• Aucun résultat trouvé

L'émergence éducative des courants de recherche en éducation scientifique

Dans le document TTHHÈÈSSEE En vue de l'obtention du (Page 139-143)

SECTION II : APPROCHES DIDACTIQUES ET CADRE D'ANALYSE

CHAPITRE 2 : LES COURANTS STS, QSS ET QSV

1. L'émergence éducative des courants de recherche en éducation scientifique

Le besoin d'une éducation scientifique a été souligné dans différents pays : en Amérique (Royal Society 1985, American Association for the Advancement of Science AAAS 1989…) et en Europe (European Commission 1995, Bulletin Officiel de l'Education Nationale 1999, Note de Service du Ministère de l'Agriculture et de la Pêche 2000…) comme l'ont signalé Albe & Simonneaux (2002). Les modèles de l'éducation contemporaine ont su se mobiliser en faveur d'une éducation aux sciences (aux technosciences) qui prend en compte les avancées technologiques et les mutations sociales, dans un nouveau cadre mondial.

Les réformes éducatives reposent sur une nouvelle approche de la science qui prend en compte :

- l'objectif de développement de la citoyenneté,

- l'objectif de former à l'exercice de la durabilité comme nous avons vu plus haut par la mise en œuvre d'une EDD qui repose sur la compréhension de "l'unité et de la complexité du mode" (circulaire 2007) à travers l'intégration dans l'enseignement de certaines controverses scientifiques dont la question controversée de "l'impact sur l'environnement de nos activités techniques".

- l'objectif de former à l'interdépendance entre science et société et d'élargir les champs abordés à de nouvelles problématiques et à de nouveaux thèmes pour prendre pleinement en compte les volets environnemental, économique, social, culturel, politique et technologique.

- l'objectif de former au doute et à l'esprit critique (Note de Service du Ministère Français de l'Agriculture et de la Pêche, 2000),

- l'objectif d'acquérir certaines compétences (argumentation, prises de décision informées…).

D'ailleurs, dans le cadre de l'enseignement des questions socio-scientifiques vives (QSSV) que nous allons expliciter dans ce qui suit, Simonneaux (2007) identifie un certain nombre de compétences visées chez les élèves ou requises par les enseignants :

- "le développement et le transfert de l’analyse critique, le transfert de l’argumentation et du raisonnement socio-scientifique, la mobilisation de connaissances interdisciplinaires chez les élèves ;

- l’analyse de savoirs non-stabilisés et controversés, l’analyse des discours divergents, l’analyse des modélisations développées par les scientifiques ou les médias chez les élèves ET chez les enseignants (si tant est que les enseignants maîtrisent les compétences de transfert attribuées ci-dessus aux élèves…) ;

- la formation à l’argumentation informée et au raisonnement socio-scientifique des élèves, la créativité dans la construction de situations d’enseignement ouvertes, complexes et contextualisées et la gestion de situations d’enseignement potentiellement conflictuelles chez les enseignants".

Pour ce qui est du contexte Américain, il est recommandé (American Association for the Advancement of Science AAAS 1989, 1993) de préparer les étudiants à développer des prises de décision informées face aux mutations sociales et technoscientifiques. Il est recommandé donc de prendre en compte l’interconnexion Science-Technologie-Société. Dans ce même contexte, Lederman & Lederman (2006, p. 3) considèrent que "Students' understandings of science and its processes beyond knowledge of scientific concepts have been emphasized in

particular, the National Science Education Standards (1996) state that students should understand and be able to conduct a scientific investigation".

Le National Research Council (1996, p19) précise que "students should know that… progress in science and invention depends heavily on what else is happening in society, and history often depends on scientific and technological developments". Dans un cadre mondial, l'accent est également mis sur le fait de prendre conscience des défis actuels à l’échelle globale et locale. Le National Research Council (1996, p193) précise que "all students should develop understanding of science and technology in local, national, and global challenges".

En France, la nouvelle approche des sciences questionne les objectifs d'une éducation scientifique à la lumière des changements contemporains (une crise écologique, une évolution de la perception de l'environnement, une évolution de la perception de la science…) comme nous les avons explicités, dans la première partie de notre cadre théorique. L’enseignement scientifique cherche à amener les élèves " à participer à des choix citoyens sur des problèmes où la science est impliquée." (B.O, 1999). A ce titre, il est précisé que "l'exposé axiomatique de la science déjà faite ne correspond pas au mouvement de la science en train de se faire…

La science n'est pas faite de certitudes, elle est faite de questionnements et de réponses qui évoluent et se modifient avec le temps.”(B.O, 1999), ce qui implique une approche critique.

