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c) L’entrée par les « théories ordinaires » couplées aux outils méthodologiques de l’entretien et de l’observation

Présentation de la méthodologie adoptée : une question d’angle

I.1. c) L’entrée par les « théories ordinaires » couplées aux outils méthodologiques de l’entretien et de l’observation

C’est l’approche dite des « théories ordinaires » (Pedler & Cheyronnaud, 2013) qui m’a convaincue d’abandonner la théorie simondonienne. En effet, cette approche des « théories ordinaires » pense comme opératoire le fait de « prendre en compte la diversité conceptuelle

des régimes théoriques et la diversité des acteurs qui s’en saisissent pour dresser une cartographie plus ouverte de l’activité théorique et des formulations réflexives. » (Pedler &

Cheyronnaud, 2013, p. 7). L’ordinaire est ce que cherche à capter l’anthropologie de la communication, notamment. Les « théories ordinaires » me permettent, quant à elles, de considérer la recherche et la sociabilité propre à ce milieu professionnel comme des expériences, et non seulement comme des objets. En effet, suivant le conseil de Jean-Claude Perrot, j’ai expérimenté le réel et « le milieu nourricier » (Perrot, 1992, p. 9) plutôt que de rester dans les livres. Cette expérimentation en première personne m’a permis de forger une, voire plusieurs hypothèses, qu’il m’a fallu ensuite étayer théoriquement parlant mais aussi pragmatiquement parlant.

J’ai donc fait l’hypothèse que mon objet, à savoir la sociabilité, était un moyen de pratiquer la recherche entre carrière individuelle et travail collectif. En effet, la pratique de « l’entretien semi-directif à visée compréhensive », m’a fait réaliser qu’il ne fallait pas dissocier le savoir, de l’homme qui le produit et le vit dans sa pratique quotidienne. L’enquête menée dans les différents terrains16 portera sur les actes de pratique et de vécu de la recherche comme tentative de théorisation de la sociabilité et de ses modalités de communication17. Mes deux approches méthodologiques, à savoir « l’entretien semi-directif » et « l’observation » de terrain vont être examinées dans le point suivant.

(i) L’entretien semi-directif à visée compréhensive : un outil de sociabilité privilégié, car proximal

La notion d’« entretien compréhensif ou semi-directif à visée compréhensive » (Kaufmann, 2013) est empruntée à J.-C. Kaufmann. Je vais m’attacher à montrer dans ce paragraphe que cette méthodologie souple convient à mon objet tout en s’accordant bien à l’anthropologie de la communication. Pour cela, je confronterai la méthode de l’entretien compréhensif à d’autres méthodes d’investigation. En effet, la sociabilité, telle qu’elle est définie depuis l’introduction est l’essence du partage d’informations lors d’une interview. Or, l’entretien à visée compréhensive est une méthodologie, celle de l’entretien, couplée à une attitude de rapprochement humaniste. Cette dernière consiste en une compréhension de soi comme référent premier, puis de l’autre, comme informateur potentiel. C’est donc une posture

16 Je les ai catégorisés sous les termes de « laboratoires seniors » (partie B) ; « laboratoires juniors » (partie C) et « laboratoires et/ou instituts interdisciplinaires » (partie D).

antagoniste mais nécessaire, qui se dessine ici entre une distance professionnelle et une proximité interpersonnelle.

« Pour atteindre les informations essentielles, l’enquêteur doit en effet s’approcher du

style de la conversation sans se laisser aller à une vraie conversation : l’entretien est un travail, réclamant un effort de tous les instants. (…) L’informateur est surpris de se sentir écouté en profondeur et se sent glisser (…), vers un rôle central. (…) Ainsi, l’échange parvient à trouver son équilibre, entre deux rôles forts et contrastés. »

(Kaufmann, 2013, p. 47).

Cette citation permet de réfléchir à la notion capitale de « conversation », en matière d’entretien. En effet, on ne peut pas se contenter de la seule approche kaufmanienne. Si celle-ci sera pourtant dominante dans ma thèse, il est nécessaire d’une part de la justifier et d’autre part de nuancer ce monopole méthodologique. Cette nuance s’opérera en couplant certains aspects de l’entretien « compréhensif » à deux autres méthodes qui sont 1. le questionnaire pour une petite part, et 2. l’entretien « non directif » pour une part plus importante, mais moindre par rapport à l’entretien « compréhensif ».

