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Enjeux reliés à la transgénèse

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CHAPITRE 2 : TRANSGENESE VEGETALE

4. Enjeux reliés à la transgénèse

Comme c'est le cas de la biodiversité, le terme transgénèse n'est pas neutre. D'ailleurs, l'appellation "technoscience" révèle la connotation sociétale, politique, économique… En nous situant dans un contexte socioconstructiviste, la notion de technoscience révèle " un processus de change et d'échange qui se négocient constamment et doivent être décidés de la politique scientifique à la définition des projets de recherche et jusqu'à la commercialisation des produits et le choix de réinvestir ou non dans la recherche technosciences …" (Hottois et al., 2001, p. 773). Il s'agit donc d'un processus complexe qui fait intervenir, voire interagir une multiplicité d'acteurs.

La commission Européenne (1998) a adopté "la directive sur la protection juridique des inventions biotechnologiques" concernant la brevetabilité des organismes vivants, ce qui témoigne de conflit d'intérêt entre les divers groupes concernés par la question (dans le domaine biotechnologique et biomédical) "en interaction avec une multiplicité d'intérêts économiques et politiques, ainsi qu'avec la diversité européenne du droit et des valeurs morales" (Ibid, p. 773).

Le débat autour de la directive européenne souligne aussi des dimensions d'ordre épistémologique. En effet, le caractère inventif du produit breveté a été contesté, "prétendant qu'un gène même cloné et purifié dont on a déterminé la fonction codante (pour une protéine) et dont on prévoit l'utilisation future dans la cadre de productions commercialisables (…), constitue toujours une découverte et non une invention." (Hottois et al., 2001, p. 155). Le problème autour de la technique de la transgénèse révèle que certaines interrogations éthiques (sur le droit des brevets, par exemple) sont indissociables de cette problématique épistémologique.

Par ailleurs, la question du développement des technosciences (la transgénèse végétale, dans notre cas), la fabrication des plantes génétiquement modifiées et leur utilisation en agriculture, dans l'alimentation, dans le domaine pharmaceutique… est une question à connotation économique, politique, sociétale et éthique.

4.1 Enjeu économique

D'après le Protocole de Cartagena, les échanges internationaux d'informations scientifiques, techniques, écologiques et juridiques montrent les considérations politico-économiques et socio-économiques liées à la production, à la commercialisation et à l'impact éventuel des organismes vivants modifiés sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique. Le Protocole de Cartagena (2000) sur la prévention des risques biotechnologiques relatifs à la convention sur la diversité biologique (article 3, aliéna k), définit les

"mouvements transfrontières" qui "s'entend de tout mouvement d'un organisme vivant modifié en provenance d'une Partie et à destination d'une autre Partie".

Les firmes agro-alimentaires se sont intéressées à des caractères bien déterminés à valeur agronomique (l'amélioration de la production agricole, la résistance aux insectes…), à valeur médicale (la fabrication de médicaments, des alicaments…) ou à valeur environnementale (dégradation des hydrocarbures (marées noires)) pour satisfaire les besoins humains, et entre autres pour garantir leur commercialisation. D'ailleurs, la commercialisation des variétés transgéniques, notamment les populations cultivées (maïs, riz…) constitue un objectif crucial, depuis la fabrication de la première variété transgénique. Gallais et al. (2006) considèrent que les grandes étapes de développement commercial des variétés transgéniques ont commencé depuis 1983, date de fabrication de la première plante transgénique. D'après ces mêmes auteurs, 90 millions d'ha de variétés transgéniques auraient été cultivés dans le monde jusqu'à l'an 2005.

4.2 Enjeux écologiques

La transgénèse peut avoir des enjeux environnementaux ou écologiques. Comme nous l'avons indiqué plus haut, l'objectif crucial de la maîtrise de cette technique consiste en la création variétale à partir de la modification génotypique.