Ceci rejoint la perspective du durable, car tout récemment, il est précisé qu'"il convient de les

"éduquer au choix" et non d’"enseigner des choix". (B.O, 2007) afin de favoriser le développement de l'esprit critique chez les élèves. Dans le cadre de l’enseignement agricole français, il est précisé dans la note de service du Ministère de l'Agriculture et de la Pêche n°

2000-2072 datée du 18 juillet 2000 que "les étudiants poursuivront à cette occasion le développement de leur conscience citoyenne"

Dans le cadre d'un enseignement scientifique qui repose sur une nouvelle approche de la science (la science comme une construction), l’accent est également mis sur "l’analyse contradictoire de la fiabilité des connaissances (exemples actuels des OGM, effet de serre,

…). La relativité des connaissances dans des domaines complexes et/ou mal maîtrisés sera mise en évidence. Les enseignants conduiront au fil du programme une réflexion dialectique sur l’importance et la gravité des périls que les activités humaines font courir quotidiennement et inconsidérément à la biosphère. Ils prendront conscience qu’une telle réflexion débouche nécessairement sur des exigences éthiques qui les concernent directement, en opposition absolue avec une conception anthropocentrique de l'exploitation des ressources naturelles. C’est ainsi par exemple que le concept de développement durable, inscrit dans la loi d’orientation agricole de juillet 1999, a émergé de cette réalité". (Ibid)

Face à l’évolution scientifique (et technoscientifique), une appropriation d’une culture scientifique est devenue "de l’avis d’un grand nombre, un facteur essentiel de la compétitivité économique et du rayonnement industriel d’une société. L’évolution très rapide des techniques modernes tend à déstabiliser nos valeurs éthiques et culturelles. Les nouveaux défis auxquels nous sommes confrontés (environnement, SIDA et autres épidémies, démographie galopante, crise économique...) réclament de nouveaux repères 64 (Giordan &

Girault, 1994, p. 1)".

L'objectif de ces réformes éducatives est de former des "citoyens critiques" (Albe, 2007., Simonneaux & Lange, 2008) capables de se représenter des problèmes nouveaux et des débats de société dans l'interaction Science-technologie-société ou le champ STS. Il s’agit donc d’une initiation à une "STS education" et à la politique des technosciences selon l'expression de Larochelle et Désautels (2003). Nous examinerons dans ce qui suit l'émergence de l'approche Science-Technologie-Société, puis nous aborderons les problèmes et les limites de ce courant éducatif, c'est-à-dire la transition du courant STS au courant QSS.

1.1 Approche Science-Technologie-Société (STS) 1.1.1 Emergence éducative de l’approche STS

Cette approche est apparue à travers l'étude du rapport Science et société. Le mouvement STS n’est pas seulement un champ de recherche, mais "c'est aussi la trace d'une histoire intellectuelle et institutionnelle toujours en train de s'écrire. Cette histoire s'inscrit dans le prolongement du mouvement débuté dans les années 70 et propre au monde universitaire : le mouvement "Science et Société" (Rapport du Ministère de la Recherche et de la Technologie, 2000-2002, p.1).

Selon ce même rapport intitulé Penser les sciences et les techniques dans les sociétés contemporaines, certains proclament que le mouvement STS, en Europe, date même de la période post-guerre mondiale. La genèse de ce mouvement se décline en trois différentes périodes : de la période de l'après guerre à 1978, la période des années 1970 (les groupes Science et Société) et la période de l'institutionnalisation des STS (la formation d'une école de recherche nationale reconnue par l'Académie Royale des Sciences (The Netherlands Graduate School of Science, Technology and Modern Culture intitulé WTMC en Hollandais), connue par l'insertion des STS dans les universités technologiques et les écoles d'ingénieurs (comme à Delft ou Twente)).

En se référant au rapport du ministère de la recherche et de la Technologie, les questions, au sein de ce mouvement, portaient vers les années 70 sur le rôle des sciences dans le développement du capitalisme, mais l'attention des travaux STS s'est portée nettement dans le courant des années 80 sur l'évaluation des technologies65.

Depuis les années 80, le courant éducatif Science-Technologie-Société a été développé en Amérique du nord ((Aikenhead, 1986, 1989, 1994 ; Bybee, 1985, 1987…). Ce courant permet d’intégrer la triade Science-Technologie-Société STS (National Science Teachers Association (NSTA), 1982) pour comprendre "les mutations sociales majeures" (Albe, 2007) qui cristallisent des enjeux, particulièrement, technologiques et éthiques. Vers la fin des années 80, certains didacticiens des sciences s’intéressent à l’étude des questions scientifiques qui font interagir les volets Scientifique, Technologique, Sociétal et Environnemental. Ceci est à l’origine du courant appelé STSE (Pedretti, 1997 ; Pedretti & Hodson, 1995 ; Hodson, 1994, 2003).

