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Les dimensions scolaires du décrochage : discussion des résultats

Chapitre 4 : PRÉSENTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS

4.2. Dimensions familiales et scolaires intervenants dans le décrochage scolaire

4.2.2. Les dimensions scolaires du décrochage : discussion des résultats

Les résultats nous permettent de constater que pratiquement tous les jeunes ont eu des difficultés d’apprentissage à un moment ou l’autre de leur trajectoire scolaire. Précédemment, nous avons mis en évidence que certains jeunes (2, 3, 5, 6, 7, 8, 11 et 14) ont rencontré leurs premières difficultés au primaire et que pour les autres (1, 9, 10, 13, 15 et 16) ces difficultés sont survenues au cycle. La littérature avancée dans le cadre théorique, nous avait

sensibilisées au caractère délicat lors du passage entre l’école primaire et le cycle d’orientation (Bautier 2003 ; Bonnery, 2003) : les enjeux didactiques et pédagogiques changent, tout comme les pratiques d’enseignement. Ce moment engendre chez les élèves les plus fragiles, d’importantes difficultés d’adaptation au nouveau contexte scolaire. Les petites difficultés d’apprentissage de l’école primaire se transforment en des difficultés plus importantes amenant les élèves à se décourager, à perdre confiance et à se désinvestir petit à petit. Cela a été le cas pour plusieurs de nos jeunes (par exemple pour les jeunes 2, 5, 6, 11).

Comme dans les travaux de Rumberger (1995, cité par Blaya 2010a) et ceux de Pelgrims (2003), nous avons également pu retrouver que les difficultés les plus importantes se situent au niveau des deux disciplines principales, le français et les mathématiques. Ces difficultés, comme nous dit le jeune 5 peuvent se répercuter dans tous les autres domaines d’apprentissage.

Dans la partie sur les ruptures et les moments de transitions précédemment exposée, nous avons pu remarquer que la moitié de nos jeunes ont redoublé (1, 5, 7, 8, 11, 13, 14) soit, selon eux, pour des difficultés d’apprentissage, soit à cause des nombreuses absences ou des problèmes de disciplines. Dans les autres cas, les élèves ont changé de voie, en passant de la voie A à la voie B (jeune 8 et 12), ou de B à C (jeune 13) ou de B aux classes ateliers (jeune 14). Comme nous avons déjà soulevé plus haut, certains jeunes attribuent à ces transitions la cause de leur désinvestissement scolaire. Par nos pratiques professionnelles, nous avons constaté que le redoublement, les passages entre les diverses filières peuvent également permettre aux enfants en difficultés scolaires de reprendre confiance et de s’impliquer à nouveau dans les apprentissages. Aspect d’ailleurs retrouvé, dans les parcours de Delphine (jeune 7) et Steve (jeune 9). Mais alors pourquoi pour certains le redoublement et le changement sont-ils synonyme de décrochage scolaire ? En ce qui concerne nos jeunes, nous pouvons supposer que la concourance de parcours de vie difficile, d’absence de conditions familiales propices à l’accompagnement scolaire, des difficultés scolaires présentes depuis longtemps et l’incompréhension face aux choix imposés par l’institution soient des facteurs clés pour vivre le redoublement comme une source d’échec et pas comme possibilité d’apprentissages. Bonnery (2013) soutient qu’à partir de premières difficultés scolaires, d’apprentissage ou comportementales, se crée un écart entre l’élève en difficulté, le reste de la classe et les enseignants. Ces derniers seraient amenés à changer implicitement les termes du contrat pédagogique et les pratiques d’enseignement. Face à un élève perturbateur rentrant systématiquement dans le cadre et empêchant le déroulement de la leçon, l’enseignant se voit

contrait de le mettre hors du groupe, hors de la classe. Il recourt à des sanctions, à des retenues et à des renvois, dans un premier temps en salle de renvoi et dans un deuxième temps du cycle. Nous savons que 4 jeunes (1, 9, 12 et 14) ont eu des renvois définitifs. Ces pratiques pédagogiques sont mal vécues, pas comprises et considérées comme inutiles par la majorité de nos jeunes. De surcroît, elles poussent les jeunes en difficultés scolaires à se révolter encore plus au cadre éducatif. Nous assistons alors à un cercle vicieux entre l’élève en souffrance et les réponses inadaptées proposées par le système éducatif. Lors de nos entretiens, nous avons cherché des alternatives pédagogiques proposées par les enseignants et/ou la direction. Nous en avons catalogués quatre qui pourtant se sont avérées également inefficaces. Est-ce que ces solutions ne sont pas proposées trop tard ? Ou encore sont-elles vécues comme une ultime exclusion du groupe classe ? Effectivement, l’appartenance au groupe classe, le climat de classe favorable aux apprentissages sont deux facteurs indispensables à l’affiliation scolaire (Bautier, 2013), ainsi qu’à l’engagement et la persévérance des élèves dans des classes de transition suite à un échec de l’école obligatoire (Pelgrims, 2013). Une partie des jeunes interrogés ont mis l’accent sur l’importance d’avoir des professeurs dynamiques, attentionnés et passionnés pour susciter de l’intérêt chez les écoliers, mais également sur le fait de se sentir appartenir au groupe classe. Par exemple, Nils (jeune 8) raconte qu’à la suite de son redoublement aller à l’école était devenu impossible pour lui : il n’avait plus des potes, il ne se sentait plus faire partie de sa classe. Quintilla (jeune 13) après son passage en voie C dit avoir complètement perdu l’intérêt pour l’école et que ses performances étaient meilleures en voie B. Ou encore Némo (jeune 15) avoue n’avoir jamais eu sa place à l’école.