Conformément au principe de précaution, certaines mesures sont prises afin d'éviter les effets négatifs sur la santé humaine et l'environnement qui pourrait résulter de la dissémination volontaire ou de la mise sur le marché des organismes génétiquement modifiés. "Les États membres et, le cas échéant, la Commission veillent à ce que soit effectuée, cas par cas, une évaluation précise des effets néfastes potentiels sur la santé humaine et l'environnement, susceptibles de découler directement ou indirectement du transfert de gènes d'OGM à d'autres organismes. Cette évaluation est effectuée (…) en fonction de la nature de l'organisme introduit et de l'environnement récepteur (Directive 2001/18/CE du parlement européen relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement, 2001, article 4, point 3).

A la lumière de nouveaux paradigmes génétiques, du mouvement "d'artificialisation" du vivant ou de leur "biotechnologisation", la question de l'impact sur l'environnement des nos activités techniques s'intègre explicitement dans les curricula. En Tunisie, cette question s'intègre à travers une étude d'actions humaines favorables ou défavorables aux écosystèmes, dans le cadre d'une éducation au développement durable (cas du manuel de la deuxième année et de la troisième année de l'enseignement secondaire comme on le verra mieux par la suite dans la partie : vecteurs de l'éducation au développement durable en Tunisie). En France, cette question est introduite depuis 2004 avec la première phase de généralisation d'une éducation à l'environnement pour le développement durable et dans le cadre de l'intégration des questions socio-scientifiques dans les curricula. Nous y reviendrons plus loin.

4.3 Interrogations éthiques

Les PGM sont des organismes ayant des dimensions symboliques qui sont d'ordre culturel (artificialisation du vivant, transgression entre les barrières interspécifiques) et éthiques (appropriation du vivant, injustice Nord/Sud), d'après Gallais et al. (2006). Compte tenu de ces connotations éthiques, Hottois et al. (2001) considèrent que la transgénèse peut toucher l'intégrité de l'animal et/ou des êtres vivants au sens large. Il s'agit donc d'une "chosification"

des êtres vivants ; ils "deviendraient des choses à cause de la modification génétique" (p.

847). Ces mêmes auteurs ajoutent qu'une mise en question des manipulations génétiques vient

du fait de prendre la place de Dieu ou de "jouer à être Dieu". Cette interrogation révèle, entre autres, "l'intuition que l'homme s'attribue un rôle qui dépasse ses capacités." (p. 847).

Quant à la question de la brevetabilité du vivant, elle constitue un autre problème éthique. Ce principe de brevetabilité du vivant est admis par la Convention sur la diversité biologique qui s'est tenue à Rio en 1992 et par d'autres textes comme la Directive Européenne sur la protection juridique des inventions biotechnologiques (1998), le Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques relatifs à la convention sur la diversité biologique (2000), etc.

4.3.1 Questions de la brevetabilité du vivant

La question de la brevetabilité du vivant nécessite de définir en amont la notion de brevet. Le brevet est un droit de propriété particulier. D'après le rapport sur la brevetabilité du vivant (2001, p. 4), il s'agit "d’un instrument juridique". Il désigne, d'après Hottois et al. (2001, p.

152), "un droit exclusif, mais temporaire, d'exploiter un objet caractérisé par a. la nouveauté ;

b. l'activité inventive ; c. l'application industrielle".

La brevetabilité, d'après ces auteurs, consiste en un processus d'invention (donc une nouveauté) qui est industriellement exploitable.

D'abord, les brevets ont été appliqués à des objets inanimés (inventions techniques classiques, nouvelle technique de production, nouvelle invention destinée à l’industrie, …), puis étendus au monde vivant jusqu’à englober aujourd’hui l’être humain, via le décryptage de son code génétique. La question de la brevetabilité concerne les végétaux et les animaux. En fait, le vivant n'a jamais été formellement exclu de la brevetabilité. "L’exclusion du vivant de la brevetabilité s’est faite sans texte, mais celle-ci a fait l’objet d’une remise en cause d’abord aux Etats-Unis puis en Europe" (Rapport sur la brevetabilité du vivant, 2001, p. 15).

