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Une diversité de réformes agraires et de politiques de modernisation dans les pays andins, pour des effets similaires : une portée limitée et inéquitable

MARGINALISATION SÉCULAIRE MAIS DES PAYSANS QUI LUTTENT POUR LEUR RECONNAISSANCE

Encadré 3 Comprendre la réciprocité

4. L ES PAYSANNERIES ANDINES DES RÉFORMES AGRAIRES AUX POLITIQUES NÉOLIBÉRALES :

4.1. Des années 1950 aux années 1980, le grand espoir déçu : des réformes agraires et des politiques de modernisation inachevées et inégalitaires

4.1.2. Une diversité de réformes agraires et de politiques de modernisation dans les pays andins, pour des effets similaires : une portée limitée et inéquitable

Selon Dufumier [1986], les réformes agraires peuvent répondre à trois grands types d’intentions. Elles peuvent répondre à des préoccupations politiques ou de justice sociale lorsque les paysans sont suffisamment organisés et puissants pour faire valoir leurs revendications. Les redistributions de la terre et des autres moyens de production peuvent également être des moyens de désamorcer la colère des paysans, diminuer la pression politique des partis qui les soutiennent et éviter ainsi des transformations plus radicales. Enfin, les réformes agraires peuvent répondre à des considérations plus directement économiques lorsque la concentration foncière et des moyens de production sont considérés comme des handicaps pour le développement agricole et le développement économique d’ensemble. L’objectif est alors la mise en place d’unités beaucoup plus productives que celles des grands domaines extensifs ou des tout petits lopins. De son côté, Mesclier [2006] identifie trois grands types de réformes mises en œuvre en Amérique latine, d’une part des redistributions amples et radicales, d’autre part des redistributions limitées réalisées avec l’accord des grands propriétaires, et enfin des mesures de temporisation consistant en l’incorporation de nouvelles terres dans l’espace agricole pour éviter d’avoir à partager celles qui sont déjà utilisées. Dans les Andes, ces objectifs et ces modes de redistribution identifiés par Dufumier et Mesclier se sont combinés simultanément ou successivement dans l’espace et dans le temps comme nous proposons de le décrire, dans le présent paragraphe, à travers une chronique des réformes agraires andines et des politiques de modernisation, avant d’en synthétiser, dans le paragraphe suivant (§ 4.1.3) les effets pour les paysanneries.

4.1.2.1. Chroniques des réformes agraires andines

4.1.2.1.1. La réforme agraire bolivienne

Parmi les trois pays qui nous intéressent, c’est la Bolivie qui ouvrira la marche. La Bolivie fait partie des pays latino-américains n’ayant pas attendu les États-Unis pour entreprendre des redistributions foncières et dans lesquels la réforme agraire fut lancée en pleine tourmente révolutionnaire. Suite à la guerre civile déclenchée par les ouvriers des mines d’étain et au renversement de la dictature militaire, les colonos de l’Altiplano et de la région de Cochabamba occupèrent massivement les grandes haciendas entre avril 1952 et juillet 1953. Le nouveau gouvernement démocratique décréta alors la réforme agraire en août 1953, qui consista en une légalisation après coup du fait accompli, sans indemnisation ou presque des propriétaires [Dufumier, 1986]. Mais la redistribution de la terre ne se fit pas sans conflits au sein même des paysanneries, dans la mesure où le contenu radicalement anti-latifundiaire de la réforme agraire conduisit à négliger les problèmes et les revendications des paysans des communautés et des paysans sans terre. C’est ainsi que, par exemple, dans les haciendas du lac Titicaca formées sur le patrimoine territorial des communautés, de violents conflits éclatèrent entre colonos, comuneros et paysans sans terre [Chonchol, 1994]. Par ailleurs, l’application lente et partielle de la réforme ainsi que sa conception et son contenu législatif allait favoriser le développement d’un nouveau dualisme agraire, pénalisant finalement les paysanneries, en particulier celles de l’Altiplano et des vallées [Cortes, 2000]. Les politiques mises en œuvre furent en effet en faveur d’un seul modèle agricole dans une région en particulier, à savoir le capitalisme agraire dans d’immenses exploitations modernisées localisées dans les plaines de l’Oriente. Simultanément à la réforme agraire, l’État bolivien mit en œuvre une politique de colonisation agricole des plaines de l’Oriente afin d’une part d’alléger la pression démographique des régions densément peuplées (Altiplano et vallées) et d’autre part de permettre la sécurité alimentaire du pays en misant sur des cultures commerciales (riz, maïs, plantations fruitières, coton, canne à sucre, soja) et sur l’élevage à grande échelle. Cette politique bénéficia, certes, à un certain nombre de familles paysannes de l’Altiplano et des vallées qui migrèrent vers les plaines orientales, mais elle a surtout favorisé le développement de grandes exploitations capitalistes. Douze millions d’hectares, soit un tiers de la surface cultivable du pays, furent en effet distribués à de grands propriétaires fonciers de l’Oriente ainsi qu’à des anciens propriétaires fonciers de l’Altiplano à titre de compensation. Ainsi, si l’ancienne classe dominante, expropriée des hautes terres, en disparut presque complètement, elle se reconstitua dans les basses terres de l’Oriente. Dans ces régions de plaines où la loi agraire de 1953 fixa la limite supérieure des entreprises agricoles à 2 000 ha, et celle des entreprises d’élevage à 50 000 ha, la taille moyenne des propriétés atteindra 700 ha. Quant aux paysans qui ont bénéficié de la réforme agraire, ils ont reçu 4 millions d’hectares, soit en moyenne 7 ha par famille se répartissant de manière inégale entre l’Oriente (30 ha par famille) et l’Altiplano et les vallées (respectivement 2,5 ha et 3,6 ha par famille). Au total, 87% des familles recevront moins de 5 ha. Conséquence du développement de ce minifundisme et de la libération des populations paysannes, les migrations destinées à trouver un complément de revenu à l’extérieur commenceront à prendre une véritable ampleur [Cortes, 2000]. En plus de manque de terres, les paysanneries de l’Altiplano et des vallées manqueront également d’appuis économiques de l’État et des banques privées qui orienteront

