• Aucun résultat trouvé

Petite chronologie de l'émergence des organisations paysannes et indigènes en Équateur La FEI 93 , première organisation indigène nationale, est créée en 1944 pour la défense des

MARGINALISATION SÉCULAIRE MAIS DES PAYSANS QUI LUTTENT POUR LEUR RECONNAISSANCE

Encadré 4 Petite chronologie de l'émergence des organisations paysannes et indigènes en Équateur La FEI 93 , première organisation indigène nationale, est créée en 1944 pour la défense des

huasipungueros et des travailleurs agricoles indigènes. La politisation de la population paysanne et indigène avait toutefois démarré dès les années 1920 et 1930, à une échelle plus locale, sous l’influence des partis socialiste (fondé en 1925) et communiste (fondé en 1931), qui impulsèrent la création de syndicats dans le secteur de Cayambe (province de Pichincha). Au cours des décennies 1920 et 1930, il y eut des tentatives de formation d’une organisation indigène nationale, jusqu’à la création de la FEI. Cette dernière reprendra alors, jusqu’en 1968, la publication du bulletin Ñucanchic Allpa (« Notre Terre »), créé dès 1930 par les syndicats indigènes.

En 1968 est créée la FENOC, qui deviendra FENOC-I en 1988 puis FENOCIN en 199794. La FENOC est née de la CEDOC95, créée en 1938 et qui rassemblait au départ surtout des artisans et des ouvriers urbains. C’est sa branche rurale, initiée dans les années 1950, qui donnera naissance à la FENOC. Puis, ECUARUNARI96, première structure régionale qui représente tous les kichwas de la sierra et se voulant exclusivement indigène, est créée en 1972. Cette organisation participera en 1986 à la création de la CONAIE97, organisation indigène nationale.

Ces organisations paysannes et indigènes ont bénéficié de l’appui de partis politiques (cas de la FEI), de l’Église catholique (la création d’ECUARUNARI a été impulsée par le diocèse de Riobamba, province de Chimborazo) ou de l’Église protestante (cas de la FEINE98).

4.1.3.2. Des paysanneries dotées d’un nouveau statut social qui adaptent leurs systèmes

d’activité à un nouveau contexte excluant

Les paysanneries changèrent radicalement de statut social et de rôle dans les économies nationales. De mise à disposition semi-servile pour le colon espagnol puis pour l’hacienda, ils deviennent des petits producteurs familiaux indépendants et/ou des ouvriers ruraux et/ou urbains salariés, libres de produire pour leur famille, pour le marché, et de vendre leur force de travail à l’extérieur. Toutefois, il est bien évident que cette liberté est toute relative, à tel point qu’il n’est pas rare que certains paysans regrettent le temps de l’hacienda qui leur « offrait » un accès aux ressources ainsi qu’une protection en cas d’urgence (mauvaises récoltes, maladie).

La grande majorité des paysans obtiendront un accès limité, si ce n’est absent, à la terre. Or l’accès à une surface suffisante est une condition indispensable pour permettre aux paysans d’accumuler un minimum de capital et intensifier leur système productif. Cela demeurera le privilège d’une minorité de petits agriculteurs familiaux localisés dans des zones géographiques favorables, bénéficiant de crédits, d’informations et d’assistance technique via les programmes de développement lancés par les États, et ayant accès à des filières de commercialisation relativement stables [Dufumier, 2004 ; Santana, 1981]. Partout ailleurs, là où les familles

93 Fédération équatorienne des Indiens

94 Confédération des Organisations Paysannes, puis Confédération des Organisations Paysannes et Indigènes, puis

Confédération des Organisations Paysannes, Indigènes et Noires.

95 Confédération Equatorienne des Ouvriers Catholiques

96 En kichwa “Ecuador Runacunapak Rikcharimui” qui signifie « Le réveil des indigènes d’Équateur » 97 Confédération des Nationalités Indigènes de l’Équateur

paysannes ont reçu des terres marginales (en quantité et en qualité)99 et n’ont pas eu

d’accompagnement technique ni financier, et où les prix des denrées n’étaient pas favorables, les réformes agraires n’ont pas produit les effets qu’on aurait pu attendre. Inachevées et inégalitaires, les réformes agraires n’ont pas mis fin au minifundisme, bien plus, celui-ci s’est accentué avec les générations et l’accroissement démographique. Les paysans ont donc dû trouver des stratégies d’adaptation pour survivre sur des territoires de dimension de plus en plus réduite. Ils se sont vus contraints de surexploiter le parcellaire limité, morcelé et peu productif auquel ils avaient accès, à conquérir de nouvelles terres en altitude100, ou à migrer