En ce qui concerne les plantes, une évolution vers la brevetabilité a eu lieu dès le vote du Plant Patent Act en 1930 aux Etats-Unis sur la protection des variétés végétales. Cette évolution vers la brevetabilité s'est poursuivie dans le Plant Variety Protection Act en 1970 permettant la protection des résultats des recherches phytogénétiques.

Quant à l'Europe, elle a commencé à concevoir une forme de propriété industrielle restreinte : la protection des obtentions végétales créée par la Convention de Paris en 1961, sous une pression importante du milieu professionnel. Un système de protection des obtentions végétales a été donc mis au point avec l’adoption, à l’initiative de la France, de la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales, plus connue sous le nom de

"Convention U.P.O.V (l’Union pour la Protection des Obtentions Végétales) entrée en vigueur en 1968.

Selon cette convention, les variétés végétales, ainsi que les espèces animales, ne sont pas brevetables. Le contenu de cette Convention a évolué à plusieurs reprises : en 1972, 1978 et 1991. La nouvelle convention (1991) prévoit l’extension à terme à la protection des totalités des espèces végétales. Dès lors, les végétaux sont devenus comme une matière biologique brevetable, à moins que ceci assure le respect de la Convention sur la diversité biologique.

Plus tard, les possibilités de breveter se sont étendues. Vers la fin de l’année 1980 et début de l'année 1981, le premier organisme génétiquement modifié a été breveté ; c’était une bactérie utilisée pour dégrader les hydrocarbures présents dans le pétrole naturel. Les brevets ont concerné des microorganismes au début, se sont étendus à des huîtres, à des souris… En agriculture, des variétés transgéniques de soja, de colza, de riz, de maïs et de coton, résistantes aux parasites, ont été brevetées. En 1988, débutait la préparation de ce qui allait devenir la directive 98/44 du 6 juillet 1998 sur la protection des inventions biotechnologiques.

La brevetabilité du vivant a suscité des arguments en faveur et d'autres contre la brevetabilité.

Le mouvement en faveur, les résistances et les oppositions sont tributaires d'une évolution conceptuelle de la science, et entre autres des paradigmes génétiques, de la perception de la nature, du vivant, etc. En fait, le débat sur la brevetabilité est un débat qui soulève des questions d'ordre éthique et épistémologique. "La conception traditionnelle de la science permettait de distinguer nettement entre "découverte" et "invention", sur la base de la différence entre la science (pure, théorique) et la technique (ou science appliquée) et de l'isolation de la première dans une sphère idéale et désintéressée. La science contemporaine est technoscience : elle ne "découvre" qu'à la pointe d'un processus de médiatisations techniques, actives, inventives et productives, sans commune mesure avec une démarche passive et théorique d'une découverte d'un donné naturel qui aurait simplement été jusque-là inaperçu." (Hottois et al., 2001, p. 154)

La brevetabilité du vivant nous amène à nous interroger sur le paradigme génétique dans lequel s'inscrit l'amélioration des plantes. Si la brevetabilité confère à son utilisateur le droit de s’opposer à toute exploitation de la la "découverte" et ou de "l'’invention" par un tiers alors les gènes appartiennent à qui ?

Dans certains cas, l'acceptation ou l'opposition de la brevetabilité est admise en se situant par rapport à une définition bien précise du terme gène. La définition d'une telle matière biologique comme brevetable est tributaire d'une conception bien déterminée du terme gène.

L'Office Européen des Brevets (OEB) définit sa position en matière de brevetabilité des animaux et des végétaux en assimilant le gène à une molécule chimique. Concernant sa position vis-à-vis des végétaux, les plantes font partie du label "matière biologique" qui désigne, selon l'article 2 du rapport sur la brevetabilité du vivant (2001) une "matière contenant des informations génétiques et qui est autoreproductible ou reproductible dans un système biologique" (p. 114). Cette définition couvre de façon manifeste le vivant dans son ensemble.

