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LES ORIGINES DU LANGAGE ET SA JUSTIFICATION

II. 3 UN EXEMPLE CONCRET DE DIAGNOSTIC.

Maintenant que nous y voyons plus clair dans la terminologie et dans ce qui a conduit à sa mise en place, prenons un exemple concret et détaillé de ce qu'elle permet de réaliser comme analyse du milieu naturel. L'exemple proposé est bien entendu très riche de significations tant d'un point de vue de la structure du paysage que de sa dynamique. Tous les relevés réalisés ne permettent évidemment pas d'obtenir une telle richesse d'informations, pour la simple raison que le paysage sur lequel ils sont effectués ne présente pas forcément des caractéristiques structurelles et dynamiques très contrastées.

L'exemple proposé est celui d'une entité développée sur un affleurement de grès du bassin versant de Kamech (sixième relevé de la première toposéquence) :

Ce qui est identifié (3)

KAM Q1 R6 h9 (h-6 ; 10 cm) : Allotérite gréseux (63 %) pardi-réductique nébuloïde (20 %) à phase calcinique nodulaire ou mycéloïde fistulaire (5 %) et à stigme brunichrome (1 %) et gravolique (2 %), dans lequel figurent, dans une moindre mesure, des mesogravelons gréseux amblymorphes (6 %), des rhizophyses (1 %) et une part très faible d’aérophyse (2 %)

… Ce que l'on perçoit (1)

Suivant les principes énoncés, il est possible de traduire la composition de cet hoplexol : il s’agit en fait d’une roche gréseuse en place très fortement altérée dont les structures originelles (diaclases…) ne sont plus visibles (allotérite gréseux), dans laquelle s’insèrent des marbrures de couleur grise, de texture argilo-sableuse, et des marbrures de couleur jaune de texture plus argileuse (pardi-réducton nébuloïde), et qui comprend, dans une moindre proportion, des traces de sols bruns (brunichron), des concentrations de calcaire sous la forme d’amas cohérents (calcinite nodulaire) ou de pseudo-mycéliums (calcinite mycéloïde nodulaire) et des éléments ferrugineux grossiers de la taille de graviers (gravolite). Ces matériaux cohabitent, en outre avec des graviers gréseux de taille inférieure au centimètre aux arêtes émoussées (mésogravelon amblymorphe), un chevelu racinaire d’expansion et d’exploitation du milieu souterrain (rhizophyse) ainsi qu’une très faible part d’air (aérophyse) traduisant la compaction générale de cette entité.

… Et ce que l'on re-connaît (2) !

L’interprétation va bien au-delà de la simple description qui vient d’être réalisée, elle suggère une connotation relative aux dynamiques qui ont conduit à la différenciation de cette entité et aux processus qui sont encore en cours actuellement au sein de cette entité. Du point de vue dynamique de la pédogenèse, cela indique que l’on se situe dans un ensemble qui n’est plus constitué de roches mais que l’on ne peut pas encore qualifier de sols. La part extrêmement faible de sol brunifié confirme par ailleurs ce propos. Le ciment qui liait les grains de quartz dans la couche géologique a totalement disparu, du moins sous sa forme originelle. A la place existe désormais un banc de sable sans cohésion à l’intérieur duquel apparaissent des concentrations d’argile provenant (probablement) de l’altération chimique de la roche mère et de la restructuration du ciment qui la caractérisait (Duchaufour, 1970). Compte tenu du fait que de tels processus ne peuvent se réaliser qu’en présence d’eau et que la couche sableuse ne

semble pas avoir subit de transport hydrique, il est possible d’affirmer d’une part que cet hoplexol s’est développé sur place et en profondeur (l’absence de cohésion entre les grains de sable aurait conduit rapidement à son ablation si les matériaux s’étaient trouvés en surface) et d’autre part qu’il a subit des phases d’hydromorphie, au moins temporaires, lors de sa formation.

