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Chapitre 2 : PROBLÉMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE Ce cadre théorique nous a permis tout d’abord de nous rendre compte de la complexité et de

3.5. Démarche d’analyse

Notre démarche d’analyse consiste en cinq étapes : la retranscription des entretiens, l’identification des parcours de vie, des ruptures et des transitions, l’identification des dimensions scolaire et familiale du décrochage invoqués par les interviewés, le repérage de la teneur sémantique en lien avec chaque dimension et le résumé des extraits par mots clés.

3.5.1. Première étape : Retranscription des entretiens

Grâce à notre canevas d’entretien nous avons pu récolter les données nécessaires à nos analyses. Nos données brutes consistent donc dans les transcriptions de ces entretiens (cf.

Annexe III : transcription sujet 1 : Fanny). Il s’agit de données verbales, discursives.

3.5.2. Deuxième étape : identification des parcours de vie, des ruptures et de transitions Tout au début, nous avons reconstruit le parcours de vie et la trajectoire scolaire de chaque sujet en mettant en évidence les différents points de changements et de ruptures dans les propos répondant aux questions d’entretien correspondant à l’axe « parcours » (Annexe II).

Cette étape d’analyse permet d’identifier les quatre différents types de ruptures ou transitions suivantes :

1. la santé (diagnostic posé, tentative de suicide, hospitalisation) 2. les relations sociales (amitiés, intégration)

3. le contexte familial (reconstitution familiale, changement de cadre, décès d’un proche, divorce et/ou séparation, scission du contexte familial via le déracinement, foyers, fugues et déménagement)

4. le contexte scolaire (changement d’école/de classe, redoublement et changement de filière)

Voici une illustration. Notre premier sujet, que nous appellerons Fanny, est actuellement âgée de 20 ans. Elle a commencé sa scolarité au Portugal, où elle vivait avec sa grand-mère ; ses parents étaient venus en Suisse quand elle était encore bébé. Lorsqu’elle les a rejoint, à l’âge de 8 ans, elle a poursuivi sa scolarité dans le canton de Vaud où elle a commencé la 6e. Par la suite, elle a déménagé avec sa famille (mère, père et frère) à Genève où elle a pu terminer le cycle primaire sans difficultés. Au cycle d’orientation, en 9e, des premières difficultés scolaires et comportementales sont apparues. A cause de cela, durant sa 10e, l’école a décidé de la changer de cycle. Elle a donc refait sa 10e dans un nouvel établissement. A ce moment, à treize ans, elle a été également placée en foyer et les parents ont perdu leur garde en raison des violences familiales. Deux mois avant la fin de sa 10e, elle a été renvoyée définitivement du cycle. L’école a porté plainte contre elle. Elle a fait un séjour de 5 mois dans un établissement de détention pour mineurs.

Au niveau du contexte familial, nous pouvons compter 3 ruptures. Elle a été séparée à sa naissance de ses parents, à 8 ans elle quitte sa grand-mère et le Portugal pour rejoindre sa famille (mère, père et frère) et enfin à 13 ans elle est placée en foyer, rompant toutes les relations familiales jusqu’à ses 18 ans. En ce qui concerne, les transitions et les ruptures scolaires, nous en mettons en évidence trois : une première au moment de son arrivée en Suisse depuis le Portugal ; une deuxième au moment de sa 6e lors du passage du canton Vaud au canton Genève. Ces deux transitions scolaires correspondent au moment des déménagements. Un troisième moment de rupture scolaire intervient lors de sa 10e, il correspond à un changement de cycle et à un redoublement. Par ailleurs, nous signalons le

passage entre le primaire et le cycle d’orientation, car pour elle ce moment a été une perte de repères.