Nous retrouvons de l’absentéisme, des conduites d’opposition et des comportements perturbateurs dans presque tous les récits de vie, excepté les jeunes 3, 6, et 16. Si pour certains l’absentéisme n’est que le simple fait de trainer dans la rue avec les pairs, pour d’autres, par contre, c’est une réaction manifeste de leur désaccord aux choix institutionnels.

Selon nous, l’absentéisme et les conduites d’opposition peuvent être interprétées comme une manifestation d’un sentiment d’inadéquation à l’école ou de manière plus générale à la vie.

Elles sont des réponses comportementales, parfois réactionnelles et conflictuelles à une souffrance intérieure et aux situations difficiles vécues à l’école (Blaya, 2010; Pelgrims 2010). Fanny (jeune 1) et Katrine (jeune 2) laissent transparaître une grande souffrance au travers de leurs récits de vie. Fanny avoue aller « tellement mal (…) de faire exprès de pas répondre aux questions », elle voulait « juste faire payer tout le monde ». Pour les autres

jeunes, les comportements perturbateurs et l’absentéisme sont réactionnels à une décision scolaire ou à un besoin de s’accrocher à quelque chose. Dans la littérature exploitée lors du cadre théorique, nous avons pu remarquer une certaine concordance entre les diverses équipes en ce qui concerne le rôle des comportements externalisés et l’absentéisme dans le processus du décrochage scolaire. En effet, les difficultés de comportements d’abord (Pelgrims, 2010), et l’absentéisme par la suite, seraient les symptômes les plus manifestes et importants aboutissant à la déscolarisation (Blaya, 2010).

Nous avons également constaté des réactions affectives et émotionnelles face aux difficultés et aux choix adoptés par l’école. Ayant déjà discuté dans la partie sur les ruptures et les transitions des éléments relevant plutôt du domaine de la santé, notamment les états dépressifs et anxieux, nous nous attarderons ici sur le sentiment de confiance en soi, d’incapacité, d’infériorité, le désengagement et le sentiment d’échec. Avoir des difficultés scolaires, s’investir et, pourtant, continuer à ne pas réussir peut amener à une baisse de persévérance et d’engagement dans les apprentissages scolaires et engendrer une perte de confiance dans ses propres capacités et un sentiment d’impuissance (Pelgrims, 2009, 2013). Nos résultats montrent que presque tous nos jeunes relatent avoir eu des difficultés d’apprentissages, principalement en mathématiques et français. Nous pouvons supposer qu’en raison de ces difficultés, surtout lorsque celles-ci interviennent déjà au primaire, les élèves rencontrent de la peine à prendre goût, à se passionner à l’école. Pour eux, le travail scolaire ne reste qu’une obligation à réaliser sans intérêt et sans récompense immédiate, occasionnant un sentiment de frustration et d’échec les conduisant au désinvestissement de leur métier d’élève. D’autant plus, si aux difficultés scolaires, se surajoutent des problématiques personnels et/ou familiales. Pour les jeunes que nous avons interviewé, la perte de confiance, le sentiment d’infériorité et d’incapacité se traduisent en une non envie, une perte d’intérêt, un manque de volonté à l’abord de tâches scolaires. Est-ce que ces manifestations comportementales contribuant au décrochage scolaire peuvent également être interprétées comme des stratégies pour éviter de se confronter à des échecs ultérieurs ? Les cas de Katia (jeune 6), de Patricia (jeune 13) et Tania (jeune 16) en sont des exemples. Par rapport à ses difficultés en maths, Katia nous dit se sentir en échec et se décourager vite. Patricia et Tania, par contre, commencent à ne plus s’investir dans les apprentissages lorsqu’elles constatent un affaiblissement de leur niveau scolaire, cela à cause de raisons familiales pour Patricia et d’une dépression pour Tania. Pour ces deux jeunes, la réussite scolaire est très importante.

