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PROBLEMATIQUE FONDAMENTALE

Chapitre 1 Cadre épistémologique et thématique de la problématique fondamentale : du modèle théorique général au

4. Organisation, changement organisationnel et restructurations

4.3. Définition de l’organisation et des liens micro / macro

La variété des organisations a été étudiée à travers différentes traditions, qui se sont plus ou moins enrichies mutuellement. Afin d’enrichir le cadre d’analyse, les organisations sont analysées en termes de structures, dimensions et typologies, en évitant de rester trop mécaniste et exclusivement au niveau de l’organisation générale et formelle. Des définitions trop étroites se limiteraient aux structures organisationnelles, divisions du travail et hiérarchies (Child, 1997, cité par Livian, 2004), des définitions trop larges aux éléments stabilisant le fonctionnement des organisations (communications, contrôles, normes) qui seraient « tout ce qui modèle le comportement des membres de l’organisation » (Child, 1997, cité par Livian, 2004). En revanche, il est possible de distinguer les composantes des organisations tout en insistant sur leurs liens (Livian, 1998, 2004) :

• la structure est ce qui concerne la configuration relationnelle stable de l’entité étudiée ;

• l’interaction entre cette composante structurelle et la réalité humaine et sociale (caractéristiques socio démographiques du personnel, compétences, attitudes au travail…), la composante physique (localisation, flux, équipements, bâtiments et installations…), l’appareil gestionnaire (objectifs, contrôle, information, communication, évaluation et récompenses).

La structure décrit l’agencement entre des éléments organisationnels, alors qu’un système implique des flux entre ces éléments et des transformations de ce qu’ils véhiculent (matière, information) (Livian, 2004). L’organisation et les changements sont intriqués. Plusieurs confusions doivent être évitées : la notion et les supports pour l’étudier (par exemple la structure et l’organigramme) ; les grandes mailles de la structure (unités de l’organisation : départements, fonctions…) et une approche plus fine (tâches ou rôles) ; ce qui est voulu ou

non par les dirigeants ; ce qui est formalisé et écrit ou pas (Livian, 2004). Concernant cette dernière distinction, le maillage entre formel et informel (Livian, 2004, s’inspirant de Crozier & Friedberg, 1977) permet la jonction avec l’Ergonomie, les différences entre prescrit et réel et groupes prescrit et réel. Une organisation se structure en fonction de la double distinction division du travail / coordination et formel / informel (Livian, 2004, s’inspirant de Mintzberg, 1982). Au sein de l’organisation peuvent aussi être distingués les macro- et micro- structures (Livian, 2004), ce qui rejoint l’importance des sous organisations évoquées précédemment.

Les situations de travail sont tributaires de logiques de niveaux asymétriques. L’organisation est le média entre les situations de travail locales et les déterminants macro, ce qui implique des conflits de logique entre opérateurs et concepteurs -qui digèrent aussi les prescriptions d’instances supérieures, de la société…. Les impacts des déterminants macro sur les individus et les collectifs sont diversement envisagés à travers la littérature pluridisciplinaire (voir par exemple Barus-Michel, Enriquez & Levy (2002), Buunk & Gibbons, 1997 dans le cadre de la Psychologie Sociale ; Barbusse & Glaymann, 2004 ; Ferréol, Cauche, Duprez, Gadrey & Simon, 2002 dans le cadre de la Sociologie ; Erbès- Séguin, 1999; De Coser & Pichault, 1998; Durand, 2000 dans le cadre de la Sociologie du travail). Envisager une dialectique entre macro et micro et entre différents niveaux d’organisations améliore la visibilité conjointe de l’organisation et du travail collectif, de leur structuration des situations de travail. Par exemple, la Sociologie du Travail s’est développé en référence à l’articulation des niveaux micro et macro (voir entre autre Erbès-Séguin, 1999; De Coser & Pichault, 1998; Durand, 2000). Les conflits sociaux au travail cristallisent les tension sociétales : le négociable au niveau local varie en fonction des conjonctures générales (Durand, 2000). La Sociologie du Travail a aussi insisté sur l’identité collective, telle que l’identité professionnelle. Elle insiste désormais sur l’identité collective et individuelle, où sont articulés des éléments macro et micro en dépassant certaines oppositions entre courants. Les structures sociales, les catégories objectives macro sociales, les groupes socioprofessionnels (Durkheim ; Bourdieu) d’une part, la sociologie compréhensive, les interactions présentes et passées, les jeux de masques et de miroirs entre les individus (Weber; Sainsaulieu) d’autre part, peuvent être complémentaires. Enfin, l’étude de la santé au travail suggère aussi la possibilité d’articuler des niveaux d’analyse individuels, collectifs et organisationnels. Plusieurs facteurs de harcèlement psychologiques sont articulables, d’ordre organisationnels (intensification du travail, faiblesse de l’autorité hiérarchique, précarisation du lien d’emploi) et culturels (banalisation ou négation du harcèlement psychologique,

tolérance aux incivilités, iniquité ou injustice) (Vézina & Dussault, 2005). Les ancrages organisationnels, individuels et sociaux aident à expliquer les violences hiérarchique et organisationnelle (Aurousseau, 2000).

