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Présentation de la méthodologie adoptée : une question d’angle

I.1. a) Cadrage théorique initial

Pour Yves Winkin, l’anthropologie de la communication couple deux approches : l’une, théorique, issue de la « nouvelle communication » et l’autre, empirique, au sens de « pratique de terrain ».

L’apport de cette vision anthropologique de la communication est précisément de faire prendre conscience que toute interaction communicative n’est pas faite que de paroles langagières, mais qu’elle est aussi constituée de gestes, de comportements (à titre individuel ou groupal), de regards sur soi et sur autrui.

Cette anthropologie de la communication consiste en « trois pans majeurs » (Winkin, 2001, p. 139) qui se manifestent sous forme d’un « guide de terrain » ou « journal » retraçant les scènes d’interactions vécues avec une partie subjective (comportant ses émotions, ses impressions personnelles) et une partie objectivante (les faits) : - Observer : « savoir voir » ; - Participer et se retrouver face aux autres : « savoir être avec », avec d’autres et avec

soi-même ; - Ecrire, décrire : « savoir écrire ».

Il est intéressant de noter pour mémoire et dès cette présentation méthodologique que ce « savoir-faire » du chercheur en anthropologie de la communication, décliné sous forme de

2 Cependant, cette mise en parallèle est permise dans la mesure où l’on ne tient pas compte, bien sûr, des différences méthodologiques ou autres de ces divers auteurs de SHS.

3 Pour cette introduction à l’« anthropologie de la communication », je me base principalement sur les ouvrages d’Yves Winkin (même si d’autres références pourront éventuellement apparaître).

4 Je paraphrase ici le titre d’un petit ouvrage de Latour intitulé « Le métier de chercheur. Regard d’un anthropologue » (Latour, 2001).

ces trois attitudes fondamentales, se retrouvera réutilisé, mais développé et contextualisé autrement, au travers de mon enquête de terrain qui aura un cœur fortement ethnographique. Par ce biais, on pointe du doigt l’importance des pratiques et des aptitudes communicationnelles à l’œuvre dans les situations observées par le chercheur en anthropologie de la communication. C’est pourquoi ce dernier se doit de travailler les trois aptitudes citées ci-dessus, afin de permettre le dialogue nécessaire à tout travail scientifique. Cette démarche ethnographique parce qu’avant tout pratique, se définit comme « une

éducation du regard et de l’écriture » (Winkin, 2001, p. 133). L’exposé à suivre de mes outils

méthodologiques et pratiques en sera la preuve. En effet, l’anthropologie de la communication se définit tant par son recours et son rapport au terrain, que par son ancrage théorique qui s’appuie sur des auteurs comme Hymes qui a forgé cette expression d’« anthropologie de la communication », ou encore, par exemple, Goodenough, Birdwhistell et Goffman.

Ainsi l’anthropologie de la communication emprunte à Hymes le projet de penser ethnographiquement les situations et leurs composantes observables (comportements, etc.) : « dans toute culture ou communauté, le comportement et les objets en tant que produits du

comportement, sont sélectivement organisés, utilisés, fréquentés et interprétés pour leur valeur communicative. » (Dell, 1967, p. 25). Hymes intègre le concept de « culture » issu de

Goodenough qu’il définit ainsi : « la culture d’une société consiste en tout ce qu’il faut savoir

pour se conduire d’une manière acceptable pour les membres de cette société, et dans tout rôle qu’ils accepteraient pour chacun des leurs. » (Goodenough, 1964, p. 36). Cela fait écho à

la position de Birdwhistell pour qui, être membre d’un groupe, signifie être prévisible dans ses comportements, etc. Le groupe social a du sens autant qu’il « fait sens » à partir du moment où on le considère de l’intérieur à l’instar de Goffman dans Asiles (Goffmann, 1968, p. 37), par exemple.

L’un de ces premiers outils est le journal de terrain. Le journal est là pour permettre de gérer simultanément, « lectures, réflexions, observations et frustrations » (Winkin, 2001, p. 146). Il demeure un outil hautement personnel, à forte charge affective. En somme, l’excédent de « subjectif » et le risque de « pathos » souvent reprochés aux études qualitatives, et cela quelle que soit la méthode d’investigation adoptée, ne sont plus des obstacles, puisque ces derniers sont recueillis et « canalisés » dans et par le journal de terrain.

De plus, cet outil dans son aspect « objectif » permet sans conteste de dégager des régularités dans les pratiques observées, permettant de monter les situations particulières en généralités. C’est grâce à cette activité d’écriture que j’ai choisi de privilégier l’observation avant de passer à la phase d’entretien. En effet, la précipitation à descendre sur le terrain peut être délétère dans la mesure où il convient toujours, au préalable, de négocier sa place et son positionnement dans ce même terrain. Il est nécessaire de respecter les personnes participant à l’enquête. Pour dépasser les aveuglements premiers, plusieurs méthodes peuvent être expérimentées : on peut faire des dessins, utiliser tout « le registre corporel » disponible (Winkin, 2001, p. 152), etc. Pour ma part, j’ai pris de nombreuses notes que j’ai classées et triées, réalisé quelques croquis et illustrations de situations de communication, pris quelques photos. Ensuite, il est nécessaire d’écrire car, comme chacun le sait, l’écriture a un impact sur le travail accompli et peut changer totalement les perceptions premières des situations observées et les types d’observables dégagés dans le temps plus ou moins prolongé des situations non, semi ou participantes vécues. Il est alors important d’avoir, d’une part, bien conscience d’où l’on observe, d’où l’on parle et pourquoi l’on choisit tel ou tel terrain plutôt qu’un autre ; ceci afin d’avoir une vision claire, distincte, et un minimum rationalisée, de sa position d’enquêteur. D’autre part, il convient aussi de se demander en quoi tel comportement est spécifique de telle ou telle situation. En somme, l’ethnographie est respect et plaisir d’appréhender le social. Le terrain est essentiel car c’est par lui que passe la validation. Par

