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1.4. Un modèle de décrochage scolaire : le modèle factoriel

1.4.2. Les facteurs familiaux

Comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, le décrochage scolaire est un phénomène multi-causal résultant d’un ensemble de facteurs prédictifs. Dans cette partie consacrée aux facteurs familiaux, nous étudierons de plus près les contextes socio-économiques et culturels considérés à risque et les relations existantes entre famille et école, tout en étudiant également les pratiques éducatives familiales.

Contexte socio-économique familial

La famille avec son histoire, sa culture et son contexte socio-économique intervient systématiquement sur les apprentissages scolaires et le développement personnel de l’enfant.

Chaque famille s’inscrit dans une histoire qui lui est propre en raison des expériences et événements de vie ; un élève, avant d’être élève, est enfant, et se faisant, indissociable de l’histoire familiale (Guigue & Tillard, 2013). Il grandit avant tout dans une culture et éducation familiale pouvant être en contradiction avec la culture scolaire. Coslin (2006) soutient que les apprentissages s’effectuent dans la rencontre entre les formes scolaires (les savoirs scolaires, les conditions pédagogiques) et les formes sociales et cognitives (les savoirs familiaux, les structures langagières et mentales et les expériences du monde social de l’apprenant. Les variables déterminant sa trajectoire, se trouveraient au sein de cette divergence culturelle.

Dans cette perspective, certaines difficultés et échecs rencontrés à l’école prennent sens en élargissant le focus d’étude au milieu familial. Notre revue de littérature nous permet de mettre en évidence une surreprésentation des élèves en échecs et/ou en décrochage scolaire provenant de famille en grande difficulté économique, s'agissant de situation de précarité, familles migratoires ou familles d’ouvriers. Les ressources financières à disposition sont faibles. Certains parents exercent des emplois précaires ou d’appoints, d’autres familles vivent grâce aux aides sociales octroyées. Par ailleurs, les familles vivent souvent dans un habitat étroit où cohabitent parfois plusieurs générations, dans des conditions de promiscuité et de densité accrue. Dans de telles conditions, l’habitat est parfois insalubre et la stabilité du logement incertaine (Coslin & Boudarse, 2006 ; Millet & Thin, 2005). Pour les élèves issus de ces milieux, les contraintes matérielles négatives sont des rappels à la réalité des besoins immédiats. Ces enfants vivant dans des conditions sociales précaires sont préoccupés par la nécessité de travailler rapidement pour soutenir la famille. La difficulté de ces élèves à prendre prise sur l’avenir ne leur permet pas de percevoir les profits symboliques et économiques d’un investissement scolaire immédiat. De plus, les enfants ont parfois de la peine à conférer un sens aux savoirs scolaires. Cette difficulté est d’autant plus marquée chez les élèves qui n’ont pas de référence familiale leur permettant de répondre à la question « à quoi ça sert l’école? ». Les savoirs construits n’ont du sens que dans une finalité lointaine bien souvent insaisissable pour les jeunes écoliers et leur famille. Il faut accepter de remettre à plus tard l’effort fourni, dans une sorte d’épargne cognitive (Millet & Thin, 2005). Coslin (2003) explique également que certains élèves ne perçoivent pas le sens d’aller à l’école car

ils pensent pouvoir remettre leurs efforts à plus tard, ils adoptent une attitude de « j’y penserai, quand je serai grand ». Les représentations qu’ils se font de l’avenir rendent difficile l’appréhension des savoirs scolaires puisqu’ils ne peuvent pas tirer immédiatement profit de leurs acquisitions. Puis au fil des années, dans l’attente de trouver mieux, ils décrochent de l’école.

Culture familiale

Les enfants grandissent dans un milieu culturel et intellectuel déterminé par plusieurs variables parentales, comme par exemple le sens que les parents donnent à l’école et leur niveau cognitif. Cette culture scolaire est très différente d’une famille à l’autre en fonction également de la trajectoire scolaire des parents, les rapports entretenus avec l’école et le niveau d’étude parental. Des faiblesses cognitives, des carences socioculturelles de familles immigrées ou ayant été scolarisés ailleurs, peuvent être un frein à la scolarité de l’enfant (Thin, 2002 ; Millet & Thin, 2005). Lorsque les savoirs se complexifient, les parents se retrouvent dans l’impossibilité d’aider les enfants dans les devoirs et dans les apprentissages.

Ils sont dépassés par les exigences et ne peuvent plus répondre aux attentes de l’enfant et de l’école. Un sentiment de dévalorisation, de disqualification apparaît chez certains parents, et cela davantage lorsqu’ils sont sans insertion socioprofessionnelle. L’enfant risque alors de délégitimer ses parents et de contester leurs explications. Or, pour que les enfants respectent l’ordre familial, il est primordial que les parents gardent une crédibilité auprès d’eux. Dans certaines familles, les rapports de pouvoir s’inversent au moment de l’adolescence et les parents se retrouvent dans une situation de faiblesse. Les sanctions, les remarques parentales vers un élève décrocheur n’auront alors plus de sens, le contrôle parental plus d’effet (Millet

& Thin, 2005) et l’enfant se sentira en droit de tout faire.