pour trouver d’autres sources de revenus, ces « options » étant bien souvent combinées par les familles paysannes [Bretón, 2008 ; Guibert, 2012]. Sur l’Altiplano bolivien et en particulier autour du lac Titicaca, on parle même de surcofundio, littéralement « terre de sillon » [Cúneo & Gascón, 2013 ; Diaz-Pedregal, 2006], ce qui en dit long sur les dimensions du terrain auquel les paysans les plus pauvres ont accès pour subvenir aux besoins de leur famille. Les paysans libérés de la loi et du paternalisme de l’hacendado se retrouveront soumis aux lois du marché des produits agricoles et du marché du travail, loin de leur être favorables. Confrontés à ce qui constitue finalement une nouvelle forme de subordination, et face aux politiques excluantes des États en faveur du capitalisme et du productivisme agraire et de la demande urbaine, les paysans développent des stratégies d’adaptation liées à la nécessité d’assurer leur subsistance sur des terrains de petite taille et de faible productivité et dans un contexte de faible pouvoir de négociation sur les marchés des produits agricoles et du travail.

4.1.3.2.1. Des paysanneries présentes sur le marché du travail…

Les effets limités et inéquitables des réformes agraires et des politiques de modernisation conduisirent bon nombre de familles paysannes à mettre en œuvre des stratégies de mobilités circulatoires destinées à trouver un complément de revenu à l’extérieur de l’exploitation [Cortes, 2002 ; Vaillant, 2013]. Construites à partir du calendrier agricole, ces mobilités sont une composante à part entière, endogène et constitutive des systèmes d’activité des familles paysannes. Ainsi, les familles paysannes délèguent un ou plusieurs de leurs membres dans emplois salariés précaires et saisonniers, fournis tout au long de l’année essentiellement par le secteur de la construction dans les zones urbanisées et par les exploitations agricoles capitalistes. À titre d’exemple, dans le canton de Guamote (province de Chimborazo, Équateur), au début des années 1980, au moins un membre de chaque famille indigène paysanne travaillait

99 Par exemple, dans la Province de Chimborazo en Équateur, on estime qu’à peine plus de 20% des terres qui ont été

redistribuées par les réformes agraires ont un réel potentiel productif. Ainsi, 2,8 % ont un potentiel agricole, 17,3 % ont un potentiel pour l’élevage (pastoralisme), tandis que les autres terres redistribuées sont situées sur des zones de fortes pentes, rocailleuses et/ou érodées [Korovkin, 2002, p. 24].

100 Ainsi, les surfaces cultivées ont été étendues au détriment des terres de parcours dans les landes et pelouses

d’altitudes. La taille des troupeaux a donc été diminuée, si bien que les terres cultivées, de plus en plus étendues et de moins en moins fertilisées par les déjections animales, ont vu décroître progressivement leur taux d’humus ce qui a affaibli leur stabilité structurale et les a rendues plus sensibles aux agents d’érosion. Les paysans se voient contraints – mais seulement lorsqu’ils en ont les moyens – de contrecarrer la baisse de fertilité des sols par l’achat de fertilisants à l’extérieur. Quant aux terres de parcours résiduelles, souvent surpâturées – la taille des troupeaux n’ayant pas diminué autant que les surfaces pâturées – elles sont en voie de dégradation et assurent moins bien leur rôle régulateur sur l’infiltration et le ruissellement des eaux de pluie [Dufumier, 2004].

à l’extérieur de sa paroisse et 73% de ces migrants partaient travailler pour une durée maximale de quatre mois à Quito et à Guayaquil, en grande majorité dans le secteur de la construction mais aussi dans les plantations de la Costa et dans les haciendas productrices de maïs à proches de Quito [Korovkin, 2002, p. 26]. La modernisation agricole a ainsi contribué à une augmentation de la pluriactivité, mais la nouveauté est que ce phénomène se déplace de plus en plus vers les villes [Santana, 1981]. Cela génère des réseaux denses de relations entre les paysans-ruraux d’un côté et, de l’autre, les citadins-paysans à temps partiel qui conservent des liens socio- économiques étroits avec leur famille et leur communauté, caractéristiques des pratiques spatiales multi-localisées et des logiques multi-résidentielles des familles paysannes [Cortes, 2002 ; Dollfus, 1981].