Néanmoins, les articulations de l’individuel et du collectif et surtout des niveaux d’explication micro et macro restent ambigus en sciences sociales. Le passage d’un niveau macro (politique, économique, sociale, institutionnelle, sociétale…) à un niveau micro ne fonctionne ni parfaitement ni de façon purement mécaniste. « Ramener des effets macroscopiques à leurs causes microscopiques n’a (…) rien d’évident dans des situations où la multiplicité des déterminants rend quasi impossible un traçage causal entre comportements individuels et émergence de phénomènes globaux. » (Salembier & Pavard, 2003, p.88). Mais la non prise en compte de l’articulation micro / macro est davantage suspecte et ambiguë. L’articulation des niveaux micro et macro est ambiguë mais nécessaire pour comprendre les structurations des situations de travail dont elle est fondatrice, en particulier leurs dynamiques collectives. Par exemple, des éléments de réflexion peuvent s’inspirer de l’application de la théorie de la complexité aux sciences humaines et sociales (Salembier & Pavard, 2003). Le niveau organisationnel et le travail collectif, de plus en plus omniprésents en Ergonomie, ne peuvent pas faire l’économie de la question de l’articulation entre micro et macro.

4.4. Organisation et changements

Il est possible de distinguer les typologies des structures, c'est-à-dire une approche descriptive, et les facteurs explicatifs des différentes configurations, c'est-à-dire une approche analytique (Livian, 2004). Si il est nécessaire de distinguer les deux, la partie descriptive n'acquiert pleinement son sens qu’en référence à la partie analytique. Cette importance de l’approche analytique explique en grande partie que les modèles des organisations se soient développés en fonction des possibilités de changements et d’évolutions des organisations. Les possibilités d’évolutions organisationnelles, leurs formes, leurs dynamiques, leurs processus et leurs enjeux signeraient significativement l’organisation et sa structure. Autrement dit, les évolutions organisationnelles permettraient de percevoir l’organisation et le travail, notamment le travail collectif. Il s’agit au pire d’un biais ou d’un miroir grossissant, mais vraisemblablement d’une nécessité, surtout compte tenu des évolutions constantes des organisations. Les changements et leurs mises en œuvre n’évoluent pas à partir de « rien » : les facteurs explicatifs sont situés en grande partie au sein des situations initiales.

En revanche, interroger l’impact des processus de changement ne peut pas signifier au sens strict interroger l’organisation en tant que telle. La rigueur théorique et opérationnelle nécessite la distinction entre les impacts de l’organisation en changement et les impacts de l’organisation en tant que telle, mais cette distinction peut être de faible portée. Le cadre sur l’organisation est donc amendé par l’hypothèse que les changements montrent les principales lignes de forces des organisations telles qu’elles sont en période stable : les

situations initiales structurent les changements. Par conséquent, les interrogations sur le

travail collectif et l’organisation aident à questionner les modèles de changement. Des exemples issus d’une littérature pléthorique précisent quelques pistes concernant ces liens entre l’organisation et ses changements. Ces pistes n’ont aucune vocation à l’exhaustivité, qui est inaccessible. Par exemple, le changement social est envisageable en fonction des tendances, des lois conditionnelles / lois structurelles, des formes et des causes du changement. (Ferréol et al., 2002). Mais les pistes qui suivent ont paru essentielles pour analyser le secteur hospitalier.

En période de changement organisationnel, les relations de pouvoir entre les agents du changement et les cibles du changement sont centrales : l’agent évalue les bénéfices et les coûts en fonction de son pouvoir informationnel (Munduate & Bennebroek Gravenhorst, 2003). Le changement épisodique, discontinu, radical des organisations inertes est créé par le manager, alors que le changement évolutif, continu, progressif, émergeant, allant de soi, nécessite simplement d’être dirigé, ajusté par le manager : les processus d’influence et de pouvoir social sont à la base de ce changement continu (Munduate & Bennebroek Gravenhorst, 2003). Les axes du pouvoir des agents du changement sont l’influence tacite, le pouvoir social, la « public compliance » par opposition à l’acceptation privée, l’identification, l’internalisation, le pouvoir de récompense ou coercition, la légitimité du pouvoir (pouvoir du référent identifié à la cible avec le référent, pouvoir expert, pouvoir informationnel) (Munduate & Bennebroek Gravenhorst, 2003).

