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Des années 1980 aux années 2000, les paysanneries andines face à l’avènement du modèle néolibéral

MARGINALISATION SÉCULAIRE MAIS DES PAYSANS QUI LUTTENT POUR LEUR RECONNAISSANCE

4.2. Des années 1980 aux années 2000, les paysanneries andines face à l’avènement du modèle néolibéral

4.2.1. Dans un contexte de crise économique…

Au début des années 1980, plusieurs évènements conduisent à la fin des politiques d’industrialisation par substitution d’importations administrées par les États. À la suite des chocs pétroliers de 1973 et 1979 qui entraînèrent une très forte inflation, les États-Unis limitèrent les émissions de monnaie, occasionnant une envolée des taux d’intérêts des emprunts de capital sur le marché international. Frappé par la crise, ce fut le Mexique qui, le premier, annonça en 1982, qu’il n’était pas en mesure d’honorer sa dette, ce qui mis à mal la confiance des créanciers étrangers envers les pays dits en voie de développement. À l’instar de bien d’autres

106 Les exigences des consommateurs, variables en fonction de critères économiques (prix), gastronomiques

(dimension, forme, couleur, texture) et pratique (modes de préparation et de cuisson, ce dernier critère étant très important en montagne où l’eau bout à une température plus basse du fait de l’altitude), orientent les choix de productions opérés par les paysans, mais en partie seulement. En effet, nous l’avons vu, nombreux sont les paysans qui conservèrent des variétés locales plus adaptées aux conditions écologiques du milieu, à leurs pratiques et à leur goûts. Vaillant [2013 p. 145] donne ainsi l’exemple des paysans équatoriens qui refusèrent d’adopter les variétés de maïs créées par l’INIAP et conservèrent les variétés traditionnelles bien plus adaptées à la culture associée.

107 La pomme de terre est ainsi cultivée plusieurs années de suite, avec pour conséquence une multiplication

d’adventices et d’insectes nuisibles. La pomme de terre étant en outre une plante sarclée, le fait d’augmenter sa fréquence dans les rotations expose d’autant plus les terrains à l’agressivité des pluies et au ruissellement.

pays latino-américains, les pays andins durent faire face à un retrait massif des capitaux, à une hausse des taux d’intérêts sur le marché international et à un accroissement immédiat et prononcé de leur dette extérieure. Dans le cas de l’Équateur, la situation économique du pays fut d’autant plus aggravée d’une part par l’effondrement des cours mondiaux du pétrole et d’autre par la calamité naturelle causée par le violent phénomène du Niño de 1982-1983108 [Vaillant,

2013]. Les pays andins, comme d’autres nations latino-américaines109, en échange du

rééchelonnement de leurs dettes extérieures, furent contraints de se soumettre aux mesures des plans d’ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque Mondiale situés dans la lignée du consensus de Washington110, et de prendre ainsi le train du néolibéralisme qui remet

radicalement en cause le rôle de l’État dans l’économie et proclame la suprématie du marché pour l’allocation optimale des ressources111. Afin de réduire leurs déficits budgétaires, les

gouvernements andins mettent en place des politiques d’austérité112 et diminuent de façon

drastique le nombre de fonctionnaires et agents contractuels de l’État [Cortes, 2000 ; Dufumier, 2004].

4.2.2. … un virage néolibéral qui signe l’abandon des réformes agraires…

Ce sont les organismes en charge des réformes agraires qui sont les premiers visés par ces mesures d’austérité budgétaire, dans un contexte où les réformes agraires sont violemment remises en cause [Dufumier, 2004 ; Larrouqué, 2009]. Les États renoncent ainsi progressivement à intervenir en matière d’infrastructures, de crédit rural, d’assistance technique agricole, de recherche agronomique et de commercialisation [Mesclier, 2006]. Au nom de la protection de la propriété privée, et des coûts en temps et en argent engendré par les procédures d’expropriation et de redistribution des terres, celles-ci furent abandonnées, non sans conflits dans certaines régions, entre les paysans sans terres et la grande propriété foncière rémanente, notamment en Équateur [Vaillant, 2013]. Ces conflits seront un prélude aux soulèvements indiens et à l’arrivée des organisations indigènes sur la scène politique nationale dans les années 1990.

108 Le violent phénomène du Niño de 1982-1983 affecta également le nord du Pérou. En Équateur, les pertes sont

estimées à cinq points de PIB.

109 Mais aussi comme de nombreux autres pays dits en développement

110 Souvent perçu comme étant les « dix commandements » du néolibéralisme de l’école de Chicago, le consensus de

Washington est un corpus de dix mesures standard, appliquées, par les institutions financières internationales (qui siègent à Washington), aux économies en difficulté face à leur dette. Il reprend les dix propositions présentées en 1989 dans un article par l’économiste américain John Williamson. Celles-ci sont destinées à redresser économiquement les États défaillants, selon les principes libéraux de privatisations généralisées, de libre échange, de dérégulation et de réduction massive des dépenses publiques.

111 Pour [Audier, 2012] cité par [Vaillant, 2013] le néolibéralisme correspond non seulement à la dérégulation

généralisée, au retrait de l’État et au « laissez-faire », mais également à une forme de constructivisme voulue (ou surveillée) par les pouvoirs publics visant à créer de la concurrence dans toute la société y compris dans des sphères qui en étaient jusqu’alors préservées.

112 Dans le cas de l’Équateur, Vaillant [2013 p.140] cite les mesures suivantes : hausses régulières des prix de

l’énergie, des tarifs de certains services sociaux et des prélèvements publics ; dévaluations successives à l’origine de l’élévation des biens et des services importés ; démantèlement progressif des systèmes de production sociale. Au cours de la « décennie perdue » - qui correspond aux années 1980 en Amérique latine, période de transition néolibérale au cours de laquelle le continent connut une période de récession généralisée – les salaires baissèrent de 2,38% en Équateur et le chômage tripla.

En Équateur, c’est en 1994, au plus fort des politiques néolibérales, qu’il est mis officiellement fin aux réformes agraires avec la promulgation de loi de modernisation et de développement du secteur agricole, violemment dénoncée par les mouvements indigènes, mais sans succès (Encadré 6). Quant au Pérou, il deviendra « une sorte de bon élève [du néolibéralisme] parmi les pays andins » [Mesclier, 2003, p. 113] sous la présidence d’Alberto Fujimori (1990-2000), avec la nouvelle Constitution en 1993 éliminant toute référence à la réforme agraire et réduisant la protection des communautés paysannes, et avec la Loi des terres de 1995 renforçant la libéralisation du marché foncier (Encadré 7). Que ce soit en Équateur (1994), au Pérou (1993) ou en Bolivie (1996), les nouvelles législations agraires promues par les gouvernements néolibéraux avaient pour but d’attirer les investissements privés dans un secteur agricole qui soit dominé par le marché, et cela malgré le coût social en matière de creusement des inégalités et d’exclusion des paysanneries [Bretón, 2008].

Encadré 6 - La loi équatorienne de 1994 de « modernisation et de développement du secteur

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