l’essentiel de leurs crédits vers l’Oriente, à tel point que 90% des crédits attribués entre 1964 et 1971 furent attribués aux agriculteurs de Santa Cruz et qu’à la même époque, moins de 1% des petits paysans avaient accès au crédit [Chonchol, 1994 ; Cortes, 2000]. Ainsi, faute d’un politique de crédit généralisée pour équiper les familles paysannes, celles-ci continuent de produire avec les mêmes instruments qu’autrefois [Dufumier, 1986]. Elles n’en demeurent pas moins un acteur économique important, même si elles ne sont pas reconnues et soutenues en tant que tel. En effet, cette agriculture paysanne, ancienne (petits producteurs individuels d’avant la réforme agraire et familles membres des communautés indigènes) et nouvelle (anciens colons des haciendas divisées par la réforme agraire et paysans de l’Altiplano et des vallées ayant participé à la colonisation spontanée ou dirigée de l’Oriente), s’efforce de produire pour sa propre subsistance mais est également tournée vers le marché, via des circuits plus ou moins formels. Celle fait d’elle, et de très loin, le premier fournisseur d’aliments pour la population du pays, et cela jusqu’à aujourd’hui, et comme c’est le cas également en Équateur et au Pérou [Chonchol, 1994 ; Cortes, 2000].

4.1.2.1.2. La réforme agraire équatorienne

En Équateur, la modernisation des haciendas les plus dynamiques spécialisées dans la production de lait pour la demande urbaine dans le centre-nord de la Sierra, qui entraîna un premier mouvement de cessions de terre aux huasipungueros, montra que l’on pouvait limiter les tensions par des mesures douces [Mesclier, 2006]. L’État reprendra ainsi à son compte ce mouvement spontané de modernisation des structures agraires et de conversion capitaliste des haciendas et d’adoption de nouvelles techniques. Trois lois de réforme agraire et de colonisation agricoles seront édictées et partiellement appliquées par des gouvernements militaires en 1964 1973 et 1979. Les objectifs et les modalités d’exécution seront exclusivement définis par l’État sans concertation avec des organisations paysannes encore presque inexistantes, alors que les grands propriétaires, même si l’élite militaire au pouvoir disposera vis-à-vis d’eux d’une certaine autonomie, seront au cœur du projet de recomposition des structures agraires [Gasselin, 2000]. Les réformes équatoriennes, loin de provoquer une rupture radicale du système latifundiaire, visaient avant tout à moderniser l’ensemble de l’économie équatorienne via la généralisation du salariat, l’abolition des relations de travail jugées féodales et anachroniques et enfin la nécessaire rénovation de certaines formes de propriétés et de production. Aussi, elles mettront avant tout l’accent sur une orientation productiviste de l’agriculture en accroissant et diversifiant la production agricole pour l’exportation et pour le marché intérieur et sur le rôle de l’État dans le développement [Massal, 2005], aspects qui deviendront prédominants à partir du moment où la rente pétrolière fournira l’essentiel des devises (loi de 1973). En effet, depuis la fin des années 1950, le développement économique de l’Équateur reposait principalement sur l’exportation de la banane. Mais en 1972, la découverte de pétrole en Amazonie apporte une prospérité considérable au pays, lui permettant de déployer à grande échelle les politiques d’industrialisation par substitution d’importation. Des organismes publics sont mis en place dans tous les secteurs économiques. En ce qui concerne le secteur agricole et la mise en œuvre des réformes agraires, l’intervention de l’État s’opère essentiellement via l’institut équatorien de réforme agraire et de colonisation (IERAC), mais un grand nombre d’autres organismes publics