Néanmoins, cette technique de brevet a suscité un vif débat sur les limites de la brevetabilité du vivant. A ce titre, nous citons le projet d'appropriation par des brevets des séquences du génome humain. Le projet de décryptage du génome humain depuis les années 1950 a engendré une compétition de plus en plus intense entre des entreprises privées et des secteurs publics. Cette compétition est une continuité de l'évolution qui a commencé dans l'entre-deux guerres aux Etats-Unis. Dans le cadre du chapitre suivant (Interrelation biodiversité-transgénèse), nous abordons les autres questionnements éthiques liés à la création de plantes transgéniques.

4.4 La transgénèse : une question sociétale

La prise en compte de la question d'enjeux dans le débat sur les PGM (ou d'OGM au sens large), la méconnaissance de "la balance bénéfiques/risques" selon l'expression de Gallais et

al. (2006), la remise en cause de la place accordée à la "science" suite aux crises sanitaires (sang contaminé, vache folle…), à la crise environnementale (le réchauffement climatique, les invasions biologiques…), le manque d'information sur certains faits… a enrichi le débat autour du développement des technosciences et de l'utilisation des PGM en agriculture et dans le domaine agro-alimentaire. Comme la biodiversité est un "enjeu de société", la transgénèse est considérée aussi comme une question de société.

A partir des années 1990, date des travaux pionniers concernent des applications biotechnologiques à l'agriculture et à l'industrie agro-alimentaire, puis plus récemment l'utilisation des organismes génétiquement modifiés dans l'agriculture et dans l'alimentation, les PGM sont devenus l'objet de débat public et l'objet de dispositifs législatif et réglementaire spécifiques. Nous explorons par la suite le cadre réglementaire, dans le contexte européen et américain.

La question des PGM n'est pas que scientifique. Les recherches scientifiques ne peuvent pas aborder à elles seules la question des organismes génétiquement modifiées. Il s'agit d'une question complexe qui touche différents groupes d'acteurs : les chercheurs, les citoyens, les fabricants, les agriculteurs, etc. Le rapport de l'Académie des Sciences (Rst n°13 chapitre 2, p.4) a abordé, particulièrement, l'impact de la controverse sur les PGM sur les chercheurs. En effet, des débats scientifiques ou des "querelles d'experts" ont eu lieu concernant certains travaux sur les PGM, comme l'affaire des papillons Monarque en 1999 ou l'affaire Pusztai22 (1998).

Certes, ces querelles "apportent indiscutablement la réflexion collective indispensable"(p. 4), mais certains les qualifient de querelles ayant des fondements idéologiques et politiques. La problématique de fabrication et d'utilisation des PGM ne met pas en question seulement des interrogations éthiques ou paradigmatiques (notamment génétique), mais elle met aussi en jeu des interrogations d'ordre déontologique. "L'apparition d'un débat de société d'un type nouveau, comme celui sur les OGM, nécessite vraisemblablement la définition par les chercheurs d'une déontologie également nouvelle. La co-construction de cette déontologie avec les citoyens est souhaitable." (p.4). La recherche sur les PGM met les chercheurs non seulement face à eux-mêmes, mais elle les met face à la société aussi. D'après le même rapport de l'Académie des Sciences sur les plantes génétiquement modifiées (2002), le fait d'expliquer ses recherches au public est aujourd'hui aussi important que la recherche elle-même.

Néanmoins, le problème d'impact de la controverse PGM sur les chercheurs, sur la société…

demeure complexe. Il s'ouvre à d'autres problèmes comme celui de la perception des PGM, de la perception du risque par le public, des raisons de refus et d'acceptation des PGM que nous allons aborder après avoir établi le bilan des principales pratiques transgéniques et indiquer les risques éventuels associés à leur création.

22 Pusztai (1998) a mis en évidence un retard de croissance générale et une déficience du système immunitaire chez des rats alimentés avec des pommes de terre transgéniques (résistantes aux insectes et aux nématodes). Ces résultats ont été confisqués, par la suite, ils ont été l'objet d'un débat scientifique.

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