Lorsque l’on s’intéresse aux facteurs familiaux, les pratiques éducatives en rapport avec l’école sont tout aussi importantes. Les parents sont porteurs de l’obligation scolaire. Ils tâchent de faire le lien entre l’école et la maison pour favoriser les apprentissages. Les registres des pratiques diffèrent selon le père ou la mère. Certains sont soit plus autoritaires, négociateurs, ou permissifs. Dans le cas d’échec scolaire, notamment de décrochage scolaire, l’autorité parentale est parfois transgressée. Les enfants adoptent des stratégies de détournement pour échapper au contrôle des parents. Par exemple, l’enfant répond au téléphone lorsque c’est l’école, surveille et déchire le courrier, imite les signatures, invente

des motifs d’absence, etc. Ces stratégies employées par les jeunes décrocheurs ne sont pas toujours perceptibles par les parents. De plus, certains parents peuvent aussi être affaiblis dans leur autorité par le manque de connaissances et d’informations sur l’organisation scolaire (Frandji & Vergès, 2011).

Les pratiques langagières et sociolinguistiques

Les pratiques langagières et les structures sociolinguistiques sont propres à chaque groupe de socialisation, que ce soit la famille, l’école ou les pairs. Nombreux sont les enfants qui ont de la peine à entrer dans le langage scolaire (Thin, 2002) et pourtant la socialisation passe inévitablement par le langage. De plus, les parents non-francophones ou les parents illettrés ont un vocabulaire et des connaissances linguistiques pauvres. Dans les familles éloignées de la culture scolaire, l’apprenant peut rencontrer très jeune des difficultés langagières en raison de la diversité de langage employé à l’école et au sein de la famille. Certains élèves vivent une tension entre ces deux formes de langage : un langage élaboré et un langage commun. Le vocabulaire savant et les formes verbales complexes déployés lors des situations d’échanges verbaux en classe, mettent l’élève dans une situation de marquage social et de pression envers sa famille. Il se sentira gêné de raisonner de manière si éloignée de son berceau familial et de s’approprier des termes si peu familiers (Thin, 2002). En revanche, si l’élève n’accède pas au langage scolaire, il risque de se sentir stigmatisé et de développer un sentiment de dévalorisation, d’incompétence et d’être indigne lors d'activités scolaires, quant au groupe de pairs et aux enseignants. Ces deux postures adoptées par les élèves face au langage, bien que très différentes, peuvent avoir la même implication face au décrochage scolaire.

Effectivement, les élèves dans les deux cas, peuvent se sentir emprisonnés dans l’opposition entre ces deux mondes et ne pas s’investir dans les apprentissages scolaires, préparant ainsi le terrain à un futur décrochage scolaire.

Relations famille-école

Les relations que l’école entretient avec les familles sont quelques fois ténues et elles sont empreintes de tensions et d’incompréhension. La coopération est parfois difficile alors qu’elle est nécessaire à la réussite de la scolarité de tous les élèves (Guigue & Tillard, 2010).

Pourtant, le sens accordé aux savoirs scolaires s’acquiert également avec un suivi et un

contrôle parental à la maison. Pour permettre à l’enfant d’apprendre le métier d’élève, il a besoin de se sentir soutenu dans son travail et d’être récompensé par des appréciations positives de ses parents.!

Certaines familles populaires ont peu d’expérience des apprentissages scolaires et de connaissances sur le fonctionnement de l’école. Malgré ces lacunes, elles portent de l’intérêt à la scolarité de leur enfant. Comme le suggère Thin (2002), la scolarisation pour les familles populaires est une sorte d’ouverture future sur des débouchés professionnels. Néanmoins, ces deux acteurs se trouvent en désaccord par rapport à l’utilité des apprentissages. Pour les parents, les activités appréhendées à l’école doivent s’inscrire dans une perspective d’avenir, c’est-à-dire : les activités doivent être liées à des acquisitions qu’ils jugent fondamentales et dont l’objectif doit être facilement identifiable. Les parents attendent de l’école qu’elle transmette des savoirs immédiatement opérationnels. L’école suit une autre logique.

L’intégration des notions, des stratégies d’apprentissages, des procédures cognitives se construit dans la durée et sur le long terme. !

Or, certains parents vivent un sentiment d’incompétence en matière scolaire. De ce fait, ils décident de se mettre en retrait, en ne se considérant pas à la hauteur d'aider leurs enfants.

Dans ce cas, les enseignants leurs reprochent un manque d’implication dans l’éducation et l’instruction de leur enfant. Ou alors ils décident de s’investir de façon démesurée en ayant tendance à vouloir rajouter des exercices, des devoirs à la maison. Malheureusement, ils le font de manière non conforme aux attentes, aux méthodes et aux principes pédagogiques de l’école (Thin, 2002). !