Si l’on continue ce raisonnement, les processus de mobilisation et de concentration des oxydes de fer à ce niveau du relevé traduisent eux aussi ces phénomènes. Il est donc très fortement probable qu’au cours de la période hivernale une nappe perchée se forme à cet endroit. La période d’anaérobiose qui la caractérise aboutit à la solubilisation des oxydes de fer contenus dans les argiles et à leur migration sur de courtes distances. L’assèchement de la nappe, au cours de la période estivale, conduit à la réoxydation complète du fer et à sa précipitation, soit sous la forme de taches diffuses dans le milieu, soit sous la forme de concrétions plus solides. Ce processus mène progressivement à la formation d’un pseudogley dans lequel s’individualisent des taches gris clair ne contenant qu’une quantité limitée de fer ferreux et des taches jaunes enrichies en fer oxydé qui figurent sous le vocable de pardi- réducton nébuloïde. Ces propos sont en outre confirmés par la faible expansion racinaire tout à fait caractéristique de ce type de matériau (Duchaufour, 1970).

De même, il est possible de prolonger l’argumentation en analysant les phénomènes de concentration et d’induration des calcaires qui, même s’ils sont très minoritaires dans cet hoplexol, sont aussi des témoins marquants de sa dynamique. Ainsi, Boulaine (1957) et Ruellan (1970) ont montré que les encroûtements nodulaires (puisque c’est bien de cela qu’il s’agit ici, même si celui-ci n’est pas très développé) résultent d’une phase de lessivage oblique le long des pentes qui permet de dissoudre le calcaire des sols tout en enrichissant le ruissellement hypodermique en carbonate de calcium et d’une phase de précipitation / cristallisation qui permet la néo-formation de calcaire sous une forme poudreuse et peu cohérente. Ces faibles encroûtements connotent eux aussi un comportement hydrodynamique typique des milieux semi-arides, qui se caractérise par une période d’humidification de l’hoplexol, permettant la dissolution des carbonates contenus dans le sol puis d’une phase d’assèchement par évaporation qui permet la formation progressive de l’encroûtement, par apports successifs au fil du temps. En outre, deux états d’avancement sont remarquables, la forme nodulaire d’une part, qui dénote un aspect plus achevé de l’encroûtement sous la forme d’amas compacts et cohérents (bien qu’une simple pression des doigts suffise à les désolidariser) et la forme mycéloïde d’autre part qui correspond aux premières formes d’individualisation des calcaires, dont la disposition fistulaire renseigne sur les mouvements verticaux de l’eau dans les fissures présentes dans cet l’hoplexol (Lozet & Mathieu, 1997). Procédant ainsi, matériau par matériau, hoplexol par hoplexol, relevé par relevé, il est possible d’obtenir rapidement une identification des objets qui composent le milieu naturel, de comprendre les organisations de ces matériaux entre eux et d’obtenir une explication précise sur les dynamiques du milieu, qu’il s’agisse des dynamiques évolutives (donc sur le long terme), ou des comportements à plus court terme (saisonniers, journaliers).

CONCLUSION

La diagnose du milieu naturel repose donc sur 78 diagnostics primaires (dont quelques exemples typiques du monde méditerranéen sont proposés dans les premiers paragraphes de ce chapitre). Ces diagnostics définis dans le cadre de l'ATM (et repris dans la thèse de Richard, 1989) ont fait l'objet de publications dans les dictionnaires de Lozet et Mathieu (1997) en ce qui concerne les composantes des sols du domaine ferralitique et celui de Da Lage et Métaillé (2000) qui se sont attachés à répertorier les composantes du domaine végétal,

ce qui leur confère désormais une reconnaissance scientifique considérable dans le domaine de l'analyse du milieu naturel. Mais la méthode proposée va plus loin que ces quelques énumérations. Elle permet en effet, par le biais des règles de grammaire basées sur les notions de partage sémantique et de combinatoire langagière (Chatelin, 1971 ; Chatelin, 1978), de définir près de 24000 nouveaux diagnostics (Richard et al., 2003), autant de composantes du milieu naturel qu'il est alors possible d'appréhender par la simple observation.

CHAPITRE III

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