Nous pouvons imaginer qu’en n’y arrivant plus avec aisance, elles désinvestissent les apprentissages.

Les relations entre l’élève et l’enseignant contribuent à créer un climat de classe favorable et sont déterminantes pour la réussite scolaire comme le montre l’étude de Pelgrims (2013) réalisée avec des élèves en classes de transition suite à leur abandon de l’école obligatoire. Il est donc préférable que les rapports entre eux soient positifs. L’élève réussira plus facilement s’il se sent en confiance au sein de sa classe, et il pourra ainsi persévérer dans les apprentissages ; réciproquement, ses réussites lui permettent de sentir bien au sein du groupe avec lequel il sera enclin à maintenir de bonnes relations. L’étude de Blaya (2010b) montre que les élèves qui ne se sentent pas écouté ou respecté par leur enseignant, qualifient les relations comme étant mauvaises. Le manque d’écoute (jeune 12, 16), de respect (jeune 8), et d’attention chez les enseignants sont des points qui ont été relevés par certains jeunes. Ils accusent certains professeurs de ne pas intervenir face aux moqueries (jeune 3) : « quand on me lançait des trucs dessus, j’sais pas on rigolait… ils ne disaient rien…! On me faisait des croche-pattes, ils disaient rien non plus. Ils disaient « ah mais moi j’ai pas vu, j’ai pas vu ! » ».

Tania (jeune 16) leurs reproche un manque de sensibilité et de compréhension. Quelques jeunes sont conscients de ce qu’ils faisaient et ils ne remettent pas la faute à leur enseignant.

Au contraire, ils affirment qu’ils ont toujours été présents pour essayer de faire en sorte que ça aille mieux et si ça se passait mal, ils remettaient la faute sur eux. Steve (jeune 9) « je pense qu’ils en avaient juste marre (…) j’étais spécialement turbulent », Fanny (jeune 1) « ça me faisait de la peine des fois parce que les profs ils ne sont pas coupables de ce qui se passe dans ma vie ».

Toutefois, certaines attitudes de l’enseignant entravent la relation au détriment du climat de classe. Les témoignages des jeunes, nous font constater que face à certains élèves perturbateurs, les enseignants sortent les élèves de la classe pour tenter de regagner un climat de classe positif. Seulement que la solution adoptée, dans la majorité des cas, est incomprise et mal vécue par les élèves en question, comme nous avons pu le recueillir au travers de nos données : « j’arrivais en cours et ils me renvoyaient direct parce qu’ils pensaient direct que j’allais faire du mal » (Fanny, jeune 1) ; « au lieu de nous apprendre le respect, à chaque fois que quelqu’un fait une connerie, à la place, de comprendre de discuter avec lui, t’es renvoyé, t’es noté, ça je trouve ça ne va pas » (Tania, jeune 16). Le sentiment de faire partie de la classe et l’existence d’une culture commune est indispensable au développement de l’identité des élèves et à leurs apprentissages. Par contre, certains sentiments ou comportements

accompagnent le désengagement de l’élève. Par exemple, le sentiment d’incompétence ou de peur de l’échec, la mise en place de stratégies d’évitement ou le développement de comportements perturbateurs, amènent l’apprenant à se désinvestir de son rôle d’élève et l’enseignant à ne plus interagir avec l’élève, rompant ainsi les contrats éducatifs et didactiques implicites qui assurent les liens de confiance et d’attentes réciproques entre enseignant et élèves (Pelgrims, 2009, 2010).

Les relations entre les pairs sont également un élément à prendre en compte dans le phénomène du décrochage scolaire. Dans notre cadre théorique, nous avons vu que l’appartenance à un ou plusieurs groupes sociaux est fondamental durant la période de l’adolescence (Coslin & Bourdase, 2006). Le groupe de pairs auquel cherche à s’identifier le jeune peut être au sein de la classe, de l’école ou bien un groupe évoluant dans la rue. Pour pouvoir appartenir au groupe et être reconnu des autres, il faut développer certaines conduites sociales définissant les normes du groupe en question. Ces conduites sont des signes caractéristiques et peuvent être un langage, une attitude ou un style vestimentaire. Le sentiment d’appartenance sociale est très important car il permet au jeune de s’identifier et de ne pas éprouver un sentiment d’infériorité, de stigmatisation et/ou d’exclusion vis-à-vis des pairs. Katrine (jeune 2) met l’accent sur l’importance d’avoir le dernier sac à la mode ou de s’habiller d’une certaine façon pour pouvoir appartenir au groupe et sur comment elle s’est sentie exclue par ce groupe en raison de son surpoids et son style vestimentaire. Patricia (jeune 12) explique comment son besoin de reconnaissance sociale l’a amenée à désinvestir les apprentissages « j’ai rencontré certaines personnes et j’ai voulu donner une image de moi (…) au cycle ce qui se passe c’est que lorsqu’on est une grosse tête on n’est pas très bien vu et on se fait vite influencer ce qui m’a fait descendre dans tout ». Fanny (jeune 1), aussi, développe cette notion : « on voit les grands qui font les choses et nous on veut se mettre aussi dans leur groupe et tout, donc on les suit on veut faire la même chose pour se sentir aussi dans leur groupe ». A travers le récit de Quintilla (jeune 13) nous pouvons constater comment l’appartenance au groupe des « grands » de la classe lui donne du pouvoir et de l’influence sur les autres. Dans nos données nous retrouvons l’idée que l’appartenance au sein de groupe est une manière de gagner la reconnaissance des pairs lorsqu’on se trouve en confrontation avec l’enseignant : « plus ils se marraient, plus je faisais pire » raconte Fanny (jeune 1).