3.5.3. Troisième étape : identification des dimensions

Ensuite, nous nous sommes intéressées aux dimensions scolaires et familiales du décrochage identifiées et invoquées par les interviewés. Cette identification comprend les dimensions que nous avons définies a priori et celles qui ont émergées à la lecture écho-analytique des protocoles (cf. Tableau 2). Au niveau des dimensions scolaires, nous retenons : le type de problématique identifiée par le jeune, le type de problématique identifiée par l’école, les réactions et les comportements du jeune face à ses difficultés, les interventions et les choix proposés par l’école et le sens attribué par le jeune à celle-ci, ainsi que les relations avec les enseignants. Concernant les dimensions familiales, nous avons pris en considération les caractéristiques de la famille et les liens avec le décrochage, les modalités de collaboration et le rapport des parents envers l’école. La lecture écho-analytique a mis en évidence trois dimensions scolaires a posteriori, à savoir l’assujettissement du parcours, le climat de classe et les relations avec les pairs, ainsi que deux dimensions familiales qui correspondent au défaut du contrôle parental et aux stratégies de contournement du contrôle parental œuvrées par les jeunes. Enfin, nous nous sommes également intéressées aux éléments relevant de notre troisième axe de questions, à savoir !raccrochage!, aides et perspectives futures.

Dans le cas de Fanny nous avons mis en évidence une grande souffrance se répercutant sur le contexte scolaire et familial. Cela est perceptible au travers plusieurs répliques, notamment

« moi je me sentais tellement mal que je m’en foutais de ce qu’ils disaient », « je voulais juste faire payer tout le monde », « je voulais qu’ils souffrent tous ». Nous pouvons supposer qu’elle agissait en fonction de sa colère et son incompréhension, sans prise en compte des conséquences à long terme, « moi je faisais les choses sans penser » « j’ai jamais pensé au futur ». Par ailleurs, nous pouvons également constater un assujettissement à son parcours, un manque d’écoute et de prise en considération de ses besoins et envies. Effectivement, en l’entendant nous avons l’impression qu’elle a subi son histoire de vie. En aucun moment, elle a pu faire valoir ses désirs et/ou volontés, qu’ils soient au niveau familial ou scolaire. Elle aurait voulu finir sa 11e dans le cycle, peut-être juste changer de classe, mais pas changer de cycle. A ce sujet, elle nous fait part que c’est ce dernier qui l’a détruit. Elle garde un précieux souvenir de son passage dans un établissement de détention pour mineurs, car le partage avec

des jeunes ayant vécu les mêmes expériences lui a permis de donner un sens à ses comportements « je sais pourquoi je les (ses expériences) ai faites, mais d’un côté je crois pas que c’était nécessaire, autant ».

La problématique scolaire identifiée et évoquée par Fanny consiste principalement dans les comportements perturbateurs et les attitudes de provocation envers ses enseignants et l’école ; elle allait jusqu’à boire et fumer en classe. Nous pouvons faire l’hypothèse qu’il s’agit de comportements réactionnels « je faisais exprès de pas répondre aux questions » ; « je voulais juste ne pas faire » ; « moi je faisais totalement le contraire ». Plus elle se comportait ainsi, plus elle gagnait en pouvoir vis-à-vis de ses camarades, car plus les autres « se marraient, plus je faisais pire ». A cause de ces comportements, elle se faisait renvoyer pratiquement de tous les cours. Malgré ça et avec du recul, elle ne reproche rien à ses professeurs, au contraire elle dit « Ils pouvaient rien faire de toute façon. Ils ont essayé mais moi je ne les écoutais jamais ».

La relation avec les pairs s’est construite selon un désir d’appartenance et d’imitation des ainés : « En fait, on voit les grands qui font les choses, et nous on veut se mettre aussi dans leur groupe et tout, donc on les suit. On veut faire la même chose pour se sentir aussi… dans leur groupe. Et quand j’étais au cycle, je voyais déjà tout le monde qui… qui allait pas à l’école (…). Donc j’ai commencé à pas aller à l’école aussi, pour être avec eux) ». Le fait de suivre les autres, comme nous pouvons le constater, l’a amenée à décrocher de l’école et à s’absenter toujours plus. Par ailleurs, elle était très proche de deux filles, également en décrochage scolaire et très perturbatrices. L’école a tenté de séparer cette triade dysfonctionnelle en proposant à Fanny d’aller voir une psychologue et aux deux autres de passer dans la filière spécialisée. Elle, ne comprenant pas cette décision, avoue que cette décision n’a fait qu’empirer ces comportements. A la suite de ça, l’école a décidé de la changer de cycle en lui faisant redoubler l’année en cours, sa 10e. Ce moment, comme nous l’avons déjà expliqué avant, coïncide avec un point de rupture qui l’a détruite en l’amenant à décrocher complètement de sa scolarité.