furent créés74 ou même relancés, notamment l’institut national de la recherche agronomique

(INIAP). Celui-ci accordera la priorité à la sélection génétique des variétés à haut potentiel de rendement de cultures principalement destinées à l’exportation [Vaillant, 2013], expression de choix politiques loin d’être en faveur d’un développement qui serait fondé sur une voie paysanne. En matière de redistribution des terres aux paysans, si la concentration foncière était un obstacle au développement agricole, l’atomisation des terres l’était aussi, si bien que l’État limitera les redistributions [Gasselin, 2000]. En particulier, de vastes espaces communaux seront créés dans les zones d’altitude, et la colonisation agraire de l’Amazonie et de certaines régions encore forestières de la Costa et des piémonts andins sera engagée. Entre 1964 et 1992 la surface agricole colonisée concernera plus de 6 millions d’hectares (23% du territoire national, plus des deux tiers en Amazonie) et en moyenne 65 ha75 par bénéficiaire, alors que 900 000 ha

(3% du territoire, la grande majorité dans la Sierra et dans les provinces de Guayas et Los Ríos de la Costa) et en moyenne 7,5 ha76 par bénéficiaire, seront redistribués par la réforme agraire

[Gondard & Mazurek, 2001]. Avec la loi de 1964, les propriétés les plus touchées par la réforme agraire seront celles de l’État (haciendas de l’Assistance Publique) qui seront totalement distribuées aux travailleurs qui formeront des coopératives dont les membres rachèteront collectivement les terres. Ces coopératives seront créées non pas à l’initiative des paysans mais imposées par l’État, celui-ci fixant à la fois les structures internes, les modalités de fonctionnement social et économique, les relations avec les organismes publics et les marchés des produits, de l'argent et du travail. Elles disparaîtront progressivement une fois honorées les dettes d’achat des terres et des équipements, les paysans préférant se répartir les terres et obtenir des titres individuels de propriété afin de garantir leur autonomie et leur sécurité alimentaire [Haubert, 1989]. En ce qui concerne les haciendas privées, plus directement visées par la loi de 1973, rares seront les expropriations complètes (contrairement à la Bolivie et au Pérou) et elles correspondront le plus souvent à des invasions paysannes légalisées. La majorité des haciendas privées ne seront contraintes qu’à la redistribution de terres de superficie et de qualité inférieure à celles dont bénéficiaient les travailleurs des haciendas avant les réformes, et elles conserveront la propriété des bâtiments, des cheptels, des équipements, des droits d’eau et des unités de transformation. L’oligarchie foncière bénéficiera en outre de la lenteur des procédures, ce qui lui laissera le temps d’élaborer des stratégies pour échapper à l’expropriation, en divisant les très grandes propriétés familiales en unité plus petites et plus facile à gérer et en se débarrassant des secteurs les moins productifs vendus aux paysans. Ce sont d’ailleurs ces stratégies des grands propriétaires fonciers plus qu’une véritable répartition de la terre qui explique la perte d’importance des unités de plus de 1000 hectares et la baisse de la taille moyenne des unités de plus de 100 ha entre 1954 et 1974 [Cliche, 1995]. En ce qui concerne les unités de 5 à 20 ha et de 20 à 100 ha, leur nombre a augmenté respectivement de

74 Création d’un institut de planification, administration et contrôle des ressources hydriques (INERHI), d’offices de

stockage et de commercialisation des produits alimentaires de première nécessité (ENAC et ENPROVIT), d’une centrale d’achat d’intrants (FORTISA) et de la banque national de crédit agricole (BNF).

