ensei- gnants de tous les cycles de l’enseignement présecondaire et préuniversitaire. Il en est de même pour l’Institut pédagogique national de l’enseignement technique destiné à la formation et au perfectionnement des maîtres.

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Par ailleurs, l’Institut français à Beyrouth, comme d’autres organismes, privés,

assure également des formations de professeurs sur des thématiques précises. Il faut bien noter que toutes ces institutions qui forment en présentiel ne peuvent prétendre couvrir le marché très prospère de l’enseignement au Liban à cause d’un « certain nombre de contraintes : capacités logistiques d’accueil, dispersion géographique des apprenants, complexité et diversification et des disciplines, coût de formation de plus en plus élevé… »12

Ceci explique bien les inégalités des enseignements dispensés dans la même ville, mais surtout entre la capitale et les régions éloignées, ce qui menace la qualité et l’égalité des chances dans le développement durable.

Je parle surtout de l’enseignement des langues, du français notamment à l’Uni- versité Libanaise, unique université publique du pays et la plus grande, celle qui compte plus de 60 % des étudiants universitaires au Liban. Consciente des lacunes linguistiques de ses étudiants, l’UL a lancé en 1994 une opération de remise à niveau en français dans ses dix-sept facultés et instituts. Parallèle- ment, des formations à la didactique des langues ont eu lieu pour familiariser nos enseignants à l’approche communicative et à la didactique du français sur objectifs spécifiques.

Sachant qu’il fallait laisser une trace de ces formations, nous avons créé un site Internet relatif à l’ingénierie didactique du FOS intitulé « Internet au service de l’enseignement du français pour arabophones ». Ce site13 sert de référence tant aux enseignants formés qu’aux nouveaux. Il a constitué le premier pas sur le chemin des technologies et des langues de spécialité à l’Université Libanaise. La création en 2001 du Centre des sciences du langage et de la communication à la Faculté des lettres et des sciences humaines a établi une passerelle entre les langues et les technologies. La réforme des programmes dans le cadre du système LMD a définitivement consacré l’intégration de celles-ci dans les cursus non seulement en tant qu’outil, mais aussi en tant qu’objet d’étude dans son rapport à la langue. Cette initiative jugée innovatrice pour le Liban, comme pour toute la région du Moyen-Orient, prépare ainsi le terrain de la formation à distance.

12 El HACHEM Thérèse, Éducation, technologies et coûts, Recherche en cours Labo- ratoire LiLas, Centre des sciences du langage et de la communication, Faculté des lettres et des sciences humaines, UL (2009-2011).

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En effet, d’un simple recours aux TICE dans un cours de didactique des

langues, j’ai initié avec les collègues du Centre que j’ai dirigé pendant quatre ans, une licence en ingénierie de l’apprentissage des langues à trois compo- santes : didactique, linguistique et technique. Cette licence a été suivie par un Master intitulé Industrie des langues et e-formation.

La langue française est dominante au Centre des sciences du langage, néan- moins, la formation en ingénierie didactique s’étend également aux langues arabe, anglaise ou italienne.

Ce master vise l’ingénierie de formation dans ses deux sens : stratégique et technique. Il consiste à former les étudiants à la conception de scénarios didactiques attrayants, ludiques, destinés à être suivis à distance, en ligne ou hors ligne.

À l’issue de la formation, les contenus censés être élaborés par les étudiants ont pour objectif particulier l’enseignement de la langue et dans la langue (arabe, française ou anglaise). Ils devraient être conçus à partir de documents authentiques ou fabriqués inspirés de méthodes de langue ou de divers ma- nuels de sciences, d’histoire, de géographie ou d’autres disciplines.

Évidemment, les unités d’enseignement présentes dans les programmes visent particulièrement à former les étudiants aux compétences nécessaires à la réalisation des objectifs du Master susmentionné. 14

14 À titre d’exemple quelques unités d’enseignement : TICE et didactique des langues; Approches méthodologiques en E-didactique des langues; Méthodologie de la recherche et documentation électronique; Bibliométrie, Scientométrie; E-Activités et E-Evaluation en cours de langue; E-scénarisation d’une séquence pédagogique; Analyse et études comparatives de logiciels didactiques; La Formation à distance (FAD); Structure du discours spécialisé (FOS), Un Cours obligatoire à distance; Conception et gestion d’un projet multimédia en IOS (Informatique sur objectifs spécifiques…).