Au niveau familial, Fanny est issue d’une famille d’origine portugaise, de niveau socio-économique et culturel défavorisé : « ma mère et mon père ils ont fait que la 4e ». Sa famille est composée d’un frère plus âgé (qui serait le « chouchou de la famille »), une mère plus à l’écoute et ouverte au dialogue et un père perçu comme très dur et violent : « mes parents, enfin ma mère elle est plus pour parler, elle est plus pour me faire comprendre que c’est pas

comme ça que ça se passe, mais mon père il a pas de mot lui c’est direct taper ». Ce dernier aspect est à source de « problèmes à la maison » et très probablement à l’origine de son décrochage : « (…) taper et c’est ça aussi qui me faisait aussi encore plus me rebeller (…) donc c’était encore pire ». Les relations familiales sont donc rapportées par Fanny comme étant tendues et violentes, et la souffrance est grande ; à 13 ans elle est placée en foyer et les parents perdent la garde et l’autorité parentale. Tout au long de ses séjours en foyer et dans un établissement de détention pour mineurs, ses parents n’avaient pas le droit de la voir.

Actuellement, elle vit toujours à la maison, mais elle ne parle pas à son père.

Pendant la période difficile à l’école, sa famille n’était pas forcément au courant de son comportement et de ses notes à l’école. Notre sujet, comme beaucoup d’autre, mettait en place des stratégies de contournement du cadre parental, comme par exemple « je les brûlais (communications de l’école) » ; « je donnais jamais le numéro de mes parents ». Ses parents

« savaient seulement que j’étais renvoyée ou que je faisais des conneries quand ils les appelaient », mais ils ne comprenaient pas pourquoi, vu qu’à la maison il n’y avait pas autant de problèmes disciplinaires.

Fanny, à la question « Si c’était à refaire comment aurais-tu fait différemment ? », répond qu’elle n’aurait jamais quitté le Portugal pour rejoindre sa famille : « dès que je suis arrivée au cycle, j’sais pas euh il y a tout qui change ». Nous pouvons donc supposer que cette première rupture familiale, correspondant également, selon nous, à un déracinement, soit une des principales causes de son décrochage scolaire. En effet, une fois arrivée en Suisse, elle a dû apprendre à vivre avec des parents jusque là inconnus qui l’avaient abandonnée toute petite, se faire à une nouvelle culture, à des modes de vie différents, intégration que le cadre familial de violence a peu favoriser.

3.5.3. Quatrième étape : repérage systématique des extraits sémantiques en lien avec chaque dimension répertoriée

Ensuite, nous avons procédé systématiquement à repérer dans chaque protocole les extraits les plus significatifs en lien avec les dimensions du décrochage scolaire répertoriées dans la table de spécification (Tableau 2). Ce repérage de tous les extraits pertinents nous permettra de comparer et de dégager des points communs sous-jacents aux parcours. Pour faciliter la lecture, nous avons présenté ces extraits sous forme de deux tableaux (Annexe IV), un pour

les dimensions familiales, l’autre pour les dimensions scolaires. Ici, nous avons listé les passages les plus importants en fonction de leur teneur sémantique. Par exemple, pour le type de problématique identifiée par le jeune nous avons repéré tous les mots, les phrases en lien avec le champ sémantique des difficultés d’apprentissages, comportementales et émotionnelles. Pour Fanny, comme nous avons déjà remarqué plus haut, nous avons répertorié ses difficultés scolaires, ses comportements en classe et certaines répliques en lien avec la sphère émotionnelle telle que « moi je me sentais tellement mal que je m’en foutais de ce qu’ils disaient », « je voulais juste faire payer tout le monde », « je voulais qu’ils souffrent tous ».

3.5.4. Cinquième étape : résumé des extraits à l’aide de mots clés

Grâce à l’étape précédente, nous avons pu résumer ces extraits par des mots clés. Dans le cas de Fanny, par exemple pour la dimension scolaire « problématique identifiée et évoquée par le jeune », les mots clés retenus sont : insouciance, opposition au cadre, absentéisme, difficultés d’apprentissage et souffrance. Ce sont ces mots-clés qui seront présentés sous forme de tableaux de résultats (Tableaux 4 et 5). Cette dernière étape nous est utile afin de simplifier la mise en exergue de points communs et de typicités des 16 parcours analysés, dans le but de pouvoir identifier les dimensions communes du phénomène, ainsi que les facteurs communs au décrochage scolaire.