75 Ces moyennes sont à prendre avec précaution, puisqu’il existe de très grandes variations selon les régions, se

reporter pour cela aux cartes et aux graphes réalisés par Gondard et Mazurek [2001].

76 Ces moyennes sont à prendre avec précaution, puisqu’il existe de très grandes variations selon les régions, se

68% et 134% entre 1954 et 197477, et elles occupent 45% de l’espace agricole, témoignant du

développement de couches agraires moyennes issues pour une part de l’ancien personnel des haciendas (majordomes et contremaîtres) et pour l’autre du secteur du capital commercial et des investisseurs urbains [Chonchol, 1986]. Mais même si la structure agraire s’est modifiée, les inégalités foncières demeurent après les réformes agraires, puisqu’en 1974, le coefficient de Gini s’élève à 0,74 pour l’ensemble du pays et à 0,85 dans les Andes [Gasselin, 2000]. Aujourd’hui, cet indice est de 0,80, un des plus élevé d’Amérique latine et du Monde [Martínez, 2014]. Entre 1954 et 1974, outre le fait que bon nombre de paysans n’ont pas reçu la parcelle qu’ils cultivaient mais une autre moins fertile, le minifundisme s’est considérablement accru. Le nombre de propriétés inférieures à 5 ha a augmenté de 38%, tout en n’occupant que 7% du territoire mais presque 70% du nombre total d’unités, et leur taille moyenne dans la Sierra et la Costa a diminué pour passer de 1,71 à 1,53 ha. Cette diminution s’explique par les effets conjugués de la faible redistribution foncière en faveur de la paysannerie et du morcellement par voie successorale [Chiriboga, 1988]. Ajoutons qu’en 1970, six ans après la première loi de réforme agraire, seulement 1% des anciens travailleurs des haciendas avaient bénéficié des crédits et des services de vulgarisation prévus par la loi [Gasselin, 2000]. Finalement, la dissolution des grands domaines et des rapports de production précapitalistes s’est fait à moindre coût pour les grands propriétaires terriens, invités à moderniser leur exploitation sur le modèle de l’entreprise capitaliste et à se transformer en bourgeoisie agraire. Les paysanneries, en étant libérées du joug de l’hacienda, ont perdu du même coup les avantages que celle-ci leur procurait et se sont retrouvées face à des conditions matérielles d’existence parfois encore plus précaires qu’avant les réformes agraires, les conduisant à adopter de nouvelles stratégies d’adaptation. En outre, le fait de s’être libérées des relations semi-serviles imposées par l’hacendado n’a pas signifié pour les paysanneries une libération de la stratification sociale qui régnait au sein de l’hacienda. En effet, celle-ci a été reproduite et pérennisée, voire accentuée par les réformes agraires, la quantité et la qualité des terres reçues par les anciens travailleurs des haciendas dépendant de leur statut social dans l’hacienda78. La variabilité des conditions d’accès à la terre dépendait

également du statut des haciendas, les anciens travailleurs des haciendas publiques, entièrement redistribuées, se retrouvant en possession de parcelles plus vastes et de meilleure qualité que celles des anciens huasipungueros des haciendas privées, qui, sauf en cas d’invasions légalisées, cédèrent uniquement leurs terrains les moins productifs. Enfin, comme en Bolivie, où la réforme agraire équatorienne s’était concentrée sur les colonos sans tenir compte des paysans des communautés et des paysans sans terre, la réforme agraire équatorienne négligea les rapports sociaux complexes qui unissaient l’hacienda à une paysannerie très différenciée. Le programme de redistribution des terres ignora ainsi les métayers, les yanaperos, ainsi que les divers paysans sans terre qui travaillaient périodiquement sur l’hacienda. Privés d’accès à la terre, ces derniers furent souvent contraints à l’exode, tandis que pour les autres, la perte d’accès aux ressources de