Comme nous l’avons présenté précédemment, les filles et les garçons ne cherchent pas la même reconnaissance sociale. Les jeunes filles vont investir de préférence le groupe classe ou

un groupe au sein du même établissement scolaire ; les garçons un groupe hors école, souvent les copains du quartier, comme nous raconte Steve (jeune 9) : « j’ai jamais vraiment été ami avec des gens de l’école (…) j’ai toujours plutôt trainé avec des gens extérieurs à l’école ». A force d’investir le groupe, ils finissent par ne se sentir exister qu’au travers du groupe, jusqu’à refuser de le quitter (Coslin & Boudarse, 2006). Cela conduit certains jeunes à ne plus fréquenter l’école. Dans un premier temps, ils adhèrent aux activités du groupe et s’influencent les uns et les autres en s’absentant de l’école. Dans un second temps, leurs comportements à l’extérieur de l’école deviennent de plus en plus déviants et hors normes sociales, certains vont jusqu’à faire « des grosses bêtises » et à commettre des actes de délinquance. Dans les récits de vie recueillis, Fanny (jeune 1) et Steve (jeune 9) ont commencé à désertér l’école, se sont vus accusés pour incendie et vol, accusations qui les ont conduits à un passage dans un établissement de détention pour mineurs.

Nous avons constaté que les jeunes n’attribuent pas de sens et d’intérêt à l’école et aux apprentissages. Cela peut être mis en lien avec la notion d’épargne cognitive (Millet & Thin, 2005). Les élèves auraient de la peine à s’investir dans l’école en raison du fait que les fruits de cet investissement ne soient ni visibles et ni perceptibles dans l’immédiat, d’autant plus lorsqu’ils fournissent un effort considérable pour réussir et qu’ils ont des difficultés scolaires.

Ils ne sont donc pas en mesure de saisir l’importance de l’école et à en construire le sens. De plus, à leur âge, il est très difficile se projeter dans l’avenir pour anticiper certaines conséquences probables. Plusieurs de nos jeunes nous disent qu’à 14 ans on ne sait rien, on ne sait pas encore ce que réserve le futur ni ce que l’on deviendra et que malheureusement on va

« tellement mal » que l’on ne peut juste penser à ça.

Souvent, à la fin des entretiens, nous avons eu l’impression d’être face à des individus ayant subi leur propre parcours de vie, que ce soit au niveau familial ou scolaire. Les résultats de notre analyse confirment cette impression. Comme nous pouvons le voir dans le tableau ci-dessus, dans sept parcours de vie nous retrouvons un sentiment d’incompréhension par rapport aux décisions prises, un manque de prise en considération par les adultes et d’inadéquation aux normes scolaires. A la lumière de ceci, nous pouvons faire l’hypothèse que ces sentiments très négatifs envers de la famille et de l’école, empêchent aux élèves de faire confiance à l’école, de trouver leur place à l’intérieur d’un système qui ne les prend pas en considération, qui choisit pour eux en leur imposant des décisions douloureuses. Dans certains cas, ces interventions peuvent être à l’origine d’un processus d’étiquetage et de stigmatisation éprouvé par les élèves en difficultés. Phénomènes sociaux que nous retrouvons,

d’ailleurs, à plusieurs reprises dans les récits des nos jeunes. Noémie (jeune 5) pour décrire son parcours scolaire utilise spontanément le terme de « martyre », Némo (jeune 15) accuse l’école et ses enseignants de n’avoir jamais tenté d’expliquer ses comportements autrement qu’à travers l’étiquette d’hyperactivité, et Katrine (jeune 2) nous fait part de son sentiment d’exclusion.