1. En ce qui concerne la méthodologie classique du questionnaire, typique des études quantitatives, si celle-ci a gagné en notoriété au niveau scientifique, c’est principalement à cause du primat conféré au « critère de méthode » statistique dans « la hiérarchie des objets

légitimes de recherche et (dans) la hiérarchie des méthodes d’enquête. » (Beaud, 1996, p.

227). En effet, la méthode est le cheval de bataille pour établir le prestige de telle ou telle discipline scientifique. « L’enquête de terrain, un court moment valorisé (…), a été

progressivement marginalisée, voire évincée, au profit d’enquêtes statistiques qui apparaissent alors plus fiables sur le point de la « preuve » et de la « représentativité ». »

(Beaud, 1996, pp. 228-229) Le terrain se présente donc historiquement parlant comme un point aveugle à cause de son caractère insuffisamment généralisable par rapport aux questionnaires formalisés via une grille de questions immuables, transposables à n’importe quel individu d’un échantillon bâti sur des critères standardisés tels que l’âge, le sexe, la classe sociale, etc. Pour ma part, souscrivant à la vision traditionnelle de l’ethnologie portée par Malinowski notamment, j’ai choisi d’utiliser le questionnaire comme palliatif lorsque l’entretien n’était pas possible.

Le questionnaire, de par sa force méthodologique face à des contraintes extérieures, constitue pour moi un excellent moyen de « tester » la cohérence des données ethnographiques recueillies en entretien. En effet, le terrain ethnographique symbolise « le

critère de la méthode anthropologique, en imposant l’idée que le travail de terrain se caractérise avant tout par la méthode de l’observation participante, méthode d’immersion sur le terrain qui, seule, permet de saisir ce que Malinowski appelle les « impondérables de la vie sociale ». » (Beaud, 1996, p. 230). En revanche, si l’usage de l’entretien en SHS se veut

multiple pour être à l’image de la méthode statistique, j’ai opté pour un couplage entre certains aspects, de l’entretien « non directif », détaillés juste après et les caractéristiques de l’entretien « compréhensif ».

2. L’entretien « non directif », encore appelé « non préstructuré » a pour but principal de « rendre compte des systèmes de valeurs, de normes, de représentations, de symboles,

propres à une culture ou à une sous-culture. » (Michelat, 1975, p. 230). Dans mon contexte

d’étude, l’anthropologie de la communication repose sur une conception de la culture comme étant tout ce qu’il faut savoir pour qu’un individu en soit membre, et dans mon terrain, il s’agit d’être membre d’une équipe de recherche. La méthode par entretien « non directif »

hérite de la méthode par questionnaire dans la mesure où celle-ci requiert des règles d’échantillonnage parmi les personnes participant à l’enquête. Cependant, puisqu’il s’agit d’une méthode dite qualitative, le nombre et la représentativité des entretiens constituant l’échantillon est beaucoup plus restreint en regard d’une méthode quantitative comme celle du questionnaire. Le corpus compte, pour la méthode non directive, entre 30 et 40 entretiens en moyenne, rarement plus. Ce nombre restreint s’explique par le « principe de diversification » de l’échantillon (Donegani, 1993 ; Michelat & Simon, 1977). Ce principe repose sur la recherche d’une certaine hétérogénéité des individus interrogés au sein de la population considérée par l’enquête. En effet, si ce principe est respecté, alors « l’expérience montre que,

passés trente à quarante entretiens, si les personnes interrogées ont été bien choisies, les informations recueillies sont redondantes ou du moins ne mettent plus en cause fondamentalement, la structure des résultats obtenus. » (Duchesne, 2000, p. 11). En ce qui

concerne l’échantillon, ce principe signifie que ce dernier est constitué à partir d’un panel le plus divers possible. Ainsi, la « représentativité signifie donc simplement que l’on s’efforce de

réunir des personnes présentant toutes les caractéristiques pouvant engendrer des différences à l’égard des représentations étudiées, compte non tenu de leur nombre relatif dans la population d’origine. » (Duchesne, 2000, p. 11). Dans mon enquête, j’ai respecté ces

quelques principes propres à l’entretien non directif, eux-mêmes hérités d’une réflexion sur la méthode quantitative et statistique de la technique de recueils par questionnaires. Ces quelques règles sont donc, la limitation du nombre d’entretiens, le principe de diversification, afin que chaque personne interrogée représente les situations socio-professionnelles les plus diverses engendrant ainsi des différences représentatives de la population étudiée : « la

méthode « non directive » suppose de choisir les personnes en fonction de leur appartenance, la plus forte possible, aux groupes culturels dans lesquels, par hypothèse, on s’attend à observer des différences importantes dans la part du système de représentation rattaché au thème de l’exploration. » (Duchesne, 2000, p. 12). Par exemple, dans mon étude, j’ai

confronté des chercheurs à des administratifs, des étudiants à des statutaires, etc.