77 Calculs réalisés d’après les chiffres des recensements agricoles présentés par Bretón [2008 p. 592].

78 On pourra à lire le rapport de diagnostic agraire réalisé par Decorde & Aguilar Huaña [2006, pp. 13 et suiv.] dans

trois communautés du canton de Colta, province de Chimborazo. Les auteurs y décrivent précisément la manière dont les terres de plusieurs haciendas de la zone ont été distribuées et vendues en fonction de la position hiérarchique occupée dans l’hacienda (mayordomo, mayoral, huasipungo, peón, yanapero etc.) et de la qualité de la relation avec la famille de l’hacendado.

l’hacienda eut pour effet de réduire encore davantage la base de leur reproduction sociale [Vaillant, 2013]. Soulignons toutefois que quelques années après ces premières distributions très partielles et inégalitaires de terres à la suite de la loi de réforme agraire de 1964, de nombreuses haciendas finirent par être vendues par les hacendados ou leurs héritiers, notamment lorsque ceux-ci exerçaient un métier en ville et ne s’intéressaient pas ou plus à l’hacienda, et d’autant plus lorsque celle-ci était restée à l’abri des vents de modernisation. Ce fut le cas par exemple dans la province de Chimborazo, où les haciendas étaient restées très traditionnelles et où les anciens travailleurs des haciendas et habitants des communautés « libres » purent, à partir des années 1970 et parfois jusqu’aux années 1990, acheter progressivement des terres petits morceaux par petits morceaux (par cuadra79, voire encore

moins). La surface et la qualité des terres achetées dépendaient des relations entretenues avec la famille de l’hacendado et du capital possédé80. Ces achats progressifs de terre permirent ainsi à

plusieurs familles paysannes d’obtenir des parcelles localisées dans différents étages écologiques. Cette période de parcellisation des haciendas, et les divisions ultérieures des terres entre héritiers, expliquent la caractéristique minifundiste de la province de Chimborazo et le paysage très morcelé qui en découle (Photo 6).

Photo 6 - Paysage de minifundios dans la province de Chimborazo (canton Colta)

79 En Équateur, una cuadra correspond à une surface de 7056 m².

80 Ainsi, ceux qui travaillaient comme peones (paysans sans terre mais aussi paysans des communautés lorsqu’ils

cumulaient les statuts de peón et de yanapero) avaient pu accumuler un peu d’argent grâce aux salaires payés par l’hacienda ou par les domaines de la Costa où certains migraient de manière temporaire. Quand aux ex-

huasipungueros, ils vendirent leurs animaux afin de pouvoir acheter des terres complémentaires aux terres reçues

lors des redistributions de 1964.

4.1.2.1.3. La réforme agraire péruvienne

En 1964, en conformité avec la charte de Punta del Este, une première loi de réforme agraire fut votée au Pérou sous le gouvernement du président Belaúnde, mais son application demeura très limitée du fait de la lenteur des procédures, du peu de moyens, et de l’opposition des grands propriétaires terriens. Une timide distribution des terres sera mise en œuvre dans les zones les plus conflictuelles de la Sierra où les propriétaires d’haciendas céréalières et d’élevage extensif envisageaient déjà la vente de leurs terres par craintes des mouvements paysans [Dufumier, 2004], ainsi qu’au profits des des yanaconas – paysans qui devaient payer une rente en travail ou en nature au propriétaire en échange de l’accès à des terres sur le domaine – de la Costa qui réussirent à devenir propriétaires [Eguren, 2014]. Au final, en 1968, cette réforme n’avait bénéficié qu’à 15 000 paysans (2% de la population potentiellement bénéficiaire) et 385 000 ha (moins de 5% des terres susceptibles d’être redistribuées) [Chonchol, 1994]. Ce n’est qu’après le coup d’État du général Velasco en 1968 que fut promulguée, en juin 1969, une loi de réforme agraire considérée comme une des plus radicales d’Amérique latine selon les critères du nombre de domaines expropriés, du nombre de bénéficiaires, ainsi que des changements importants en matière de propriété de la terre et d’organisation de la production [Mesclier, 2000]. Agissant dans le même sens que le mouvement paysan des années soixante, la réforme agraire, sur des critères de superficie, de faire-valoir indirect, de violation des lois du travail, exproprie la totalité des grands domaines d’une façon si radicale qu’elle élimine la classe des grands propriétaires terriens, et y compris ceux des plantations agro-industrielles de canne à sucre et des haciendas modernes de plantation de coton, qui constituaient les deux groupes les plus puissants du pays et qui détenaient jusque-là l’essentiel du pouvoir économique et politique [Eguren, 1989]. Mais

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