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Chapitre 3 Le travail collectif : objets d’études fondamentaux, problématique fondamentale, modèle théorique général

2.1. Ecart prescrit / réel et équipe de travail

La littérature sur le travail collectif et la fécondité de la thématique suggèrent la nécessité d’une approche riche et complexe. Par exemple, l’« activité des équipes de travail » a permis de souligner (Savoyant, 1985) :

• les analyses des processus de répartition des tâches, d’affectation des membres de l’équipe à ces tâches et de transformation d’un objet par les membres de l’équipe

• cette répartition et cette affectation (généralement imposées aux opérateurs) ne sont qu’une des conditions d’exécution de l’activité collective

• cette condition nécessite la coordination interindividuelle des activités des opérateurs, qui est une caractéristique spécifique essentielle de l’activité collective des équipes de travail

• une analyse plus précise de cette coordination interindividuelle implique de :

Caractériser la situation d’activité collective : action collective pour des opérations

d’exécution à coordonner, coaction pour des actions à coordonner

Caractériser la coordination sous trois aspects : ses formes (les relations entre les éléments

coordonnés), ses conditions (représentations chez chaque opérateur des éléments des activités des autres opérateurs) et ses moyens (comment est effectivement assurée la coordination).

La répartition et l’affectation des tâches dans un but, l’importance de la situation, les modalités de coordination... sont autant de pistes qui soulignent la richesse des analyses envisageables concernant le travail collectif. Mais cette approche est également précieuse par ce qu’elle ne dit pas explicitement : elle n’aborde que de façon implicite voire incidente la

séparation entre la prescription et le réel. Par exemple, dire simplement que la répartition

et l’affectation sont « généralement imposées aux opérateurs » ne permet pas de prendre la mesure de la séparation entre la prescription et le réel. La dynamique réelle du groupe de travail est systématiquement différente de la prescription, même si le groupe réel de travail peut correspondre au groupe de travail prescrit et que sa dynamique en est presque systématiquement empreinte. De même, le mélange des notions d’équipe, de collectif et d’activité parait problématique. « Tout est dans tout », ce qui peut correspondre en un sens au réel, mais est d’un intérêt scientifique limité. En amont, ces problèmes nécessitent une terminologie claire, malgré la conscience des problèmes subséquents.

Dans ce but, il parait utile de repartir de deux catégories univoques qui circonscrivent le sens de la coopération : l’organisation des activités professionnelles et les échanges spontanés entre des partenaires engagés dans ces mêmes actions (Gheorgiu & Moatty, 2005). La prescription ne doit pas être négligée par l’analyste qui s’intéresse au travail collectif réel : « la tâche surdétermine les formes de la coopération » (Trognon et al. 2004, p.423). Distinguer ces deux catégories permet d’en suggérer les liens : le lien entre le travail collectif

prescrit et le travail collectif réel est fondateur pour chacun. Premièrement, l’organisation formelle entrave les coopérations réelles, donc elle entraîne des négociations, le partage des savoirs, la résolution des aléas (Gheorgiu & Moatty, 2003). Deuxièmement, « les frontières qui séparent l’organisationnel « formalisé » de l’entraide « informelle » (…) ne sont ni fixes, ni établies selon les mêmes critères dans les différents collectifs de travail. Cette observation peut paraître banale, mais elle soulève des problèmes d’ordre empirique qui peuvent s’avérer redoutables dans l’interprétation des données. » (Gheorgiu & Moatty, 2005, p.16). Dans ce cadre, les problèmes soulevés par la séparation ni fixe ni établie entre l’organisationnel « formalisé » et l’entraide « informelle » (Gheorgiu & Moatty, 2005) peuvent être considérés essentiellement comme des problèmes empiriques et d’interprétation en fonction d’un secteur et d’un métier, plutôt que des problèmes conceptuels fondamentaux.

Envisager le travail collectif comme étant celui mené par un ensemble d’opérateurs, travaillant dans un même but, qui se sont concertés à cet effet, qui coordonnent la réalisation de leur tâche et dont les coopérations sont finalisées par l’objectif commun (Leplat & Savoyant, 1983), parait insuffisant. En effet, la signification psychologique, nécessaire à un travail collectif substrat de l’activité collective, est inhérente à une représentation commune du but à atteindre (Vaxevanoglou et al., 1993). Se limiter au but commun circonscrit l’activité collective à l’activité de l’équipe, qui a en charge telle ou telle tâche. Il en résulte une confusion regrettable entre activité collective, collectif et équipe.

Les critiques ci-dessus semblent révélatrices des approches développées il y a une vingtaine d’années et auparavant. L’intérêt de l’Ergonomie pour le travail collectif existait mais semblait peu formalisé. Plus l’intérêt pour le travail collectif a été formalisé, plus la différence fondamentale entre la prescription et le réel a fondé et permis de développer les définitions. Par exemple, à propos de la fiabilité, l'approche de l’activité collective (Leplat, 1997) a été enrichie en lien avec la notion de groupe : « une notion fondamentale pour l'étude de l'activité collective est celle de couplage entre les caractéristiques de la tâche et celles du groupe de travail » (Leplat, 1997, p.188). L’activité collective peut être envisagée comme « mise en jeu conjointement par les membres du groupe en réponse aux exigences de la tâche affectée au groupe. (...) L'activité collective implique l'intervention coordonnée des membres qui y participent : les individus exécutent de manière conjointe la même tâche. (...) Le groupe défini par l'organigramme officiel ne correspond pas nécessairement au groupe de travail. » (Leplat, 1997, p.187).

La séparation prescrit / réel traverse l’Ergonomie et peut servir de point de départ à l’analyse du travail collectif. La séparation entre la prescription et le réel rejoint dès lors la distinction entre l’équipe de travail et le collectif de travail. L’équipe de travail est plus aisée à définir, à savoir un groupe formel constitué de deux individus ou plus qui est perçu en tant que groupe par ses membres et ses non membres et qui est démarqué de son environnement par l’existence de frontières qui le délimitent administrativement (Bourdon & Weill-Fassina, 1994).

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