conséquent, il est nécessaire d’« aller se frotter au terrain » pour se laisser imprégner par l’étrangeté du quotidien, pour finalement armer son regard et ainsi percevoir des observables5. En somme, ce que nous apprend l’anthropologie de la communication est de ne jamais séparer la théorie du terrain. Même si c’est finalement le terrain qui aura le dernier mot en dépit de ses « finitudes », puisque à la fois circonscrit dans et par le temps et l’espace, mais aussi limité par les cadres théoriques qui le traversent, ce couple méthodologique permettra de questionner l’évidence. Ce questionnement capital en communication fera alors toute la différence. L’apport disciplinaire de l’anthropologie de la communication pour mon objet d’étude peut se résumer en trois termes : l’altérité, la pluralité et la réflexivité.

1) L’altérité parce que je travaille sur un sujet qui suppose que je noue des relations sociables avec autrui pour faire apparaître les rouages de la sociabilité, sachant que ces personnes sont pour la plupart, mais pas forcément toutes, (jeunes) chercheurs comme moi. Dire ceci, c’est souligner la question de la cohabitation de l’intervieweur avec l’interviewé(e) et du rapport de réciprocité, sinon de confiance, qui doit nécessairement se créer pour que la situation de communication particulière de l’interview enregistrée soit possible. Le souci de l’Autre est donc bel et bien primordial dans la méthodologie qui est la mienne6. C’est pourquoi, il me fallait une méthodologie capable de porter la pluralité des situations de collecte des données empiriques. Cette approche devait donc être adaptable à des situations de communication, tantôt normalisées par le cadre institutionnel (dans des colloques, par exemple, au sein de mes terrains) où je pouvais mener des observations non, semi- ou participantes, tantôt formelles dans le cadre des entretiens individuels systématiquement menés à la suite des observations pour obtenir des points de détail, des impressions parfois, etc7. Enfin, il me fallait une méthodologie pouvant supporter la possibilité de l’informel, ou plutôt de l’imprévu quand le dialogue se noue aux détours d’un couloir, par exemple. Apparaît alors en filigrane la pluralité.

2) Cette pluralité est la marque qu’un certain modèle évolutif des formes possibles de sociabilité en recherche existe. Je reviendrai sur ce caractère évolutif de la sociabilité au travers d’une tentative de définition communicationnelle de ce phénomène dans ma thèse. Ce travail de conceptualisation passera par des présentations d’enquêtes de terrain au fil des parties B, C et D. Chaque partie décrira un terrain spécifique avec sa forme et ses enjeux. Les deux s’entremêlant sans cesse, des schémas récapitulatifs seront proposés en toute fin de ce travail comme ceci a déjà été annoncé en introduction.

3) Ces enquêtes ont suscité un travail de réflexivité sur l’objet qu’est la sociabilité dans les équipes de recherche. Les schémas en seront le résultat le plus objectif et le plus visible. Cependant, la réflexivité a porté d’une part, sur les orientations de mon travail, mais aussi d’autre part, sur ma position personnelle en tant que doctorante en SHS, étudiant ses collègues et pairs de statut identique ou de statut différent mais appartenant au même univers.

Ainsi, toute constitution de données passe par un nécessaire travail de va-et-vient permanent d’« essais et erreurs liés à tout travail d’enquête » (Beaud & Weber, 2010, p. 9)

5 Par « observable », il faut entendre du particulier que l’on monte en généralité au moyen de règles ethnographiques.

6 Il est intéressant de noter que ce « souci de l’Autre » qui m’anime en tant que thésarde n’est pas du tout étranger à mes interviewés. Il semble donc que cette attitude « basique » soit présente dans le monde de la recherche académique. Cependant, cette thèse dépassera ce premier et, somme toute, simple constat, en cherchant à définir la ou les formes conceptuelles accompagnées des enjeux de ce « souci de l’Autre ».

dans la constitution de mon corpus pour reprendre à mon compte une expression de Beaud et Weber. J’entends cette notion de corpus au sens large de « données collectées dans le cadre d’une enquête de terrain ». Ces données sont certes de diverses natures, mais aussi de divers interlocuteurs. Il peut s’agir aussi bien de mes commentaires de journal que des interviews enregistrées sur bande audio, puis retranscrites textuellement. C’est en ce sens que je qualifie mon corpus de « situationnel » (Charaudeau, 2009, p. 46), c’est-à-dire de corpus selon la « situation » (en fonction des locuteurs, de la finalité et du dispositif de collecte) (Charaudeau, 2009, p. 48). C’est pourquoi, plus que du contenu de mon corpus, qui apparaîtra dans les paragraphes empiriques, je vais dans ce point exposer sa « fabrique ». En définitive, il convient bien d’apprendre à se laisser porter par le terrain afin de construire pour soi, avec soi, parfois malgré soi, son corpus « de situation en situation » et donc, de construire un propos scientifique.

I.1.b) La recherche d’un modèle de lecture de la sociabilité : essais de couplages