Si cette méthode du non directif présente certains avantages en ce qu’elle prétend donner la parole pleine et entière sans dirigisme grâce à la fameuse « consigne », elle présente aussi certains inconvénients, qui, pour notre terrain, excluaient de recourir prioritairement à cette dernière. Le premier inconvénient que l’on trouve répertorié dans la littérature, et qui concerne directement mon enquête, est la difficulté pratique qu’il y a à interviewer des personnes de classes dites « supérieures ». Ainsi, « contrairement à ce qu’une connaissance

trop superficielle de la méthode (non directive) pourrait laisser croire, les personnes avec lesquelles il est très difficile de mener à bien ce type d’entretien ne sont pas seulement les personnes les plus démunies (...), ce sont aussi celles qui appartiennent aux dites « classes intellectuelles supérieures. » (Duchesne, 2000, p. 13). La première raison évoquée pour

expliquer le caractère inadéquat de cette méthode auprès d’un tel public de cadres viendrait de ce que « le caractère interchangeable » des enquêtés choisis pour leurs propriétés sociales et

non pour leurs titres, leurs rôles, leurs fonctions, est difficile à supporter pour ceux qui ont

« un nom », qui sont habitués à parler en nom propre ». Autrement dit, pour « s’imposer aux

imposants », la méthode « non directive » est particulièrement mal adaptée ». (Duchesne,

2000, p. 13).

La seconde raison est identifiée notamment sous la plume de Bourdieu lorsqu’il revisite l’entretien dans La misère du monde (Bourdieu, 1993). Dans cet ouvrage collectif, 182 entretiens ont été menés sur le mode conversationnel. Ce livre est intéressant au niveau de son

aspect méthodologique18 en ce qu’il revendique prendre le contre-pied des principes standards que sont la pose d’hypothèses, position la plus neutre et la plus objective possible pour l’enquêteur, la pratique de l’analyse de contenu, la méthodologie des sciences sociales, pour donner à lire l’intégralité des entretiens menés assortis d’une réflexion théorique renouvelée sur « l’entretien comme « conversation ordinaire » » (Mayer, 1995, p. 361). Cependant l’entretien non directif est critiqué à cause de son caractère apparenté à du « laisser-faire ». Pour Bourdieu, l’entretien doit être pris en main par l’enquêteur qui reste donc actif et directif. En marquant son attention il rejoint la méthode de l’entretien compréhensif que je vais aborder ensuite.

En somme, les points communs que l’on retrouve dans les types d’entretiens mentionnés que sont, soit le non directif, soit le directif, soit le compréhensif,sont d’abord, comme le dit Nonna Meyer, qu’il existe un « métier d’enquêteur » (Mayer, 1995), et qu’ensuite ce métier repose sur la faculté à écouter, à comprendre et pour cela à se mettre à la place de l’autre. Pour ma part, j’ai donc cumulé certains paramètres appartenant à l’une ou à l’autre méthode : le questionnaire pour son formalisme et sa rigueur, le non directif pour l’empathie que cela suppose lorsque l’enquêteur actif (au moins sur ce plan) reformule en « miroir des propos de l’enquêté » (Mayer, 1995, p. 368), et le semi-directif à visée compréhensive prioritairement pour les raisons qui suivent.

Utiliser l’entretien à visée compréhensive, c’est prendre le parti assumé de se placer contre un méthodologisme « fort » où, pour parler comme Wright Mills, une « rationalisation

sans raison » (Kaufman, 2013, p. 14) conduirait à un dogmatisme théorique. Il faut se faire

l’« artisan intellectuel » de sa recherche, c’est-à-dire s’en rendre propriétaire dans sa réalisation empirique et dans l’analyse intellectuelle qui accompagne l’enquête de terrain :

« L’artisan intellectuel est celui qui sait maîtriser et personnaliser les instruments que

sont la méthode et la théorie, dans un projet concret de recherche. (…) Il est tout à la fois : homme de terrain, méthodologue, théoricien, et refuse de se laisser dominer ni par le terrain, ni par la méthode, ni même par la théorie quand elle est dogmatique. »

(Kaufman, 2013, pp. 14-15).