Les modèles de changement sont lisibles en fonction de la théorie de l’engagement : l’engagement, davantage que la persuasion, favorise le changement dans le court terme (Louche & Lanneau, 2004). La persistance à long terme dépend de l’heuristique comportementale, de la saillance des cognitions en rapport avec le comportement engageant, de l’identification de l’action… (Louche & Lanneau, 2004). Contrairement à des

changements d’attitudes sur de grandes causes telles que le sida, les fausses notes sont inévitables dans les organisations : une adhésion nette ne provoque pas une adhésion aveugle négligeant les contraintes d’exécution des tâches (Louche & Lanneau, 2004). C’est pourquoi les modèles d’intervention en organisation opposent les orientations processus et « expertale » (Louche & Lanneau, 2004).

Le lien entre le processus de changement organisationnel et la politique de gestion

des ressources humaines, suggère les limites d’une approche contingente (facteurs

environnementaux, stratégie d’organisation…) (Pichault & Schoenaers, 2003). Une approche politique, des jeux d’acteurs, des tensions impliquées par la gestion des ressources humaines… permet d’éviter d’être trop mécanique et partial (Pichault & Schoenaers, 2003).

• De plus, le changement organisationnel et les dimensions collectives interfèrent, aussi la littérature pluridisciplinaire insiste sur la nécessité de représentations communes concernant les objectifs et les modalités pour les atteindre.

Pour coordonner leurs activités individuelles au sein d’un groupe, les membres d’un groupe élaborent une représentation commune de la tâche à réaliser par le groupe (Leplat, 1997). Cette partie de la représentation de chacun qui est commune à celle des autres membres du groupe a des appellations diverses dans la littérature : référentiel (opératif) commun, vue partagée, environnement cognitif mutuel, espace commun d’information, domaine consensuel… Les représentations lacunaires de chacun des opérateurs s’ajustent et se complètent pour permettre des actions individuelles pertinentes (Terssac & Chabaud, 1990). Pour être efficace, les règles formelles et les règles informelles de l’action commune doivent se marier subtilement au sein du référentiel commun (Clot, 2002).

Mais les sources de dissonance provenant du travail sont multiples. Les buts, les ressources, les procédures…, peuvent entraîner des interférences positives mais également négatives entre les agents coopérants (Hoc, 1996, 2001). Les organisations sont parcourues de logiques contradictoires entraînant les interférences. Les objectifs de l’organisation ne sont pas toujours compatibles avec ceux des individus qui la composent (Toniolo, 2005). Les fausses notes sont inévitables dans les organisations compte tenu des contraintes d’exécution des tâches (Louche & Lanneau, 2004). Ces fausses notes ont trait en grande partie aux

différences entre les métiers et aux différences entre les situations locales réelles des services, des départements, des unités…

Pourtant, la littérature insiste principalement sur les aspects partagés des représentations et semble relativement négliger l’absence éventuelle de représentation homogène. Trois raisons complémentaires, non exhaustives, sont envisagées.

 Premièrement, cette question peut se poser en terme de largeur de cadrage des populations et des situations pour lesquelles les représentations sont plus ou moins communes. Le contenu du référentiel commun peut se diviser en deux grandes catégories : l’environnement externe à l’activité et l’activité des opérateurs (Carlier & Hoc, 1999). Que les représentations communes renvoient à l’environnement ou à l’activité, elles ne peuvent pas concerner l’ensemble d’une grande organisation, mais renvoient à un nombre relativement restreint d’individus, limités par exemple à un service ou à une unité. L’environnement et l’activité y sont similaires et les corps de métier sont identiques, proches ou soumis à des contraintes comparables. Les cultures organisationnelles peuvent ainsi être envisagées en fonction des unités, des équipes qui renvoient aux pratiques de travail, et non en fonction des grandes organisations (Van den Berg & Wilderom, 2004). Le cadrage des populations peut se faire en deux temps, en renvoyant de façon large à une organisation, mais de façon plus située à un collectif de travail ou à une petite organisation, à une sous organisation de type service.

 Deuxièmement, l’importance des représentations dans l’adaptation des individus aux situations est consensuelle, mais les représentations doivent être pensées en relation avec les actions et les activités, donc en lien avec les métiers. Les individus s’adaptent aux contraintes de la situation, à la fois à partir de leurs interactions et de la représentation qu’ils se font de cette situation (Toniolo, 2005). A un niveau individuel et à plus forte raison à un niveau collectif, l’étude des activités humaines nécessite de joindre l’étude des (inter) actions et des représentations (Grosjean, 2005 ; Cahour & Pentimalli, 2005 ; Royer, 1994 ; Vaxevanoglou et al., 1993). Les dynamiques de métiers, aux activités spécifiques, se superposent aux dynamiques locales.