Ruptures familiales

Coslin et Boudarse (2006) ont mené une recherche sur les événements particulièrement douloureux vécus dans l’histoire des familles d’élèves déscolarisés. Parmi ces événements, on retrouve les séparations, les pertes, ou les maladies chroniques d’un membre de la famille.

Les familles monoparentales, recomposées ou migrantes traversent aussi des événements douloureux. Face à ces formes de ruptures, l’équilibre familial est souvent perturbé. Les nombreux changements au niveau du domicile, du quartier, de la ville ou du pays, mais également des figures éducatives parentales, des groupes de pairs et de culture demandent à l’enfant un remaniement de repères et d’attaches et nécessite une réadaptation plus ou moins

difficile. Le développement personnel de l’enfant et de ses apprentissages sont souvent rendus discordants par la récurrence de ces changements drastiques. Outre ces événements particuliers, certaines familles se retrouvent aussi dans des conditions sociales difficiles. Ces situations de vie délicates et fragilisées ont des répercussions importantes sur le quotidien familial et, surtout, sur le comportement de l’enfant à la maison et en classe.

Dans la partie suivante, nous développerons certains retentissements de ces diverses situations. Tout d’abord, certaines familles sont souvent contraintes à des horaires de travail difficiles. Certains parents accumulent parfois deux emplois et travaillent la nuit. Les enfants sont livrés à eux-mêmes et prennent l’habitude de faire comme ils veulent. Les parents éprouvent alors de la peine à faire face aux comportements de leur enfant en se sentant peu soutenus et discrédité dans leur rôle parental. Les conséquences sont aggravantes car on assiste, comme nous l’avons mentionné plus haut, à un affaiblissement de l’autorité parentale.

Ensuite, au sein de certaines familles, il n’y a pas des repères temporels car l’irruption d’événements comme un parent malade, un travail d’appoint ou un logement incertain en empêche l’installation de repère. Ces familles apprennent à vivre au jour le jour, sans planifier à long terme. Là aussi, on assiste à des conséquences sur les apprentissages de l’enfant (Millet

& Thin, 2005). D’une part, ce mode de vie contredit l’idée transmise par l’école de prévoir, d’anticiper, de calculer et de planifier sa vie puisque on ne sait pas de quoi elle sera faite demain. Cela renvoie à une distance entre la structuration du temps du type scolaire et les pratiques familiales. L’enfant-élève se trouve alors tiraillé entre une absence et une imposition des rythmes journaliers. D’autre part, en raison des contraintes d’horaires de travail parentales, l’enfant est livré depuis très jeune à lui-même. Ses journées sont alors régulées par ses désirs et du coup, il organise le temps selon ses envies : il mange quand il a faim, regarde la télévision quand il le veut, etc. Pourtant, le travail scolaire exige d’être capable de découper ses journées, de se tenir à sa tâche de manière durable, d’organiser son travail en séquences successives et ordonnées, d’effectuer les tâches dans un ordre précis en respectant les étapes.

Cela demande de l’autorégulation sur le plan cognitif, affectif et émotionnel. Or, un contexte de liberté, peu contraignante est défavorable à l’autorégulation et, partout à l’engagement, la persévérance et la réussite dans les apprentissages (Pelgrims, 2009, 2013). L’enfant doit fournir un effort prolongé, tâche qui peut s’avérer très difficile pour des enfants habitués à gérer le temps comme ils le désirent. C’est pour cela que certains élèves manquent de dispositions mentales pour réussir à s’ajuster aux exigences de l’école en terme de manières d’être, de postures et de temporalité (Millet & Thin, 2006).

Comme l’explique Thin (2009), à l’école, les enseignants visent à ce que l’élève régule son comportement, intègre les règles de bonne conduite et les valeurs auxquelles chaque individu est censé se soumettre. L’élève apprend à devenir adulte et autonome. Le devoir des enseignants est de transmettre ces normes à l’élève et de lui apprendre à autoréguler ses comportements de façon à éviter les sanctions. Pour cela, ils travaillent sur une posture réflexive et d’écoute. Cependant, dans certains foyers, l’autorité des parents prend une autre forme. L’enfant agit dans la spontanéité. Lorsqu’il commet des bêtises, il est réprimandé de manière incisive. Quelques enfants ont de la peine avec la posture réflexive et d’écoute requise à l’école. Ils trouvent celle-ci contraignante sans lien avec les pratiques familiales dans lesquelles ils vivent ou dans lesquelles ils arrivent à se projeter (Millet & Thin, 2006). Il y a alors une contradiction entre le mode scolaire, qui vise à s’autoréguler et à se conformer à certaines normes et le mode familial qui vise plutôt à obéir sous une contrainte extérieure, le parent par exemple. En classe, les élèves vont essayer d’aller à l’inverse de ce que demande l’enseignant jusqu’à obtenir une sanction. Or, l’enseignant n’opte pas toujours pour ce choix, l’idée étant que l’élève apprenne à s’autoréguler et à réfléchir sur ses actes.

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