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Installée dans les curricula et les textes officiels, la formation à distance a

ainsi intégré les pratiques pédagogiques du centre. Un laboratoire équipé à cet effet a commencé à dispenser certains cours par visioconférence ou sur Skype, installant ainsi la culture de la communication didactique en ligne. Dans la même optique, le Centre a fondé en collaboration avec l’Université de Lyon 2 et de Paris 4, son propre laboratoire de recherche LiLas. (Linguistique, Ingénierie, Langue, Apprentissage, Sémiotique), soutenu par le programme d’appui à la recherche de l’UL et le programme CEDRE franco-libanais pour la recherche15.

Trois équipes se sont intéressées à trois axes différents, mais elles étaient toutes liées par une seule finalité : langues et TICE, en linguistique et en didactique.

Le projet actuel sur lequel travaille le laboratoire a pour objectif de dévelop- per une plateforme informatique d’annotation sémantique pour la recherche d’informations selon le point de vue de l’utilisateur. Un travail sur corpus qui devrait permettre de proposer des approches et des outils innovants en didactique des langues.

Il serait intéressant de signaler l’interdisciplinarité qui caractérise les travaux en cours au sein de ce laboratoire16.

Sur un autre plan, ce qui est important dans cette expérience qui a commencé dans la plus petite unité de la Faculté des lettres et des sciences humaines, c’est qu’elle est en train de se généraliser dans toute la faculté. Je rappelle que la Faculté des lettres est la plus grande de l’Université Libanaise, celle qui accueille presque la moitié des 70 000 étudiants de l’université.

Aidée des commissions différentes de la faculté ainsi que de son conseil, j’ai introduit l’informatique générale et appliquée dans les cursus de toutes nos spécialisations (nous comptons 10 départements, avec 19 masters profes- sionnels et 28 de recherche).

15 http://lilas.citations-explorer.com

16 Voici quelques titres de travaux en cours : Filtrage automatique de définitions dans les textes scientifiques : outils d’extraction d’informations et d’apprentissage en ligne; Vulgarisation scientifique et français sur objectifs spécifiques; Conception d’un cours et son implémentation en ligne; Éducation, technologies et coûts; La vulgarisation scientifique sur les chaînes de télé libanaises; Vulgarisation scientifique et affiche publicitaire; Technologies modernes et enseignement de la littérature.

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Une commission de spécialistes (en informatique, en linguistique et en didac-

tique informatique) a été mise en place, elle est chargée de gérer la question informatique dans toute la faculté (cours, équipements, formation…). Ainsi, dans chacune des huit sections de la faculté, réparties sur tout le terri- toire libanais, en plus des laboratoires informatiques, un point de formation à distance est en train d’être créé en vue d’assurer la formation continue de nos enseignants et un appui à la formation initiale de nos étudiants surtout pour certaines matières qui accuseraient un manque de professeurs spécialistes notamment dans les régions éloignées de la capitale. Ce point FAD servira également à diffuser dans toutes les sections en même temps le séminaire donné par un professeur visiteur pour en faire profiter toutes les régions17. Évidemment, ces actions ne pourraient être réalisées sans les ressources adé- quates. Notre projet de budget pour l’année 2011-2012 a tenu compte de ces profondes modifications dans le fonctionnement de la faculté au niveau des équipements ou des personnes-ressources.

Avant de clore le chapitre de l’intégration des technologies à la Faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université Libanaise, il est important de noter que toute cette opération n’est pas sans difficultés à tous les niveaux : humain, technique, opérationnel, administratif… L’incompétence, due au manque de formation et d’information dans le contexte universitaire, pourrait bien affecter le développement du projet et la qualité des performances de chacun de ses partenaires. C’est pourquoi une convention est en train d’être préparée avec l’Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 qui a dans ses cursus un Master18 qui ressemble bien dans ses objectifs aux nôtres afin de pouvoir échanger les différentes compétences.

Au milieu donc de cette effervescence ouvrant la Faculté des lettres à la for- mation à distance pour les raisons et les besoins déjà mentionnés, l’Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres (IFADEM), projet international entrepris conjointement par l’AUF et l’OIF, décide d’intégrer le Liban dans IFADEM 2, deuxième phase du projet qui a donné des résultats très positifs à sa première étape.