Du fait de l’exigence de force et d’endurance physique des tâches inhérentes au secteur du bâtiment ainsi qu’au secteur agro-industriel101, ces mobilités circulatoires sont essentiellement

pratiquées par les hommes, contribuant à reproduire la traditionnelle division sexuelle du travail au sein des familles paysanne existant depuis l’époque coloniale où les travaux requis dans le cadre de la mita, exigeants physiquement (coupe de bois, transport de marchandises, extraction minière) étaient réservés aux hommes [Vaillant, 2013]. Enfin, si ces mobilités circulatoires permettent de fournir un complément de revenu aux familles paysannes, mais également de se construire un réseau de relations au-delà de leurs communautés, l’accès au marché du travail se fait dans des conditions où les paysans ne sont pas en mesure de négocier leurs salaires. En effet, l’essor de l’économie soutenu par les politiques d’industrialisation se révèle insuffisant pour fournir du travail à ceux qui, de plus en plus nombreux, viennent en demander [Favre, 1981], plaçant dès lors les masses paysannes en situation de concurrence sur le marché du travail. Si l’on ajoute à cela les politiques de bas coûts sur les produits de première nécessité, les entreprises étaient en position de force pour maintenir les salaires journaliers à de très bas niveaux [Vaillant, 2013]. Dans un contexte où la demande d’emploi excède l’offre dans des proportions grandissantes, c’est le développement du secteur informel qui vient absorber l’excédent de travailleurs ruraux migrant vers les villes. Citons à titre d’exemple le cas des communautés rurales de la paroisse de Cacha, localisées sur des versants secs et érodés à proximité de Riobamba, dont la grande majorité de la population masculine et féminine travaille dans le secteur informel (commerce ambulant, services domestiques, employés informels de petites entreprises etc.) en ville, et dont seule une faible proportion de privilégiés parvenait à avoir sa propre boutique en ville ou bien à se consacrer au commerce interprovincial [Korovkin, 2002, p. 27].

4.1.3.2.2. …et sur le marché des produits agricoles

Présents sur le marché du travail, les paysans le sont aussi sur le marché des produits agricoles. Au risque de parfois compromettre leur capacité d’autosubsistance, les familles paysannes opèrent une spécialisation partielle de leurs systèmes de production vers des

101Par exemple la coupe de la canne à sucre ou de la banane ; le transport de denrées pondéreuses depuis le champ,

dans les centres de collecte, dans les minoteries ou les usines de décorticage, sur les marchés urbains, au port ou sur les chantiers (sacs de riz, de café, de cacao, de pomme de terre, d’engrais azotés ou de ciment, régimes de bananes, etc.) ; le désherbage des canaux d’irrigation ; la construction de bâtiments et de routes ; l’extraction minière etc. [Vaillant, 2013, p. 136].

productions destinées à la vente, et cela même chez les plus petits des minifundistes, dans le but de s’assurer un revenu certes faible, mais sûr [Santana, 1981]. Mais de la même manière que sur le marché du travail, les paysanneries sont loin d’être en position de force sur un marché de produits agricoles où les prix de nombreux produits sur le marché interne sont souvent manipulés par les gouvernements qui cherchent à les maintenir à un niveau le plus bas possible102, et où les paysans sont dépendants des intermédiaires et des transporteurs. C’est

encore plus vrai pour les communautés indigènes les plus isolées, où les relations avec les intermédiaires dans les villes moyennes et grandes (c’est moins vrai sur les marchés ruraux) sont particulièrement inéquitables et fortement teintées de racisme. Après les réformes agraires, les métis ont pris le contrôle des circuits de commercialisation qui étaient auparavant principalement aux mains des propriétaires terriens. Ils ont reproduit, tout en le renouvelant, le système de domination auquel étaient soumis les paysans indigènes, et sont devenus un important groupe de pouvoir local. Face aux commerçants métis, les paysans, et surtout les paysans indigènes, ont un pouvoir de négociation très faible et n’ont guère d’autre choix que de se soumettre aux prix, aux poids, et parfois même aux violences verbales, voire physiques que ceux-ci leur imposent [Burgos, 1977 ; Chonchol, 1994] (Encadré 5).

Encadré 5 - Les relations socio-économiques entre paysans et intermédiaires : le cas des marchés de la

Outline

Documents relatifs