Par rapport à un enseignement scientifique traditionnel, l'approche STS intègre, d'après Aikenhead (1994), le volet scientifique ou "Environnement naturel", le volet social ou

"Environnement social" et le volet technologique ou "Environnement construit artificiellement" (voir figure suivante). Pour cet auteur, l’approche STS est définie

65 Notamment l'émergence de l'université technologique (comme à Delft ou Twente) consacrant l'intérêt porté à

fondamentalement comme une approche orientée vers l’étudiant, en opposition à l’enseignement scientifique traditionnel. L’enseignement scientifique dans une perspective STS (STS teaching) a eu le mérite de questionner la conception classique de la science, constituée de "faits" scientifiques… et de valoriser le caractère socialement construit du savoir : "STS science teaching conveys the image of socially constructed knowledge. Its student-oriented approach … emphasizes the basic facts, skills, and concepts of traditional science … "(Ibid., p. 59).

Pour cet auteur, l'approche STS est présentée comme suit66 :

Fig 4 : L'essence d'une éducation STS (Source : Aikenhead, 1994, p. 59).

Selon Hollenbeck (1998), une éducation STS peut permettre aux apprenants une mobilisation de connaissances, un développement de compétences pour résoudre les conséquences du développement actuel des sciences et des technologies dans leur vie quotidienne. "STS means teaching and learning in the context of human experience…Skills and knowledge are applied to current and future experiences when the students leave the classroom" (p. 4).

L'enseignement scientifique est solidement ancré au vécu et à l'expérience personnelle des étudiants.

Le mouvement STS a eu le mérite de mettre en cause la portée démesurée accordée au mythe scientifique et de souligner le rôle de la science et de la technologie dans la société. Les faits scientifiques ne sont pas abordés isolément du contexte social et des mutations technoscientifiques. Or, certains didacticiens identifient des problèmes au sein de ce paradigme ; ils proclament que si ce courant met l'accent sur des dilemmes sociaux reliés à des domaines scientifiques, il n'exploite pas, véritablement, la puissance didactique du discours (l'argumentation déployée, les interactions langagières sur la question…) (Zeidler, Sadler, Simmons & Howes, 2004). D'autres perçoivent que ce mouvement qui "faisait l'objet de nombreux enseignements et séminaires en France dans les années 1970 et 1980, apparaît aujourd'hui en retrait. La raison en tient à la fois aux évolutions intellectuelles des études sociales des sciences et des techniques et à l'évolution même des relations entre les sciences, les modes de production technique et les évolutions sociales et politiques dans les 20

66 La figure correspond au figure 5.1 et intitulé : "The essence of STS education" dans le chapitre 5 "What is STS science teaching?" de son ouvrage dirigé par J. Solomon and G. Aikenhead (Eds.), STS education: International perspective on reform. New York: Teachers College Press, p. 59.

dernières années" (Rapport du Ministère de la Recherche et de la Technologie, 2000-2002, p.2).

1.1.2. De l’approche STS à l’approche des questions socio-scientifique QSS Le mouvement STS a eu le mérite d’appréhender la relation "environnement - progrès" selon une approche critique et systémique, mais sans pour autant se focaliser sur les considérations émotives, morales, culturelles, éthiques… que révèlent ces questions elles-mêmes (Zeidler, et al., 2004). Traditionnellement, pour ces auteurs, le mouvement STS a porté sur l’étude des controverses scientifiques, mais sans réellement se centrée sur l’argumentation, la prise en compte de la nature de la science ou NOS (Nature Of Science), des connections émotives, culturelles ou épistémologiques au cœur de ces questions67. C'est ce qui peut expliquer le glissement de l'approche STS à l'approche des questions socio-scientifiques ou Socioscientific Issues (SSI) en anglais.

Dans la lignée du courant éducatif STS, se développe, aujourd'hui, le courant des questions socio-scientifiques que nous allons développer dans les lignes qui suivent. En réalité, l’étude de ces questions est étroitement liée à l’histoire de l’approche STS. Les recherches récentes en didactiques des sciences se sont focalisées sur l’étude des questions socio-scientifiques, car l'approche QSS se distingue en fait de celle de la "STS education" par certains facteurs. En effet, les QSS sont introduites pour développer, entre autres, chez les étudiants la culture scientifique et les initier à différents modes de raisonnement : le raisonnement moral et éthique (Sadler & Zeidler, 2003 ., Sadler, 2004., Sadler, Barba & Scott, 2006., Sadler &

Donnelly, 2006), le raisonnement informel (Khun, 1991., Sadler, 2004), le raisonnement socio-scientifique (Sadler et al., 2006), etc. Nous examinerons plus loin la notion de raisonnement socio-scientifique.

2. L’approche des questions socioscientifiques QSS

Dans le document TTHHÈÈSSEE En vue de l'obtention du (Page 139-143)