17 Ex : les lundis du Master diffusés directement de l’Université de Paris 3.

18 Master professionnel : AIGEME (Applications informatiques : gestion, éducation aux médias, e-formation), Parcours ingénierie de la formation à distance.

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Cette initiative vise principalement à :

améliorer l’enseignement du français à la faveur de pratiques innovantes, de l’emploi de nouveaux outils didactiques et de nouvelles méthodes pédagogi- ques;

encourager l’usage des technologies de l’information et de la communication pour l’éducation (TICE) en incitant les décideurs politiques à mettre en œuvre des dispositifs de formation ouverte et à distance (FOAD);

déployer un dispositif d’enseignement en partie à distance et aménager des infrastructures répondant aux besoins des formations, en se reposant sur des acteurs de terrain préalablement formés.19

Nous constatons donc que notre faculté rejoint par sa politique éducative actuelle les objectifs de cette initiative internationale et qu’elle pourrait offrir, par le biais du Centre des sciences du langage et des sujets de recherche qu’il développe, une aide précieuse au projet.

« Au Liban, [Je cite] les partenaires s’engagent à “auditer les filières de for- mation initiale des professeurs de et en français et rénover les méthodes et les outils (utilisation du multimédia, des technologies de l’information et de la communication et mise en place de l’Initiative pour la formation à distance des maîtres, IFADEM).” »20

La procédure est donc déjà entamée au centre des sciences du langage, ce qui donne à notre faculté un pas en avant, même par rapport à la faculté de pédagogie qui n’a pas encore mis en place des plans de formation à distance.

Appelée moi-même récemment à faire partie du GE21, groupe d’experts, or- gane de suivi scientifique d’IFADEM, je vois que notre initiative personnelle a anticipé des possibilités de réponses à des besoins de formation actuellement généralisés dans le paysage éducatif mondial. Ces besoins sont, sans doute, si- milaires à ceux qui ont préoccupé les initiateurs du projet IFADEM et qui ont dicté ses principaux dispositifs.

19 Extraits de la présentation du projet pris sur le site d’IFADEM. 20 Voir le site de l’IFADEM (www.ifadem.org).

21 Le (GE), Groupe d’experts, est l’organe de suivi scientifique d’IFADEM. Il a pour fonctions, entre autres : de définir les termes de référence des rapports, des études, des évaluations que le Comité de coordination international est susceptible de com- mander et, éventuellement, les encadrer; de mener une politique d’auto-évaluation permanente d’IFADEM afin d’en améliorer l’efficacité; de promouvoir IFADEM au sein de la communauté francophone; de favoriser et/ou de participer à l’encadrement de travaux de recherche liés à une étude d’IFADEM sur le terrain.

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Pour conclure, l’initiative de former différemment est prise et entamée dans

le monde académique libanais comme dans des initiatives internationales telle l’IFADEM.

La volonté de rompre avec certaines pratiques de formation jugées parfois inefficaces ou de compléter certaines qui existent déjà est en cours.

Pour atteindre ces objectifs, il serait prioritaire pour l’IFADEM et ses par- tenaires locaux de :

• Préciser avec tous les concernés les enjeux des institutions et de for- mation auxquels la formation à distance et la formation mixte peuvent répondre de manière valable et identifier les applications les plus effi- caces;

• Repérer les problématiques qui peuvent ralentir ou empêcher le dérou- lement de l’opération afin de limiter les risques de son échec;

• Impliquer l’ensemble des acteurs pouvant contribuer à la réussite d’IFADEM au Liban comme ailleurs (sponsors, responsables, appre- nants et formateurs) en expliquant l’impact de la FAD sur les métiers et l’organisation des structures de formation;

• Enfin, identifier les évolutions « Learning 2.0 » en cours : apprentis- sages informels, sociaux, complémentaires des dispositifs de formation structurés et étudier les possibilités de les utiliser.

Évidemment, il y a beaucoup d’autres propositions qui pourraient contribuer à la réussite du projet. L’important est qu’IFADEM a définitivement posé le droit de formation à tous dans des conditions proposées par chacun.

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