L’entretien compréhensif permet une approche souple, personnalisable et multidimensionnelle. Il est utile de rappeler brièvement les origines de l’entretien pour situer ma propre démarche compréhensive, ceci afin d’en souligner la proximité.

« Son origine est multiple : enquêtes sociales du XIXème siècle, travail de terrain des ethnologues, entretiens cliniques de la psychologie. (…) A l’entretien administré comme un questionnaire s’est progressivement substitué une écoute plus attentive de la personne qui parle. (…) Chaque enquête produit une construction particulière de l’objet scientifique et une utilisation adaptée des instruments : l’entretien ne devrait jamais être employé exactement de la même manière. » (Kaufman, 2013, p. 16-17)

Ce que l’on peut lire en filigrane dans cet extrait est que, parmi les deux voies méthodologiques dégagées par la méthode de l’entretien que sont « la compréhension ou la

mesure » (Kaufman, 2013, pp. 16-17), mon approche se range dans la voie de la

« compréhension » où l’entretien est un « support d’exploration » (Gotman, 1985, p. 166).

18 Sur la méthodologie voir, par exemple, Blanchet et al. (1993) ; Blanchet & Gotman (2005) ; Bourdieu et al. (2006) ; Bourdieu, Chamboredon & Passeron (2006).

Cette exploration passe d’abord par une quête de confiance et d’engagement mutuels entre enquêteur et enquêté. Ceci pose la question du positionnement de la théorie par rapport au terrain. En réponse à cette interrogation, on peut avancer cette définition de l’entretien compréhensif :

« Entre ces deux extrêmes, l’entretien compréhensif prône une objectivation qui se

construit peu à peu, grâce aux instruments conceptuels mis en évidence et organisés entre eux, donnant à voir le thème de l’enquête d’une façon toujours plus éloignée du regard spontané d’origine ; mais sans jamais rompre totalement avec lui. (…) l’objet se construit peu à peu, par une élaboration théorique qui progresse jour après jour, à partir d’hypothèses forgées sur le terrain. Il en résulte une théorie d’un type particulier, frottée au concret, qui n’émerge que lentement des données. » (Kaufman, 2013, p. 23)

Cet extrait montre une certaine résonance avec la pratique disciplinaire de l’anthropologie de la communication qui demande souplesse d’action et de réaction, doublée d’une certaine empathie envers l’autre dans l’interaction de l’entretien. Cependant, il est à noter que, comme dans toute recherche, il convient de faire des choix et notamment celui du « bon informateur à dénicher ».

« Dans l’entretien compréhensif, plus que de constituer un échantillon, il s’agit plutôt

de bien choisir ses informateurs. » (Kaufman, 2013, p. 43).

En effet, tous les informateurs ne sont pas aussi prolixes et prêts à « jouer le jeu » de l’entretien. La façon de mener un entretien va dépendre de la personnalité de l’enquêté, car « l’informateur gère son degré d’implication dans l’entretien, et celui-ci dépend en grande

partie de la confiance qu’il fait à l’enquêteur. » (Kaufman, 2013, p. 44) Le déroulé de

l’entretien va aussi, et peut-être surtout, dépendre de la personnalité de l’enquêteur et des outils plus ou moins « personnalisés » qu’il aura choisis d’utiliser. Parmi ces outils, on peut citer le questionnaire classique, mais aussi ce qui en dérive, à savoir la grille ou guide d’entretien qui autorise une certaine liberté. Cette liberté laisse place au vécu, et aussi à l’imprévu qui, s’il est maîtrisé, peut être bénéfique.

« La grille des questions est un guide très souple dans le cadre de l’entretien

compréhensif. (…) C’est un simple guide19, pour faire parler les informateurs autour du sujet, l’idéal étant de déclencher une dynamique de conversation plus riche que la simple réponse aux questions tout en restant dans le thème. » (Kaufman, 2013,

pp. 43-44).

La grille est donc une certaine façon de procéder pour en apprendre plus sur son interlocuteur. Cependant, parfois l’entretien en face à face déconcerte. L’entretien compréhensif a été mon fer de lance tout au long de l’enquête menée à l’Ecole Y. J’ai interrogé 29 personnes dont 19 en face à face, 2 de façon informelle, 3 par téléphone et 5 par questionnaire écrit20. Ces deux derniers cas se sont présentés tout particulièrement lorsque l’interviewé ne souhaitait pas ou ne pouvait pas avoir un entretien en face à face (par exemple, lorsqu’il était à l’étranger). On peut supposer que ce refus d’interaction directe exprime un certain besoin pour ces interviewés de « réfléchir » à leur positionnement avant

19Ce guide est plus fourni que la seule « consigne » de l’entretien non directif, mais moins rigide que le questionnaire à visée statistique.