 Troisièmement, faute de représentation homogène sur l’ensemble d’une organisation, une approche en termes d’enjeux est également envisageable : institutionnels, équipe, rapport au travail… (Dumond, 2005). De façon similaire, contrecarrer les limites d’une approche contingente (facteurs environnementaux, stratégie d’organisation…), ne pas rester trop mécanique et partial, peut nécessiter une approche en termes politiques, de jeux d’acteurs, de tensions dues à la gestion des ressources humaines (Pichault & Schoenaers, 2003). Permettre

le dialogue au sein de l’organisation peut rendre cohérent les différents objectifs organisationnels (Haas, Algera, Van Tuijl & Meulman, 2000). Ce point insiste sur la nécessité d’envisager les représentations pour étudier de façon réaliste l’activité de travail (Vaxevanoglou, 2002b).

Les changements organisationnels représentent une source de dissonance interindividuelle essentielle souvent inévitable et compliquent la construction d’une vision commune. Un axe fort de séparation concerne les personnels d’organisations fusionnantes. Les fusions entre plusieurs entreprises sont propices aux problèmes de cultures organisationnelles différentes, qui peuvent être abordées en termes de représentations sociales (Barbery, Louche & Moliner, 2006). Les éléments du noyau central des représentations sont théoriquement non négociables (Abric, 1987) mais ils sont éventuellement influencés par les relations de pouvoir (Barbery, Louche & Moliner, 2006). Plus largement, les représentations

homogènes sont difficiles à obtenir dans les organisations en restructurations (Dumond,

2005).

Dès lors, un cadre ouvert de discussion sur les organisations et les changements concerne le point de vue des employés, qui permet de distinguer quatre dimensions composants aux restructurations hospitalières (Dumond, 2005) : institutionnelle (emploi et conditions de travail dans leurs grandes lignes), existentielles (questions liées aux engagements affectifs dans l’activité professionnelle et du sens au travail), normative (compétences et régulations autonomes), culturelle (construction de la légitimation et acceptation des opérations envisagées). Les quatre rythmes d’évolution sont spécifiques. De plus, il n’y a pas de représentation homogène des restructurations (Dumond, 2005). L’age et la profession sont deux variables à effet structurant, mais les écarts inter individuels sont beaucoup plus nets, d’où l’intérêt d’une approche en termes d’enjeux : institutionnels, équipe, rapport au travail… (Dumond, 2005). Ainsi, à partir de restructurations hospitalières sans licenciements ni remise en cause de salaire ou fonction mais avec une certaine brutalité, l’analyse des perceptions et des enjeux vécus par le personnel peut utiliser la complémentarité entre une étude qualitative et quantitative et une étude de la confrontation des logiques clinique et gestionnaire. Les restructurations représentent des événements majeurs des vies professionnelles entraînant des sentiments forts de séparation et de perte liés à la transformation du cadre et de l’activité de travail (Dumond, 2005) : perte du métier, du rôle propre souvent réduit à néant car tâches administratives ou déléguées, lignes hiérarchiques

réduites limitent un encadrement centré sur le rôle infirmier… Enfin, les psycho sociologues insistent soit sur des facteurs constitutifs de l’épreuve4, soit sur des processus d’affrontement qui les composent5. Alors que les études multi factorielles négligent les processus, les études dynamiques se centrent sur un seul problème ; or les restructurations et le champ du travail sont fortement composites et hétérogènes : les dynamiques sont sociales, politiques et psychologiques (Dumond, 2005).

Dans le but d’interroger les écarts prescrit / réel et le travail collectif, cette approche a pour but de concilier, en évitant le syncrétisme mou, les apports de traditions différentes : rationalisations (modèles classiques), facteur humain ((néo) relations humaines), système ouvert social et techno économique (Travistock Institute), anomalies non identifiables par la gestion sur lesquelles a insisté la socio économie, interdépendance des parties agencées en fonction d’un but (école systémique), causes sociales hétéroclites (approche wébérienne et structure informelle de Roethlisberger & Dickson, 1939)… Par exemple, le changement a pu être étudié (Picard, 2007) à travers trois axes : un axe politique fortement développé dans les sciences de gestion ; un axe rationnel concernant le point de vue de l’acteur qui calcule (voir en particulier Crozier & Friedberg, 1997) ; un axe pratique, qui permet de rapprocher les sciences de gestion, l’ergonomie et la psychologie, à travers l’étude des mécanismes de transformation du travail par l’expérimentation partagée et la négociation de l’interprétation des faits.

Cette recherche incorpore des théories internes et extérieures à l’Ergonomie. Ces apports et interrogations concernent notamment les organisations et les théories des organisations par le biais de modèles locaux, en fonction d’un secteur et d’un métier.

5. Secteur hospitalier, travail soignant et travail collectif

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