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Les circuits alimentaires de proximité dans l’univers des nested markets

POTENTIELS POUR LA RECONNAISSANCE DES PAYSANNERIES

Encadré 12 L’ « extractivisme », un modèle de développement fondé sur la surexploitation des ressources naturelles

2. A U NIVEAU LOCAL : L ’ ÉMERGENCE DE FORMES NOUVELLES ET MULTI ACTEURS DE CIRCUITS ALIMENTAIRES DE PROXIMITÉ

2.1. Circuits alimentaires de proximité andins : un détour pour les situer dans l’univers des formes alternatives de production et d’échange d’aliments

2.1.2. Les circuits alimentaires de proximité dans l’univers des nested markets

Les nested markets, que l’on retrouve également dans la littérature anglophone sous le terme de alternative food networks (AFNs)209 [Deverre & Lamine, 2010 ; Renting et al., 2003 ; Watts et al., 2005], rassemblent une large diversité d’initiatives et de réseaux émergents de producteurs,

de consommateurs et d’autres acteurs qui s’engagent dans des alternatives au modèle agro- industriel de production et d’approvisionnement alimentaire.

208 Les auteurs soulignent que selon les théories marxistes, les luttes sociales susceptibles de générer des

changements sociaux se produisent dans les lieux de production. Or, d’après ce collectif de chercheurs théorisé les

nested markets, les luttes sociales d’aujourd’hui se situent dans une dialectique complexe. En effet, des changements

dans la sphère de la production peuvent induire la construction de new emerging nested markets, et ces derniers, à leur tour, permettent et entraînent des changements dans la sphère de la production. Avec les nested markets, production et circulation interagissent ainsi de plus en plus étroitement.

2.1.2.1. Des nested markets plus anciens fondés sur des stratégies de différenciation par les produits, la qualité et/ou par les territoires…

Parmi ces nested markets on retrouve les stratégies de différenciation par la qualité et/ou par le territoire. C’est le cas de la production agroalimentaire qualifiée, qu’il s’agisse du mode de production et/ou de transformation (agriculture biologique, produits fermiers) ou de l’origine des produits (indications géographiques, agriculture biologique, marques territoriales etc.). En particulier, les signes de qualité liée à l’origine se révèlent des instruments efficaces de reconnaissance de la diversité des systèmes agricoles et alimentaires, permettant aussi bien le maintien et la valorisation des savoir-faire des sociétés locales que la préservation des paysages, de la biodiversité et des ressources naturelles ainsi qu’un meilleur revenu pour les producteurs et la création d’emplois dans les territoires [Giovannucci et al., 2009 ; Vandecandelaere et al., 2009]. Dans un contexte de mondialisation, ce sont des outils efficaces pour la valorisation des agricultures et des territoires marginalisés et peu rentables aux yeux de l’agriculture productiviste [Bérard & Marchenay, 2004]. Les signes de qualité liés à l’origine ou, plus généralement, les produits dits « de terroir », ont ainsi été largement étudiés par les sciences humaines et sociales depuis les années 1990. Ces année ont été marquées en Europe par la crise des systèmes agricoles intensifs, et par un renouvellement des espaces ruraux, devenus des supports de qualité des produits agroalimentaires et de services rendus par l’agriculture. En particulier, les chercheurs ont analysé pourquoi, et à quelles conditions, le territoire (pris dans ses dimensions écologiques, paysagères, économiques, sociales, identitaires, institutionnelles…) pouvait être une source de différenciation des produits. Ils ont montré que l’activation et la valorisation des ressources spécifiques d’un territoire à travers les produits, n’est pas seulement le fait d’acteurs isolés, mais au contraire exige une organisation collective des différents acteurs de la production. Par exemple, les SYAL (systèmes agroalimentaires localisés) sont des systèmes d’organisation des acteurs agroalimentaires fondés sur l’activation et la valorisation des ressources d’un territoire donné [Muchnik et al., 2008]. Plus tard, des chercheurs ont montré comment la coordination des stratégies individuelles et collectives, d’acteurs publics et privés, pouvait faire émerger un « panier de biens et de services » [Hirczak et al., 2008a ; Mollard & Pecqueur, 2007]. Il s’agit du développement d’activités en zones rurales reposant sur une valorisation conjointe des territoires ruraux, des produits et des services touristiques de qualité, donnant lieu ainsi à de nouvelles politiques de développement local. Les processus et les politiques de qualification qui garantissent l’origine, la spécificité, les modes de production ou de transformation, limitent les effets de concurrence et de spéculation propres à l’échange marchand. Il se crée ainsi une « territorialité de réciprocité » autour de produits spécifiques, via la relation entre hommes, produits, cultures, identité et territoires diversifiés [Sabourin, 2007, 2012]. Ce tournant vers la qualité [Allaire, 2002 ; Goodman, 2003] et la « local food » [Brunori, 2007], qui renforce le lien entre territoires, acteurs et produits, et valorise les spécificités locales, selon différents modèle de qualité territorialisée [Pouzenc et al., 2007], au bénéfice des acteurs locaux et notamment les producteurs, concerne les pays du Nord, mais aussi les pays du Sud [Cormier-Salem & Roussel, 2009]. Dans ces derniers, les démarches de patrimonialisation extraient les spécificités locales du simple folklore, voire de la marginalisation, en les transformant progressivement en ressources socio-économiques à la fois pour les paysans et pour les territoires [Senil et al., 2014].