20 Concernant les différentes grilles de questionnaires ou d’entretiens compréhensifs, des exemples pour chaque terrain ont été sélectionnés pour illustration (voir en annexes).

d’être soumis à l’enquête. Ces derniers voulaient-ils « jouer aux bons élèves » qui « savent » quoi répondre et « comment » répondre ? Ceci est probable, si l’on en croit le verdict empirique déclarant le non-directif comme inapte à interviewer les cadres supérieurs. Cependant, sans être aussi catégorique, cette réaction peut aussi être due à une certaine timidité, ou à la crainte d’une perte de temps plus grande qu’en réalisant un questionnaire écrit. Le problème est aporétique.

Concernant cette contrainte du terrain d’avoir parfois recours aux questionnaires remplis, puis retournés par mail, je vais justifier l’usage de cet outil en explicitant sa production. Cette grille de questionnaire, constituée à l’image du guide d’entretien, s’est basée sur des thématiques générales conservées de personne à personne. Les questions rédigées dans ces rubriques se rapportaient le plus possible à l’identité des interviewés ou encore aux expériences (colloques, etc.) partagées avec ces derniers. C’est pourquoi, j’ai cherché à préserver l’esprit de l’entretien compréhensif dans ces questionnaires, tout en croisant les observations que j’avais pu mener lors de manifestations scientifiques, suivant la voie de l’anthropologie de la communication. Si l’entretien cherche à aller au fond des choses en tant que « sorte de situation expérimentale » (Kaufmann, 2013, p. 60), le questionnaire, lui, doit refléter cette envie. Pour cela, j’ai utilisé en moyenne près de cinq à dix questions pour chaque rubrique.

« L’entretien fonctionne (…) comme une chambre d’écho de la situation ordinaire de

fabrication de l’identité. Il faut penser à soi et parler de soi plus profondément, plus précisément, plus explicitement qu’on ne le fait habituellement. » (Kaufmann, 2013,

p. 60).

Cette précision recherchée par l’enquêteur et l’enquêté peut éventuellement se situer dans cette préférence de certains pour l’entretien par questionnaire. Un indice allant dans cette direction est que j’ai eu des retours, par mail, complémentaires à ces questionnaires de la part des enquêtés. Le dialogue s’est donc, d’une certaine façon, engagé par le biais de l’écrit, permettant parfois des précisions sur des détails, ou encore de mentionner des souvenirs resurgissant a posteriori. Pour corroborer ce fait, je prends comme exemple le cas de J.-C. Kaufmann qui s’est essayé à réaliser une enquête par courriel (Kaufmann, 2013, pp. 56-58). Si je compare les réactions additionnelles de mes interviewés avec cette enquête de Kaufmann, je peux en tirer quelques constatations. Tout d’abord, c’est la « relation d’enquête » qui est primordiale dans ma démarche, indépendamment de la méthode utilisée, que ce soit le questionnaire ou l’entretien.

La grille de questionnaire et le guide d’entretien sont donc construits dans un même mouvement et ont pour but de susciter des bouts de récit de vie. De ce fait, tout se passe comme si l’entretien devait gagner en maturité a posteriori pour certaines personnes. Cela, indépendamment du dispositif choisi pour leur interview. En effet, celle-ci sera d’abord complétée par des observations directes (non-, semi- ou participantes) et ensuite par les interviewés eux-mêmes. L’indépendance des moyens choisis vient du fait que l’entretien était souvent complété par plusieurs rencontres assorties de discussions fortuites, voire de plusieurs séances d’interviews avec quelques personnes. Ceci corrobore l’idée kaufmannienne selon laquelle les « effets de vérité » ne seraient pas plus grands avec le questionnaire :

« Souvent l’entretien est rangé du côté de l’expression subjective, et opposé au

questionnaire, plus objectif. Or une telle opposition ne va pas de soi en ce qui concerne le type de matériau recueilli : alors que la discontinuité des questions permet de ruser

un peu avec les réponses, le devoir de cohérence, qui joue déjà dans le questionnaire