En Amérique latine en particulier, même si la patrimonialisation et la qualification des produits agroalimentaires (origine, bio, équitable) et des territoires ruraux sont moins visibles, moins connus, et moins encouragés par les politiques publiques que l’exportation de matières premières agricoles produites selon le modèle de la Révolution Verte, ces processus n’en constituent pas moins une tendance réelle [Requier-Desjardins, 2008]. Selon Requier-Desjardins & Carimentrand [2007], les pays d’Amérique latine sont largement dominants dans les flux de commerce équitable de produits agro-alimentaires. Par ailleurs, les organisations latino- américaines de petits producteurs engagés dans des filières de commerce équitable sont particulièrement organisées. Elles sont rassemblées au sein d’une fédération commune, la CLAC (coordination latino-américaine du commerce équitable), qui rassemble 300 organisations paysannes issues de 21 pays, soit 200 000 familles, et possède une représentation nationale dans chaque pays. En ce qui concerne l’agriculture biologique, selon les données FiBL-IFOAM [Willer et al., 2013], l’Amérique latine arrive à la troisième place pour la surface certifiée (6,9 millions d’hectares qui représentent 1,1% de sa surface agricole et 18 % de la surface mondiale) derrière l’Océanie et l’Europe, et à la troisième place si l’on compte nombre de producteurs certifiés (315 000 producteurs soit 18% du nombre de producteurs mondiaux). Si le Pérou, la Bolivie et l’Équateur ne représentent que 4% de la surface latino-américaine certifiée en agriculture biologique, ils rassemblent 20% des producteurs latino-américains210. Ces chiffrent

témoignent du fait que dans ces pays-là, plus encore que dans le reste de l’Amérique latine (et à l’instar des continents asiatique et africain), ce sont les petits producteurs qui prédominent dans le secteur de l’agriculture biologique.

Quant aux indications géographiques, elles se développent également en Amérique Latine. Si les premières ont concerné des produits mobilisant de grands capitaux à l’instar de la Tequila mexicaine ou les vins chiliens, elles s’étendent désormais à des produits de terroir issus de l’agriculture paysanne [Suremain & Katz, 2008]. C’est le cas par exemple du Maíz Blanco Gigante

de Cusco, reconnu comme appellation d’origine par le Pérou depuis 2005, ou de la Quinua Real del Altiplano Sur de Bolivia, appellation d’origine reconnue par la Bolivie depuis 2002, et par la

Communauté Andine des Nations en 2014. Par ailleurs, l’association internationale Slow Food, qui vise la promotion des produits de terroir et l’accès pour tous à une alimentation « bonne » (pour soi) « propre » (pour la planète) et « juste » (pour ceux qui produisent) via l’éco- gastronomie, est très présente en Amérique Latine. Ainsi, l’Équateur, la Bolivie et le Pérou comptent ensemble 22 produits inscrits à l’Arche du Goût211, l’Argentine en compte 107 et le

Brésil 31. La France, elle, en compte 41. Cette valorisation du patrimoine agroalimentaire et culinaire via les indications géographiques et les autres formes de qualification des produits de terroir se fait également de plus en plus en lien avec le développement du tourisme rural et de

210 Les surfaces certifiées en agriculture biologique représentent 0,9% de la surface agricole totale au Pérou, 0,69% en

Équateur et 0,09% en Bolivie. À l’échelle de ces trois pays, le Pérou représente presque 70% de la surface et presque 70% des producteurs.

211 « L’Arche du Goût, créée en 1996, est un catalogue d’aliments […] qui a pour but de recenser, avant qu’ils ne soient

perdus, des espèces végétales, des races animales et des produits artisanaux liés aux cultures, aux histoires et aux traditions des communautés qui vivent dans des paysages culturels autour du monde. » (http://www.slowfood.fr/arche-du- gout, consulté le 9 janvier 2015). Les chiffres proviennent du site Internet de Slow Food International (http://www.slowfoodfoundation.com/ark, consulté le 9 janvier 2015).

l’écotourisme, selon des trajectoires de développement local de type « panier de biens et de services » à l’image de celles qui ont été observées sur plusieurs territoires ruraux en France. C’est le cas, par exemple, de plusieurs territoires où le développement de la production de fromages – et souvent également d’autres produits locaux – par des entreprises artisanales rurales, s’accompagne depuis plus récemment d’un développement de l’agro-tourisme [Blanco Murillo, 2012 ; Boucher, 2006]. Certaines de ces trajectoires de développement, fondées sur la valorisation des ressources locales pour produire des produits (agroalimentaires) et services (touristiques) de qualité, sont de véritables success stories de développement rural, connues de la communauté scientifique internationale et reconnues par les acteurs privés et publics à l’échelle locale et nationale. Dans les Andes, citons les exemples du sud du département de Cajamarca, au Pérou ou de la paroisse de Salinas, dans la sierra centrale équatorienne (Encadré 13). Enfin, autre illustration d’un mouvement de patrimonialisation agroalimentaire et culinaire, dont Suremain & Matta [2013] rappellent que l’émergence est particulièrement marquée en Amérique latine, citons le « boom gastronomique » au Pérou et la création d’une alliance « cuisinier – paysan » [Ginocchio Balcázar, 2012]212.

Encadré 13 - Une success story andine de valorisation des produits de terroir locaux associée à

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